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Nissin : l’empire de la nouille japonaise
Nissin : l’empire de la nouille japonaise
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The Good Business

Nissin : l’empire de la nouille

The Good Business

Il s’en vend presque 100 milliards de portions dans le monde chaque année. Pourtant, ce nom ne vous dit sans doute rien. Momofuku Ando a bâti Nissin, un véritable empire qui réalise un chiffre d’affaires de presque 4 milliards d’euros… Un sujet The Good Life… passionnant !

Le bol Nissin est vendu à un prix modique, mais il vaut de l’or. Dans les rayons des supérettes et supermarchés japonais où il est omniprésent, le Cup Noodles se monnaie 1 euro à peine. En France, il est commercialisé sous le nom discret de « nouilles japonaises » à moins de 3 euros. Tous contiennent des ramen instantanés, des pâtes de blé qui se dégustent dans un bouillon, inventées il y a près de soixante ans et devenues l’ordinaire des étudiants sans le sou, des maris esseulés et des salariés pressés.

Un petit creux ? « Soulevez le couvercle, versez de l’eau chaude et, trois minutes plus tard, les pâtes sont prêtes », résume Daisuke Okabayashi, du département des relations publiques à Tokyo. Les nouilles lyophilisées de Nissin ont révolutionné les habitudes alimentaires de l’Archipel et sont consommées désormais partout sur la planète. Selon une enquête menée en 2000 par l’institut de recherche Mizuho, elles trônent en tête des meilleures inventions nippones du XXe siècle, devant les baladeurs, les CD ou les jeux vidéo. Plus de 5 milliards de récipients et de sachets sont vendus chaque année au Japon, près de 100 milliards à travers le monde – Chine et Indonésie en tête.

Les nouilles sont proposées partout dans le monde en sachets ou en bols.
Les nouilles sont proposées partout dans le monde en sachets ou en bols. DR

Nissin Foods Group, le pionnier, reste le leader mondial, en dépit des multiples et incessantes imitations. La petite entreprise, fondée en 1948 à Ikeda, dans la préfecture d’Osaka, compte désormais 11 710 employés répartis sur 43 sites et 19 pays. Un empire bâti sur des nouilles. Au rez-de-chaussée du musée de Yokohama, un Cup Noodles à taille humaine trône en solitaire dans un vaste hall d’un blanc immaculé. Un escalier en bois clair invite le visiteur à prendre la pose, puis à gravir les cinq étages de ce temple à la gloire de Momofuku Ando, le fondateur du Nissin Foods Group. Une mise en scène moderne et didactique, des lignes épurées… 10 000 m2 conçus par Kashiwa Sato, l’un des directeurs artistiques les plus réputés au Japon, concepteur, notamment, du logo d’Uniqlo. Et soudain, apparaît une petite cahute en bois reconstituée pour mieux raconter les débuts de la firme.

Nissin, la naissance du fast-food nippon

Tout a commencé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pendant la période de restriction alimentaire. Voyant les longues files d’attente, en plein hiver, pour un simple bol de ramen, Momofuku Ando réalise l’énorme potentiel de ce plat auprès des Japonais. En cette période d’occupation (1945-1952), le riz manque encore, et le gouvernement recommande la consommation de blé fourni par les Américains, mais celle-ci se fait alors principalement sous forme de biscuits ou de pain.

Le fondateur de Nissin, Momofuku Ando.
Le fondateur de Nissin, Momofuku Ando. DR

Quand sa banque fait faillite, Momofuku Ando décide de se consacrer à son idée : « des ramen qui peuvent être rapidement préparés et mangés à la maison avec seulement de l’eau chaude ». Il construit une petite maison en bois dans l’arrière-cour de sa maison, à Ikeda, et réunit quatre grands ingrédients : farine de blé, eau, sel et kansui, une eau minérale alcaline qui donne aux pâtes leur teinte dorée, leur texture plus ferme et plus élastique. La légende véhiculée par Nissin parle d’un an de labeur où « il ne dort que quatre heures par nuit et où chaque jour est une lutte désespérée ». Toute la famille met la main à la pâte. Après de multiples essais infructueux, il comprend, en observant sa femme cuisiner des tempura (des beignets de légumes, de poisson…), qu’il faut frire les pâtes dans un bain d’huile à 160 °C pour les assécher. L’eau s’évapore, laissant un grand nombre de porosités dans les nouilles, ce qui permet à ces dernières d’absorber facilement l’eau chaude que l’on versera plus tard pour qu’elles retrouvent leur consistance initiale. De plus, cette technique assure la conservation du plat pendant six mois à température ambiante, puisque l’absence d’humidité empêche le développement de micro-organismes.

Les lignes de production des usines Nissin sont entièrement automatisées.
Les lignes de production des usines Nissin sont entièrement automatisées. DR

En 1958, à 48 ans, Momofuku Ando lance les chicken ramen, des nouilles séchées au poulet. Ce produit non périssable, économique et facile à préparer décroche le surnom de « magic food ». Le succès est fulgurant, le fast-food nippon est né. En 1971, seconde révolution. Alors qu’il fait une démonstration aux Etats-Unis, Momofuku Ando a la surprise d’observer des acheteurs briser les nouilles séchées, les mettre dans une tasse en papier, verser dessus de l’eau chaude et les manger avec une fourchette. Il a dès lors l’idée d’un nouveau conditionnement : un récipient jetable en polystyrène qui sert à la fois d’emballage et de bol pour ses nouilles instantanées. Baptisé Cup Noodles, le duo est proposé à 100 yens, soit quatre fois plus cher que la version en sachet. Beaucoup de gens doutent de son succès.

Des pâtes adaptées à chaque pays

Décidé à contrer la faible popularité auprès des détaillants, Momofuku Ando rivalise d’ingéniosité. A Tokyo, il vend des Cup Noodles dans la rue principale, le dimanche, lorsque celle-ci est fermée à la circulation. Il s’installe juste en face du grand magasin Mitsukoshi du quartier de Ginza, un endroit particulièrement attractif, sachant que le premier McDonald’s du pays y a ouvert ses portes quatre mois auparavant. Il distribue aussi ses denrées à des institutions telles que la police et les forces d’autodéfense. En février 1972, lors de la prise d’otage du chalet d’Asama par l’Armée rouge, dans la préfecture de Nagano, les téléspectateurs voient la police avaler régulièrement des Cup Noodles pendant les dix heures de siège diffusées en direct. Coup de pub inattendu. Dès lors, le succès sera exponentiel : 3,7 milliards d’unités sont consommées en 1977, 20 milliards en 2003, 25 milliards en 2006.

Dates clés

  • 1948 : à la suite d’une série de faillites, l’homme d’affaires Momofuku Ando fonde une nouvelle entreprise à Ikeda, près d’Osaka, qui deviendra la Nissin Foods.
  • 1958 : mise en vente des chicken ramen, les nouilles instantanées inventées par Momofuku Ando.
  • 1970 : création d’une antenne à Gardena, en Californie (Etats-Unis), la première à l’étranger.
  • 1971 : lancement de la marque Cup Noodles, des nouilles vendues dans un bol jetable, nouvelle invention majeure.
  • 1993 : arrivée des produits Nissin sur le marché français.
  • 1999 : ouverture d’un musée à Osaka.
  • 2003 : record de ventes pour la marque Cup Noodles depuis son lancement, avec 20 Mds d’unités vendues dans le monde.
  • 2005 : troisième invention de Momofuku Ando, les Space Ram, un produit spécialement mis au point pour les astronautes de la navette spatiale Discovery.
  • 2006 : nouveau record de ventes pour la marque Cup Noodles, avec 25 Mds d’unités vendues dans le monde.
  • 2007 : décès de Momofuku Ando, à l’âge de 96 ans, un an après avoir pris sa retraite.
  • 2008 : le groupe devient une holding.
  • 2010 : lancement de la gamme Demae Ramen Cups en Europe.
  • 2011 : ouverture d’un vaste musée à Yokohama.
  • 2012 : lancement d’une nouvelle gamme de produits en Europe, les nouilles Soba en bols et en sachets.

« Nous avons tellement de variétés que nous ne pouvons pas les compter ! » s’exclame Kahara Suzuki, du département des relations publiques à Tokyo, devant un mur décoré de 3 000 produits différents. « Il faut se renouveler en permanence, en fonction des saisons, des goûts des consommateurs, des régions… » Nissin sait en effet mettre ses pâtes à toutes les sauces. Aux Etats-Unis, les nouilles sont moins longues pour être mangées avec des fourchettes. En Indonésie, elles ne comportent aucune trace de porc pour plaire aux musulmans. En Inde, elles n’ont pas de bouillon, car ce dernier ne figure pas dans les coutumes alimentaires locales. Fournisseur de la maison impériale, Nissin joue aussi la carte de la qualité.

Il souligne à l’envi que ses aliments industriels ne contiennent pas d’additifs chimiques. Et propose, depuis 2009, une version à 198 kilocalories – soit 60 % de moins que l’original – en utilisant des nouilles riches en fibres et une technique de séchage à l’air sans friteuse. Contrôlant plus de la moitié d’un marché japonais saturé, Nissin se tourne rapidement vers l’international. En 2004, son alliance avec le groupe chinois Hebei Hualong F&N Industry Group Co. le propulse numéro un mondial en parts de marché. En 2006, il fait une offre amicale d’achat quand l’entreprise concurrente Myojo, à Singapour, risque d’être rachetée par un fonds d’investissement américain. Le 1er octobre 2008, le groupe devient une holding, dirigée par Koki Ando, le fils du fondateur.

Les nouilles instantanées ont droit à deux musées, l’un à Osaka, le second à Yokohama ! ces Cupnoodles Museums proposent, entre autres, le History Cube (image de une), avec les 3 000 produits de la marque présentés par ordre chronologique, et, comme sur cette photo, une reconstitution du premier atelier de Momofuku Ando.
Les nouilles instantanées ont droit à deux musées, l’un à Osaka, le second à Yokohama ! ces Cupnoodles Museums proposent, entre autres, le History Cube (image de une), avec les 3 000 produits de la marque présentés par ordre chronologique, et, comme sur cette photo, une reconstitution du premier atelier de Momofuku Ando. DR

Mais la firme continue de miser avant tout sur l’innovation. En témoigne le voyage dans l’espace que s’offrent les nouilles instantanées, en juillet 2005 : pour l’occasion, la soupe est épaissie pour ne pas s’échapper en apesanteur ; les nouilles sont enduites de blanc d’œuf pour éviter qu’elles ne se désagrègent en l’absence de gravité ; leur forme et leur taille sont repensées pour pouvoir être mangées en une seule bouchée ; leur saveur est relevée, car le goût s’émousse dans l’espace ; la proportion d’amidon dans la farine est adaptée à une cuisson à 70 °C, puisque l’eau ne bout pas dans un vaisseau spatial en raison de la faible pression de l’air. L’astronaute Soichi Noguchi teste les Space Ram à bord de la navette Discovery. Momofuku Ando réalise un rêve, à 95 ans. « Il n’est jamais trop tard dans la vie », aimait à répéter l’empereur des nouilles prêtes en un clin d’œil.


 

 

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