Culture
The Good News
La hotte de Mère Littérature est pleine et concerne toute la famille. Il y en aura pour ceux qui aiment les polars ou les romans d’Histoire, dévorent les ouvrages de cuisine ou les essais, consultent les grands classiques ou les bandes dessinées, comme pour ceux qui n’imaginaient même pas ouvrir un livre. Découvrez 10 publications à offrir à Noël.
Qui a déjà reçu un livre en cadeau sait à quel point l’attention est touchante. D’abord le geste, évidemment, puis l’idée : s’imaginer que la personne ait pensé à vous en lisant quelques pages ou en écoutant une chronique littéraire, voire qu’elle se soit projetée dans vos goûts pour un achat qu’elle n’aurait jamais réalisé pour elle-même, relève du sublime. Si vous êtes plus flemmard, on vous a concocté une liste pour la belle-mère politisée, le cousin ronchon ou la tante jamais avare de ragots. À vous de retrouver le membre de votre famille qui collera aux descriptifs de ces livres — et joyeux Noël, Félix !
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Les livres pour chaque membre de la famille pour Noël
Un livre pour celui ou celle qui sait tout sur tout
(et voudra évidemment évoquer le débat autour du nouveau Goncourt)
Houris, de Kamel Daoud
L’occasion pour lui de le lire, ce fameux bouquin accusé de trahir le secret médical. Partout dans la presse, on peut lire que l’auteur franco-algérien et sa femme, psychiatre, sont accusés de raconter l’histoire d’une patiente. Bad buzz mis à part, l’histoire, fictive ou non, raconte une victime de la décennie noire en Algérie. Celle dont on ne peut plus parler dans le pays d’Afrique du Nord, ce qui rend d’ailleurs l’ouvrage interdit de diffusion.
Kamel Daoud relate l’histoire d’Aube, une jeune Algérienne qui a été égorgée et laissée pour morte par des islamistes lors du massacre du village Had Chekala, le 31 décembre 1999 (dans lequel ont été tués son père, sa mère et sa sœur). Depuis, elle ne parle plus : ses cordes vocales ont été tranchées, et une canule lui permet de respirer et « pétrifie les gens autour de moi comme du fil de fer barbelé. C’est la longue signature calligraphiée du meurtrier qui ne m’acheva pas faute de temps. »
Le récit débute le 16 juin 2018. La jeune femme habite désormais Oran. Elle est enceinte, d’une fille. Et c’est sa voix intérieure que nous sommes autorisés à lire dans tout le reste du récit, où on la voit retourner dans son village d’enfance pour chercher ses réponses. Un texte intense, récompensé par le prestigieux prix Goncourt, lyrique et grave, dont on ne ressort pas indemne, même pour ceux qui savent tout sur tout.
Houris, de Kamel Daoud, aux éditions Gallimard.
À celui ou celle qui ne parle que de bouffe
(et qu’on appelle systématiquement pour savoir où dîner)
Le Château, de François Chevalier et Stéphane Peaucelle-Laurens
Le Château, pour les connaisseurs, c’est le restaurant parisien Le Châteaubriand situé avenue Parmentier dans le 11ᵉ arrondissement. Ce lieu a bousculé les codes de la restauration grâce à son chef Inaki Aizpitarte et son associé Fred Peneau, qui ont su mêler la bonne bouffe d’un gastro à l’esprit et à l’ambiance d’un bistrot. Un interviewé affirme même que le mot « bistronomie », inventé par Sébastien Demorand, l’aurait été pour la cuisine d’Inaki.
Cet ouvrage, qui n’a rien d’un livre de cuisine, raconte leur aventure à travers 100 témoignages découpés chronologiquement. Ça fourmille, ça raconte des blagues, ça ne retient pas ses coups. Bref, ça va bien au-delà d’un restaurant (qu’on n’est même pas obligé de connaître pour apprécier) : une époque, un microcosme, une société, la food en général et son développement dans le 11ᵉ arrondissement de Paris.
L’objet est déjà fascinant : c’est un pavé qui reprend les codes esthétiques et graphiques de la Pléiade. En quatrième de couverture, la chanson que Jonathan Cohen et Fred Peneau ont composée pour les clients donne le ton. En incipit, les mots du journaliste du Guardian : « xx ». Chaque page est un délice : c’est un bijou, un ovni, un cadeau extraordinaire. Attention, tirage limité à 2000 exemplaires seulement.
Le Château, de François Chevalier et Stéphane Peaucelle-Laurens, aux éditions Entorse.
À celui ou celle qui aime la littérature
(et dont on voit toujours une page cornée dépasser de la poche ou du sac)
Jour de ressac, de Maylis de Kerangal
On peut tomber amoureux du Havre, si, on vous jure. Il suffit de lire ce livre. Avec la grâce qu’elle distille lorsqu’elle manie les mots avec brio, Maylis de Kerangal nous plonge dans une étrange histoire où le béton de la ville est un des personnages principaux.
La vie d’une femme est bousculée lorsqu’on retrouve son numéro de portable sur un ticket de cinéma dans la poche d’un cadavre sans visage sur une plage de la ville. Mais qui est-il ? L’a-t-elle déjà croisé ? L’autrice trempe ici du côté du roman noir en faisant revenir son héroïne sur les pas de son enfance avec une écriture unique. On aurait presque envie de disséquer ses phrases autant que ce macchabée. Maylis de Kerangal envoûte et fascine.
Jour de ressac, de Maylis de Kerangal, aux éditions Gallimard.
A celui ou celle qui refuse d’ouvrir des livres — même à Noël
Le roi méduse, de Brecht Evens
Parfois, on regarde une couverture sans grande conviction. Et soudain, grâce aux dessins de l’auteur belge de bandes dessinées Brecht Evens, la perspective d’une lecture réjouissante s’entrouvre.
Mais quel est donc cet incroyable objet qu’on tient entre les mains ? Chaque illustration étant un tableau, chaque idée narrative, une innovation ! C’est stupéfiant.
Mais pour vous convaincre, laissez-nous vous raconter un peu l’histoire : « Arthur grandit en voyant le monde à travers les yeux de son père, c’est-à-dire un monde hostile et violent, menacé par un vaste complot, où il faut se méfier de tout : l’école, les voisins, les médias, les amis… Claquemurés dans leur maison transformée en citadelle, le père et le fils s’entraînent pour le grand combat à venir contre les forces du mal. Quand le père disparaît mystérieusement, Arthur, dix ans, doit se débrouiller seul pour le retrouver. » Et si le résumé ne vous dit rien, vous louperiez une des plus belles histoires de l’année qui attend désormais son tome 2. Heureusement, celui à qui vous l’offrirez pourra vous la raconter.
« Le roi méduse », de Brecht Evens, aux éditions Actes sud.
Un livre pour Noël pour ceux qui vivent en Absurdie
Fort Alamo, de Fabrice Caro
Mais quel plaisir de lire ce livre ! Vous devriez faire hurler de rire le destinataire de votre cadeau avec ce roman sans queue ni tête.
L’histoire d’un prof qui va au supermarché, un type lui passe devant, il râle et maugrée. Le type tombe et meurt d’un AVC. A l’école, il rouspète contre la directrice et, bam, elle tombe raide d’un AVC. Et voici un énième héros du grand Fabrice Caro, nommé ici Cyril, doté d’un bien curieux don. « C’est le début d’une série de faits similaires qui le plongent dans une angoisse existentielle. Ou est-ce plutôt la disparition récente de sa mère, la nécessité de vider la maison de son enfance ? À moins que ce ne soit Noël qui approche, les cadeaux à trouver, le repas chez la belle-sœur… »
Pour l’auteur, les petits riens de la vie sont autant de scènes à creuser qui disent bien plus de nous qu’un long essai sur le développement personnel. Attachez vos ceintures, tenez bien vos côtes, et que la marrade acrimonieuse débute !
« Fort Alamo », de Fabrice Caro, aux éditions Gallimard.
On continue la liste des livres à offrir à Noël…
A celui ou celle en mal d’amour qui a besoin de réconfort
Intermezzo, de Sally Rooney
On plonge dans un Sally Rooney (l’autrice star de sa génération dont le roman Normal People fut un carton en série et révéla cette Irlandaise de 33 ans) sans y prendre garde. On fait d’abord la tronche devant ce pavé de 464 pages puis on se délecte de chaque page, essayant de rester toujours un peu plus longtemps avec les personnages qu’elle crée, réels par leurs défauts, touchants par leurs manquements, sexy grâce à des scènes de cul sans pareil.
Sally Rooney écrit, certes, sur notre temps mais développe tout un langage de l’instant. Ses phrases s’entrecoupent, ne se terminent parfois même pas, comme si nous étions dans la tête des 5 personnages principaux, là où les pensées s’entreveschent. C’est doux, c’est agréable, c’est fluide. Elle y raconte l’histoire de deux frères, meurtris par la mort de leur père, que le temps a séparé. L’ainé est fier et arrogant, il enchaine les conquêtes et cache un profond mal-être. L’autre est brillant et rationnel, socialement incompris et s’épanouira au contact de son premier grand amour. Le tout ne prend pas le lecteur pour un idiot, évoque plus qu’il n’explique et c’est si bon, comme de trainer dans le monde de la décidément talentueuse Rooney.
« Intermezzo » de Sally Rooney, aux éditions Gallimard
A ceux qui jurent au repas de famille que Roger Vadim s’est uni à Jane Fonda dans le patelin voisin
Villages people, de Matthias Debureaux
« 500 Villages, 500 Célébrités » promet le sous-titre. Tout un programme, qu’a suivi l’auteur à vélo pendant 4 ans pour écrire cette future bible façon « Who’s who ».
Joséphine Baker, Paul Verlaine, Mata Hari, Michel Platini, Madonna, Henry Miller, Elsa Schiaparelli, Buster Keaton, Oscar Wilde, Colette, Geroges Braque ou Jimi Hendrix ont tous quelque chose de la campagne française en eux. C’est léger, c’est joyeux, c’est parfait pour le « small talk » des repas de Noël et c’est encore mieux si ça vous donne envie de creuser et de vous immerger dans toutes ses vies hors-normes.
« Villages people » de Matthias Debureaux, aux éditions Allary.
A celui ou celle qui aime ou étudie l’Art, de près ou de loin
Nusch Eluard, Sous le surréalisme, les femmes, de Joana Masó
Promis, après avoir célébré le centenaire du Surréalisme, ce courant dadaïste qui continue d’avoir tant d’influence dans tous les arts aujourd’hui, on arrêtera de vous pomper l’air avec ça. En attendant, c’est un obligatoire de ces fêtes de Noël que d’offrir cet ouvrage sur Nusch Eluard, née Maria Benz à Mulhouse le 21 juin 1906.
Lorsqu’on s’intéresse à Man Ray, Picasso et, évidemment, Paul Eluard, Nusch n’est jamais loin mais n’a pas de voix. L’autrice compte bien lui en redonner une ici, dans ses pages qui retracent la vie splendide de cette femme dédiée à la création artistique. Non, Nusch Eluard n’était pas une muse, elle était la Liberté et la Gravité, elle était artiste.
« Nush Eluard, Sous le surréalisme, les femmes » de Joana Masó, aux Editions Seghers.
A celui ou celle qui adore la science-fiction
(et multiplie les références aux genres dans une sorte de ‘private joke’ sans fin)
Girlfriend on Mars, de Deborah Willis
Un premier roman encensé par la critique mérite d’être lu, point. Mais un premier roman qui entremêle les genres pour mieux faire exploser les idées reçus mérite d’être offert. S’il peut être un pont avec le cousin qu’on ne comprend pas toujours, tant mieux, essayons. Ici, Kevin et Amber, 31 ans, sont un couple solide. Du moins c’est ce qu’on croit.
Car Amber rêve d’ailleurs. Et elle entrevoit une prochaine obsession avec une téléréalité permettant à un homme et une femme de partir sur Mars. Le ton est rapide, l’humour corrosif, Deborah Willis dépeint de jeunes gens avides d’une « vie réussie » et pose la question : que faire quand la planète brûle ? Sous ses airs de satire de la société et de comédie via la téléréalité, le bouquin est d’une piquante actualité, un peu désespéré mais cynique, ô combien cynique. L’un des meilleurs livres à offrir à Noël !
« Girlfriend on Mars », de Deborah Willis, aux éditions Rivage.