Architecture
The Good Culture
À l’origine de plus de 600 constructions aux courbes sensuelles, l’architecte et designer brésilien Oscar Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares, plus connu sous le nom d’Oscar Niemeyer, fascine autant par son œuvre pharaonique que par sa vie résolument romanesque. Ce n’est pas Philippe Trétiack qui dira le contraire. L’architecte, professeur et écrivain lui consacre un livre : « Oscar Niemeyer », édité dans la collection La Bibliothèque de l’Amateur. Une belle occasion pour nous de revenir avec lui sur l’épopée admirable de ce maître de l’architecture, ce « géant minuscule », comme il aime le surnommer.
« Ce qui m’intéresse le plus chez Niemeyer, c’est sa vie ! C’est un véritable personnage de roman, bouleversant d’humanité », assène Philippe Trétiack. Bâtisseur de génie, Oscar Niemeyer a toujours été fidèle à ses idées et au Parti communiste. Lors de son discours prononcé en 1995, Fidel Castro a d’ailleurs dit à son propos : « Il ne reste que deux communistes au monde, moi et Oscar ». Œuvrant pour les plus riches, Niemeyer avouera que la construction de Brasília fut un échec, car les pauvres en ont été chassés. Une fois les travaux terminés, les ouvriers ont été parqués à trente kilomètres de la nouvelle capitale, dans des villes satellites. Mais Brasília reste sans conteste son grand-œuvre, un projet unique au monde dont rêvent tous les architectes : faire sortir de terre une capitale entière !
Lire aussi : Philippe Prost, l’architecte qui défie le temps grâce à la mémoire
Du béton mais de l’élégance
Oscar Niemeyer naît en 1907 dans un quartier favorisé de Rio de Janeiro, baptisé Laranjeiras, les orangers en français. À cette époque, l’architecture baroque portugaise prédomine au Brésil, mais le jeune homme va lui offrir un nouveau visage et une identité singulière ! En 1922, le pays entre en ébullition. Le ministre de la Culture Gustavo Capanema demande aux artistes de faire preuve de « brésilianisme ». Message reçu ! Niemeyer se met à la tâche, il construit une crèche à Rio (1937-1940), puis participe à l’élaboration du pavillon du Brésil à l’Exposition universelle de 1939, grâce à son ami Lúcio Costa.
Tout bascule en 1940. Le jeune homme rencontre Juscelino Kubitschek, le maire dynamique de Belo Horizonte qui lui confie le projet du lac artificiel de Pampulha, au bord duquel il prévoit d’édifier une église, un casino, un yacht club et des bâtiments publics. Niemeyer accepte, excelle et se positionne en architecte moderne. Rompant avec les angles droits, il se démarque de son mentor Le Corbusier, avec qui il collaborera pourtant en 1947 sur le projet du siège des Nations unies, à New York. « Grâce au béton, matériau malléable, Niemeyer s’affirme alors comme le chantre de la courbe », précise Philippe Trétiack.
Une rencontre déterminante
En effet, Oscar Niemeyer est l’architecte de la courbe ! Il en a fait sa signature, parfaitement identifiable. Ses courbes généreuses, Niemeyer en trouve l’inspiration dans les cités coloniales de la région de Belo Horizonte, de Ouro Preto à São João del-Rei en passant par Diamantina, mais aussi dans la baie de Rio, et plus tard dans une photographie de Lucien Clergue qui traînait sur son bureau, représentant trois femmes nues sur la plage de Copacabana.
Le photographe et l’architecte se sont rencontrés en 1962, dans le but d’immortaliser Brasília dans un beau livre. Brasília justement, revenons-y. En 1955, Juscelino Kubitschek devient président de la République. Une aubaine pour Niemeyer ! Le politicien lui confie alors différents projets : une bibliothèque, une banque, des immeubles résidentiels, un hôpital… puis, en 1955, la construction d’une nouvelle capitale – projet inscrit dans la constitution depuis 1891 -, aux côtés de son grand ami, l’urbaniste Lúcio Costa.
Un projet unique au monde
« À ce moment-là, la vie de Niemeyer se révèle une nouvelle fois cinématographique. Il dessine et construit dans la foulée. La ville s’est faite en trois ans, c’est fou ! », précise Philippe Trétiack. Pour autant, rien n’est bâclé, bien au contraire. L’architecte y affirme sa singularité. Le cahier des charges est clair : construire des bâtiments qui subliment l’autorité de l’État. Mais, il exprime clairement sa volonté de ne pas renouer avec l’architecture dictatoriale et écrasante des années staliniennes, mussoliniennes ou hitlériennes. Au contraire, il souhaite façonner des monuments accueillants. Pour ce faire, il doit innover. Il invente alors une nouvelle colonne, « ce qui était loin d’être une mince affaire ».
Comme on dit, il est très difficile de dessiner une nouvelle chaise, tant il en existe de toutes sortes. Pour les colonnes, c’est pareil, mais lui y arrive. Il crée une colonne fine qui va en s’effilant vers le haut et qui a tendance à disparaître. Cette innovation majeure fait de son architecture un acte démocratique admirable », rappelle-t-il. Cette colonne singulière, on la retrouve dans le Palácio da Alvorada, le premier bâtiment inauguré de Brasília en 1958, puis dans le Tribunal suprême fédéral de Brasília… Au fil du temps, toute la cité prend forme sous le trait aérien du maître, telle une caresse, saluée dans le monde entier ! Niemeyer raconte d’ailleurs, selon Philippe Trétiack, qu’en 1964, lors de son exil à Paris, il s’est faufilé dans une salle de cinéma pour regarder L’Homme de Rio de Philippe de Broca, et qu’il a été particulièrement ému d’entendre les spectateurs applaudir au moment où ils ont découvert des vues de Brasília, symbole de modernité.
Du blanc, du verre et des courbes : la signature Niemeyer
Mais, l’œuvre de Niemeyer ne se résume pas à Brasília. En 1966, Niemeyer inaugure l’Edifício Copan, un gratte-ciel résidentiel de 140 mètres de hauteur tout en courbe, devenu le refuge de l’intelligentsia pauliste. En 1996, il dépose sur une crête, située dans la baie de Rio de Janeiro, le musée d’Art contemporain de Niterói, qui évoque une soucoupe volante. Fort de ces succès, il répand ses courbes dans le monde entier, et notamment en France, signant en 1980 le siège du Parti communiste français aux formes telluriques, situé place du Colonel-Fabien, à Paris, en 1982 la Maison de la culture du Havre, dite le Volcan, ou encore en 2013, un an après sa mort, un pavillon au domaine viticole Château La Coste, situé au cœur de la Provence.
On y retrouve sa signature complète : un blanc maculé, de larges baies vitrées et des courbes prononcées. Ce sera sa dernière création (entamée en 2010). Mais pour Philippe Trétiack, sa maison personnelle, surnommée la Casa Das Canoas, construite à l’aube des années 1950 et épousant à merveille le relief, reste une de ses plus belles réussites : un manifeste architectural !
« Oscar Niemeyer », La Bibliothèque de l’Amateur. 20 euros. Acheter.
Lire aussi : Ace Hotel Kyoto : refuge urbain cool par le starchitecte Kengo Kuma