Horlogerie
De Juan Manuel de Prada à Orhan Pamuk, en passant par Eric‑Emmanuel Schmitt, The Good Life a déniché cinq romans à lire sous votre plaid les jours de pluie.
Quand la littérature rencontre l’art, cela produit des romans homériques et passionnants, entre épopée, enquête et voyage initiatique, à lire cet automne.
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1 – L’enchanteur
Le vieux peintre Wang Fô et Ling, son disciple, errent dans le royaume des Han. Arrêtés par les soldats de l’empereur, ils sont condamnés à un terrible châtiment. Car ce dernier, qui a vécu isolé dans la stricte contemplation des oeuvres de l’artiste, enrage que le monde n’atteigne pas la perfection esthétique de Wang Fô.
Cependant, avant l’exécution de la sentence, il s’agira d’honorer une dernière commande… D’inspiration taoïste, ce conte, merveilleusement illustré, occupe une place singulière dans l’oeuvre de Marguerite Yourcenar. Poétique et enchanteur, il aborde le détachement, le dépassement spirituel et l’indicible création. Ou comment donner une vie propre à sa peinture et réaliser l’impossible fusion entre art et réalité.
> Comment Wang Fô fut sauvé, Marguerite Yourcenar et Georges Lemoine (illustrateur), Gallimard jeunesse, 48 p., 25,50 €.
2 – Haletant
Attention chef-d’oeuvre. Istanbul, XVIe siècle. Il neige, un cadavre est retrouvé au fond d’un puits. C’est celui d’un enlumineur de l’atelier du sultan. L’enquête peut commencer. Surtout que le mort nous parle et connaît les raisons de son assassinat.
Roman polyphonique de 59 chapitres où animaux et objets deviennent d’étonnants narrateurs, Mon nom est Rouge est digne des meilleurs polars. Forme, intrigue, personnages hauts en couleur, tout concourt à un formidable et haletant voyage dans le temps. Dans une société baignée d’intolérance islamique et de censure dévastatrice, Pamuk croise avec talent considérations sur l’art et histoire amoureuse.
Sur les traces d’un artiste enquêteur, on découvre le monde merveilleux des miniaturistes et la difficulté d’être un jour déchu. Car le récit, digne d’un opéra antique, n’est qu’un prétexte pour raconter l’éternel combat entre tradition et modernité. Et faire écho à l’acte de créer, d’écrire ou de peindre.
> Mon nom est Rouge, Orhan Pamuk, Folio, 752 p., 13 €.
3 – Un roman hypnotique à lire cet automne
Les jours de Claude Debussy, le célèbre compositeur, sont comptés. Atteint d’un cancer, il sait qu’il ne pourra achever son ultime opéra, l’adaptation d’une nouvelle d’Edgar Poe, La Chute de la maison Usher. Dans un formidable dialogue intérieur, au style hypnotique et saccadé, Emmanuel Régniez nous livre l’intimité d’un musicien alors que la mort rôde.
Aux portes du tombeau, Debussy ne cède rien et rumine sur la place de l’artiste. Il s’interroge, comme sidéré, sur la création, l’imitation ou l’improvisation. « La musique, c’est du rêve dont on écarte les voiles, ce n’est pas l’expression d’une émotion, c’est l’émotion même. »
Obsessions, besoins, hantises, rêveries, ce court récit donne l’envie d’être lu à haute voix pour éprouver les vibrations et la musique du texte. À noter la riche initiative de proposer à la suite la nouvelle de Poe traduite par Baudelaire pour s’immerger encore plus dans les méandres de la maison Usher, même après avoir avalé les épisodes de la série Netflix, inspirée du roman, sortie cet automne.
> Au bord du lit, Emmanuel Régniez, Le Tripode, 128 p., 15 €.
4 – Captivant
S’échapper des griffes de son professeur. Voir la Sérénissime Venise. Enfin, et surtout, admirer le célèbre tableau de Giorgione sur lequel il a écrit une thèse. Voici le plan de rêve d’un jeune universitaire espagnol.
Sauf que… La ville est inondée, et à peine a-t-il débarqué qu’un maître faussaire a la drôle d’idée de venir mourir dans ses bras. C’est le début d’une rocambolesque et captivante aventure qui mêlera considération artistique, passion amoureuse et intrigue policière.
Double jeu ou faux semblants, rechercher une once de vérité dans les personnages reviendra à interpréter le sens caché du tableau. Étonnant travail au style suranné que cette Tempête. Essai d’un érudit, roman de gare, ouvrage érotique ?
Avant tout, un page turner que l’on dévore pour ses splendides descriptions d’une ville qui s’enfonce tandis que l’enquête patauge. Une rencontre réussie entre les beaux-arts et la littérature.
> La Tempête, Juan Manuel de Prada, Le Seuil, 320 p., 20 €.
5 – Malicieux, ce roman à lire cet automne…
Le mythe de Faust revisité. Au bord du suicide, un jeune homme remet son existence entre les mains d’un artiste fou et mégalo et devient Adam bis, une oeuvre d’art destinée à être exposée, vendue, volée, expertisée… Mais est-il toujours un être vivant ou un vulgaire objet de convoitise ?
Dans un style fait d’humour et de légèreté, Schmitt tire à boulets rouges sur des sujets profonds : marchandisation de l’art, règne de l’apparence et déshumanisation des rapports sociaux. Le petit monde de l’art contemporain et de ses arrangements entre experts est passé à la moulinette d’une écriture malicieuse.
Le roman est aussi un long parcours vers l’acceptation de soi, car « il n’y a plus rien de plus interchangeable que la beauté. Une rose, c’est beau. Dix roses, c’est cher. Cent roses, c’est ennuyeux ». Une violente et riante satire du système pour briser le miroir aux alouettes de la pseudo avant-garde.
> Lorsque j’étais une oeuvre d’art, Eric‑Emmanuel Schmitt, Livre de Poche, 256 p., 8,50 €.
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