The Good Business
Adulés par les Japonais, George Clooney ou encore Johnny Depp, ces beaux souliers en cuir sont façonnés à la main comme autrefois... et en France, s’il vous plaît ! Une prouesse signée Richard‐Pontvert, entreprise familiale iséroise plus que centenaire.
Ancrée dans son terroir grenoblois, l’entreprise Richard‐Pontvert ne fait pas de vagues, tout en sachant s’adapter et durer. Société mère des marques Paraboot – la plus connue, officiellement déposée en 1927 –, Paraboot Pro, Parachoc et Galibier – créée en 1922 –, elle vient de fêter ses 111 ans en 2019. Une longévité plutôt guillerette qui détonne à une époque où les modes se démodent à la vitesse d’un tweet, marquée par un choc des générations entre sneakers et souliers en cuir.
Une longévité florissante, avec 20 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’exercice 2019, en progression de 3,5 %. Pierre Colin, directeur de la communication de l’entreprise, en est aussi la mémoire. Il assure que « les seules marques de fabricants français de chaussures qui subsistent à travers les époques sont celles qui ont su conserver leur savoir-faire et leur ADN ». En effet, la fabrication de Paraboot est restée presque 100 % française, centralisée dans l’usine créée il y a trois ans sur le site de Voiron, à Saint‐Jean‐de‐Moirans, en Isère.
1 000 points de vente dans le monde
Parce que les ateliers historiques d’Izeaux et de Tullins devenaient trop étroits, 9 millions d’euros sont investis dans cette unité moderne de 10 000 m2 où 150 techniciens réalisent 100 000 paires de souliers par an, soit 90 % des ventes de Paraboot. Seuls les mocassins d’été sont confiés à un atelier espagnol depuis quarante ans, lesquels représentent les 10 % restants.
A Saint-Jean-de- Moirans, donc, les opérations de confection d’une chaussure sont encore artisanales – 150 manipulations pour une paire de Michael, le modèle emblématique de la maison, par exemple – et le personnel est formé sur place à la fabrication complexe des cousus Goodyear et norvégien.
Même les semelles en caoutchouc sont façonnées in situ. Ce travail à la main, cette image sans esbroufe, droite dans ses bottes d’authenticité, sont sans nul doute les atouts charme de Paraboot. Les addicts tels que George Clooney et Johnny Depp, Oxmo Puccino ou Orelsan ne risquent pas de nous contredire – ni même Vanessa Paradis, sachant que les collections ont leur version « tomboy », même si l’homme représente toujours les deux tiers des ventes.
Paraboot, une histoire à rebondissements
L’histoire remonte à 1908. Rémy-Alexis Richard découvre en Amérique l’usage du caoutchouc et crée les premières chaussures en cuir sur semelles en latex crantées. « A l’époque, ce sont de gros brodequins destinés aux montagnards des environs, précise Pierre Colin. Julien Richard prendra la suite de son père vers 1940, poussant commercialement les produits et démarrant leur exportation. »
Alors que l’engouement pour les loisirs de montagne va croissant, il a l’idée de mettre au point des chaussures de ski – base du savoir‐faire maison – et développe la marque Galibier, qui sera une référence sur la neige. Chaussant tous les guides professionnels jusqu’en Alaska, elle sera de facto la rivale de… Paraboot.
Néanmoins, cette dernière peut se vanter d’être l’une des rares marques de chaussures – voire la seule – à avoir figuré aux côtés de John Lobb au catalogue Hermès à une époque. Au fil des décennies, elle s’enrichit de bottillons des années 30 à lacets et crochets, des emblématiques Michael (en 1945), Chambord et Reims (en 1960), sans oublier la William à double boucle (en 1970).
Mais la marque a connu une période sombre et a même failli disparaître. « Les années 80 seront compliquées à cause d’importantes mutations financières et technologiques », confie Pierre Colin. Ainsi, en 1983, Paraboot est mis en redressement judiciaire. C’est dans ce contexte qu’arrive son nouveau président, Michel Richard, le fils de Julien.
« Le plus incroyable est que le derby Michael va nous sauver, grâce au marché italien qui découvre son allure à la fois typée et minimaliste, qui l’adopte et en fait un succès. Par un effet boule de neige, nous avions un carnet de commandes plein sur deux ans ! » Ce miracle à l’italienne permet à Michel Richard de restructurer l’entreprise, de booster la chaussure de ville en 1988, les boutiques, le commerce et de s’étendre à l’Italie, puis au Japon.
Michael, une Jeep aux pieds
Il y a soixante-quatorze ans, ce derby n’avait pas une tête de gravure de mode. Créée en 1945 pour chausser les travailleurs en vue de la reconstruction d’après-guerre, ce marqueur d’une époque est aussi solide qu’économique : deux œillets, un lacet, trois ou quatre pièces assemblées (contre six ou sept pour un soulier de ville), un bourrelet sur son plateau.
A cela s’ajoutent une semelle en caoutchouc crantée et le fameux cousu norvégien issu des savoir-faire montagnards. Pataud, costaud, rural et artisanal, c’est un prototype de Jeep pour les pieds. Son nom? Le prénom américanisé de Michel (Richard) en culottes courtes en 1945, petit-fils du fondateur Rémy-Alexis Richard.
José Bové se la joue « paysan » avec sa Michael, d’autres, comme Michel Houellebecq dans La Carte et le Territoire, lui rendent hommage. Quant à Gérard Depardieu, il aurait refusé mordicus d’en porter… jusqu’au craquage durable.
De nouveaux territoires
Premier marché à l’export encore aujourd’hui, le Japon adore les traditions et voue un culte à Paraboot pour son aspect artisanal, familial et cet âge vénérable qui patine ses cuirs aussi bien que sa légende. « On y est maintenant très implanté dans des centres commerciaux luxueux, en plus de quatre boutiques en propre. En Europe, bien que volage dans ses goûts, l’Italie représente toujours un marché important, et nous possédons également deux boutiques en Belgique. Enfin, Paraboot est très demandé aux Etats-Unis, qui ne sont pourtant pas un marché réputé facile. Nous sommes présents à New York, Los Angeles, Chicago et Boston », indique Pierre Colin.
Séduisant aussi bien les skaters que les baby‐boomers, la marque est devenue patrimoniale, socialement transversale et transgénérationnelle. A tel point qu’elle est accueillie aussi bien chez un distributeur classique que chez Noah, le concept‐store le plus branché de New York. En France, on compte 31 boutiques – la dernière vient d’ouvrir à Versailles –, sans oublier les grands magasins et les 200 adresses qui la référencent, dont les très pointus magasins Merci ou L’Exception. Au total, la marque compte 1 000 points de vente dans le monde.
Multiplication des collab
Si Michel Richard représente la troisième génération de dirigeants, il passe peu à peu la main à la quatrième : Marc-Antoine (directeur de la production), Clémentine (qui a développé les boutiques) et Frédéric Tersen, autre membre de la famille, directeur commercial France depuis vingt ans.
L’entreprise a choisi de multiplier les collaborations particulières, à l’image de celle avec Ermenegildo Zegna, ou avec la jeune garde des bons faiseurs comme Arpenteur, Bleu de Paname, Etudes ou Homecore, qui revisitent la Michael pour la mixer avec leurs vestiaires pour trentenaires.
Chez Paraboot, quatre stylistes chapeautés par un directeur artistique travaillent un subtil mélange de cultures issues des pays d’implantation, comme ces peausseries de couleur – dont un nouveau blanc immaculé et un noir pur qui revisitent le modèle d’après‐ ski Avoriaz – et ces plateaux de chaussures en poils (synthétiques ou non) à la demande du japonais United Arrows. Un trait de blanc sur une semelle, des pièces en tissu additionnées de cuir gras, grené ou veau velours apportent de la fantaisie à cette esthétique rustique, montagnarde et finalement très française.
L’authenticité et la régularité du soin apporté à la fabrication expliquent aussi les commandes renouvelées des corps de la Police nationale, des douanes et de la Garde républicaine. Quant aux 60 m2 du musée au cœur de l’usine, y sont exposées les chaussures de parachutisme des pilotes d’essai du Concorde et des surchaussures en cuir et toile datant de 1952, fabriquées à la demande de Paul-Emile Victor pour son expédition en terre Adélie ! Un vivier tentant où puiser, peut‐être, les modèles iconiques du siècle prochain.
Retrouvez l’interview d’Eric Forestier, Directeur général de Paraboot, dans le numéro 42 de The Good Life (téléchargement gratuit).
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