The Good Guide
Laurent Taïeb le jure, avec le TOO Hotel, pensé par Philippe Starck dans un tour signée Jean Nouvel, c'est le futur de l'hôtellerie qui se joue à Paris. Excentré, pariant sur Uber Eats plutôt que sur un room service traditionnel et remisant sa cinquième étoile pour rester abordable : ce nouvel hôtel parisien aurait-il tout compris ?
Quand un entrepreneur sans peur demande à l’un des designers les plus visionnaires de sa génération d’imaginer un hôtel…le résultat, clivant peut-être, ne laisse pas indifférent. Après avoir réalisé (quasi) tout seul Madame Rêve, l’adresse qui a mis la nouvelle Poste du Louvre au cœur de toutes les discussions l’année dernière, Laurent Taïeb vient d’inaugurer en octobre dernier le TOO Hotel, O.V.N.I. unique en son genre à quelques pas de la Bibliothèque Nationale de France, dans le XIIIe arrondissement.
Un renouveau pour l’hôtellerie parisienne
Les hôtels parisiens ont un genre. Certains, plus « boutique », sont photogéniques, douillets, servent des repas dont les ingrédients sont sourcés localement et se dotent parfois d’un sauna. D’autres voient les choses en grand avec des chambres ornées de matières précieuses, des restaurants menés par les chefs les plus réputés, des spas opérés par des marques de cosmétique de renom.
Entre les deux, il y a ces nouvelles adresses qui conjuguent le grandiose au futur, y ajoutant une dose de désidérabilité et de modernité, dont Madame Rêve a peut-être ouvert la voie. Hôtel de luxe, l’ostentatoire en moins, il a placé au cœur de la capitale 82 chambres de haut-vol cohabitant avec trois lieux gastronomiques qui se sont hissés en moins d’un an parmi les tables les plus courues de Paris (le Madame Rêve Café, idéal pour un midi ; La Plume et sa cuisine fusion à apprécier dans un paquebot impeccable ; ROOF, en toit-terrasse, qui affichait cet été des files d’attente imbattable).
A suivi le SO/ Paris, impressionnante combinaison de démesure (162 chambres, 80 mètres de haut et une dream team d’architectes à la manœuvre), que le groupe Ennismore – dont l’actionnaire majoritaire est Accor- a choisi de faire atterrir dans un quartier jusque-là amorphe, pariant sur la force d’attraction de la ville dans la ville. Ses chambres, plus accessibles à qui voudrait se faire un beau cadeau (à partir de 400 € la nuit contre 800 € pour Madame Rêve) se coiffent elles aussi de trois lieux dont les Parisiens ont beaucoup parlé cet été : la collection bar-restaurant-club Bonnie par Paris Society.
Le TOO Hotel, fantasme architectural
Dans cette nouvelle catégorie, il faudra désormais aussi compter sur le TOO Hotel qui a trouvé sa place dans la Tour Duo 2 nouvellement inaugurée. Avec sa siamoise Duo 1, seconde tour commerciale la plus haute de Paris avec son sommet culminant à 120 mètres, elles sont l’œuvre du starchitecte Jean Nouvel qui n’a pas hésité pour l’occasion à littéralement secouer le XIIIe arrondissement en imaginant deux mastodontes biscornus et futuristes.
S’ils deviendront pour sûr le visage d’un quartier en plein renouveau (l’Université de Chicago y termine une antenne, le journal Le Monde s’y est installé en 2019), le secret que Duo 2 renferme participera aussi à la redynamisation de l’offre de restauration de cette partie de la Rive Gauche.
Projet conjoint de l’entrepreneur Laurent Taïeb (Madame Rêve, le Kong) et de son ami l’architecte et designer Philippe Starck, le TOO Hotel ne ressemble à aucun autre. « Cet hôtel représente un rêve que j’avais envie de vivre quand j’étais petit garçon, vivant dans un HLM du XIXe qui n’offrait pas ces vues, confesse Laurent Taïeb, pour l’incarner, Philippe a eu l’envie de créer une sorte de château dans le ciel ». La position haut perchée de ses chambres — les 139 clés s’étalent du 17 au 24e étages — garantit en effet le cadre adéquat. Où que l’on soit dans l’hôtel, elles s’ouvrent largement sur son environnement, grâce aux fenêtres généreuses imaginées par Jean Nouvel. Les couloirs, eux aussi vitrés à leurs extrémités, prolongent l’idée d’un hôtel en lévitation.
Le palais des mirages
On l’aura compris, les vues du TOO Hotel font sa force. Mais pas que. Dans la chambre, la décoration est presque minimale pour du Starck, nappée de blanc avec quelques pointes de couleurs sur les textiles, pas plus. On y retrouve cependant son penchant pour les lits disposés en biais, loin des murs, certains s’adossant à un bureau où les executives aimeront passer une partie de leur journée.
Pour les plus chanceux, les salles de bains s’ouvriront sur la Tour Eiffel. Que les autres se rassurent, cet autre Paris qui se dévoile à leurs pieds, depuis leurs fenêtres, emprunt d’un imaginaire new-yorkais parce que bordé des rails de la gare d’Austerlitz et du tumulte du périphérique, est tout aussi pittoresque.
Le grain de folie de Philippe Starck n’est jamais très loin, d’une lampe qui rendrait hommage au film Alien à des cadres intrigants, disposés dans les angles des chambres, collés au plafond, représentant des demies faces d’animaux. Dans les couloirs, les numéros de chambre sont indiqués par des Haïku sur panneaux rétro-éclairés. Des loufoqueries qui se dupliquent bien sûr aux 25 et 27e étages où se tiennent respectivement le restaurant et le bar.
Parlons-en. Au sommet, le Tac Tac Skybar coiffe la Tour Duo 2. Si la vue, imprenable puisque perchée à 127 mètres, laisse sans voix, les projections qui font vivre les murs du bar détourneront l’attention et les esprits. Que représentent ces saynètes ? Une pluie tropicale, un chien qui lèche l’écran… Nul — peut-être même pas Starck lui-même — ne le sait. Pourtant, elles participent à faire de cette adresse l’une des plus surprenantes de la capitale en cette fin d’année 2022, un cadre que ni les Parisiens ni les touristes n’oublieront de si tôt.
Le TOO restaurant : se régaler haut perché
Deux étages en dessous, c’est un autre mirage qui apparaît : le TOO restaurant, où l’ambiance s’assombrit et se feutre dès l’heure de l’afterwork. Six mètres de hauteur sous plafond entièrement vitrée confère au lieu le vertige qu’il mérite. Pour accompagner ce sentiment de grandeur, les chevalets et tableaux XXL d’Ara Starck redonnent à des classiques de la peinture revus et corrigés façon… Starck, pardi !
Ces deux étages partagent une carte élaborée par Benjamin Six sensiblement égale — quelques mets disparaissent au bar au profit de bouchées plus snackables. On vogue par delà les frontières, conviant l’Asie, le Mexique et la Méditerranée dans un bal qui satisfera « une clientèle nomade qui se déplace en trottinette et en vélo électrique (sic) » d’un bao burger, d’une ronde de makis ou encore d’une shakshouka.
Qui est-il, justement, le client de demain ? « Certainement pas moi ! » s’amuse Laurent Taïeb qui préfère inviter les 25-40 ans à goûter à un Paris inédit et aux services d’un hôtel qui a refusé de se soumettre aux critères des cinq étoiles pour convenir de prix abordables (à partir de 220 € la nuit). Le TOO hôtel ouvrira-t-il la voie à d’autres ?