Horlogerie
Si l’histoire d’Officine Panerai, fondée dans les années 30, a toujours été liée à la mer, elle concernait plutôt sa part sous-marine et militaire. Jusqu’à l’acquisition de l'Eilean, un sublime yacht vintage qui fait aujourd’hui le bonheur des amoureux de la voile durant le Panerai Classic Yachts Challenge.
Vendredi 23 septembre, 11 h 30. Sur les pontons du port de Cannes, l’agitation se propage comme un frisson d’équipage en équipage. Le vent s’est levé. La régate aura bien lieu. Les badauds retrouvent le sourire : ces grands albatros à l’arrêt, prisonniers du fouillis de leurs gréements, vont retrouver leur agilité dans les brises du large. Pour les spectateurs qui clapotent à l’aplomb du soleil sur des bateaux à moteur, la procession de ces antiquités tournoyant dans la baie, toutes voiles blanches dehors, est éblouissante. Dernière étape du Classic Yachts Challenge de Panerai – après Antigua, Antibes, Argentario, Newport, Cowes, Marblehead, Nantucket, Newport et Imperia –, les Régates royales de Cannes accueillent chaque année la fine fleur des voiliers en bois et en métal vintage (construits avant 1950) et classiques (avant 1976) pour des joutes marines qui n’ont de placide que l’apparence. C’est d’ailleurs la première chose que découvre le béotien : les propriétaires étant pour la plupart des hommes d’affaires, la compétition entre les équipages est légère, certes, mais bien réelle !
Lors de ces rendez-vous nostalgiques renaît l’esprit des clubs nautiques, ces entre-soi élitistes formés dans la seconde moitié du XIXe siècle, et dont celui de New York, basé à Newport, demeure l’un des plus fameux. En tête, une obsession : le style. Et si l’élitisme ne structure plus nos sociétés, on se retrouve pour célébrer le souvenir de certaines valeurs aristocratiques – la sportivité élégante, la victoire désintéressée et le goût du jeu et d’un certain dandysme – en réponse aux saccades incessantes de notre époque trop pressée. Et c’est là le brio marketing de nombreuses marques horlogères avec le sport : avoir réussi à commercialiser la nostalgie, à symboliser, par leurs produits, un sentiment d’appartenance à un monde oublié. Le monde de l’horlogerie est un mirage salvateur pour les dépressifs du temps. En matière de storytelling, la stratégie de Panerai concernant le yachting tient du coup de génie et il n’y a donc rien d’étonnant au succès de la marque en France, pays à l’orgueil blessé, dont une partie de la population demeure pathétiquement malade d’une « grandeur » passée.
Des abysses aux lagons
Pour le comprendre, il faut revenir aux origines de la marque dans les années 30, en Italie. Les montres sont alors destinées aux militaires, notamment les plongeurs de la Marine, et leur esthétique martiale accompagne parfaitement la montée du fascisme. Si cette connotation a contribué à fidéliser de nombreux clients, elle était néanmoins difficile à assumer à grande échelle. Angelo Bonati, le patron de la marque, en a donc pacifié l’image en l’orientant vers le soleil, en faisant sortir Panerai de son scaphandre pour lui faire gagner la surface des flots.
Un voyage aux Caraïbes lui en donne l’occasion lorsqu’en 2006 il découvre l’Eilean, un sublime ketch bermudien de 22 mètres laissé à l’abandon dans un mouillage de l’île d’Antigua, les amarres accrochées dans les buissons de la mangrove, privé de mâture, les fargues brisées, le plat-bord démonté, l’accastillage hors d’usage et l’intérieur vidé de son contenu. Comme un symbole, le yacht a été construit en 1936, dans les chantiers écossais Fife, à Fairlie, l’année où Panerai avait mis au point le premier prototype de montre de plongée lumineuse utilisée pour le Primo Gruppo Sommergibili (Premier Corps des forces sous-marines) de la marine royale italienne. Il décide d’en faire l’acquisition et de lui redonner vie.
Convoyé en Italie par cargo, l’Eilean va faire l’objet d’une restauration intégrale visant à en préserver les formes et les caractéristiques, notamment ses sublimes lignes d’eau, ainsi qu’une grande part des matériaux d’origine. Durant deux ans et demi, les travaux vont mobiliser une équipe d’artisans du chantier Francesco Del Carlo, à Viareggio. Et le résultat, en 2009, est proprement spectaculaire. Comme le souligne Angelo Bonati, « voir l’Eilean restitué à sa splendeur passée est une source d’émotions fortes, partagées, j’en suis sûr, par tous les amoureux de la voile d’époque. Avec son élégance sobre et ses lignes impeccables, l’Eilean ne donne pas seulement un extraordinaire exemple de savoir-faire artisanal et d’authenticité, c’est aussi un symbole de cet amour de la mer que seule la voile réussit à exprimer. » Preuve que le très bon marketing est avant tout une affaire de sincérité.