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Restos du Cœur en difficulté, séisme au Maroc… À l’occasion d’événements récents, dans les situations d’urgence, les appels à la générosité se multiplient. De l'aide, associations et ONG en ont besoin toute l'année mais il n'est pas toujours évident de déterminer la ou les causes à privilégier et la manière de s’y prendre. Recommandations d'experts en mécénat.
Jusqu’où iriez-vous pour la bonne cause ? Donner l’intégralité de votre fortune à l’instar du milliardaire Chuck Feeney ? Ou en investir « seulement » la moitié comme Gates et autres Buffett, voire 10 % en suivant les préconisations des anciens patrons d’Axa et de Sanofi avec leur projet « changer par le don » ? Qu’elle s’exprime avec éclat ou non, la néophilanthropie fait des émules en France. Le pays compte 5300 fondations et fonds de dotation actifs, soit cinq fois plus qu’il y a 20 ans selon l’observatoire de France générosités. Ces structures brassent quelque 40 milliards d’euros d’actifs et en ont dépensé près de 15 milliards en 2021.
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Investir maintenant ou plus tard ?
« Quand on a réussi dans son parcours professionnel, on a souvent envie d’aller plus loin, de développer un volet social », note Sophie Fourchy, fondatrice du cabinet de conseil Philantreprise et ancienne dirigeante de la fondation Carrefour. Constat partagé par Croisine Martin-Roland, responsable de l’accompagnement philanthropique chez Société Générale private banking, qui « accompagne des entrepreneurs à succès souhaitant avoir un impact positif sur la société, sans avoir à attendre la retraite pour cela ».
Parmi ces néo-bienfaiteurs très courtisés figurent par exemple le très médiatisé Alexandre Mars. Mais aussi le créateur de Doctolib, Stanislas Niox-Château, qui a créé avec sa femme Okola, une fondation dédiée au bien-être des enfants.
Point notable, les femmes philanthropes, bien que minoritaires et rarement mises en avant, sont de plus en plus nombreuses, d’après le dernier observatoire de la Fondation de France.
« Les bienfaiteurs de la ‘next-gen’ restent marginaux, même parmi ceux qui débutent dans le mécénat, qui sont surtout des sexagénaires en deuxième partie de vie professionnelle », prévient Joseph Le Marchand, responsable du bureau français de la fondation Roi Baudouin, une « méta-fondation » qui abrite quelque 1300 structures européennes.
Néophilanthropie : choix du cœur ou de raison ?
Pour les néophytes, quel que soit leur âge, de nombreux paramètres doivent être pris en compte, à commencer par les causes dans lesquelles s’impliquer.
L’action sociale reste le premier domaine d’intervention des organismes philanthropiques : en 2022, quelque 40 % de leurs dépenses lui étaient consacrés d’après la Fondation de France. Viennent ensuite les arts et la culture, la santé et la recherche médicale, l’éducation et la formation, et enfin l’environnement. Mais ce dernier prend davantage d’importance.
13 % des organisations créées depuis 2019 s’y impliquent, alors qu’elles n’étaient que 5 % vingt ans plus tôt. Un phénomène observé par Sabine Roux de Bézieux, présidente de l’association Un Esprit de Famille, qui réunit des fondations familiales et qui dirige elle-même plusieurs fondations : « Selon les générations, les préoccupations ne sont pas toujours les mêmes, et les plus jeunes – plutôt des quadragénaires – s’impliquent davantage dans les sujets relatifs à la protection de l’environnement ».
Les choix du cœur ne s’opposent pas nécessairement à ceux de la raison. Aux bienfaiteurs qu’elle conseille et fait « accoucher » de leurs projets, Croisine Martin-Roland suggère de « chercher les ‘trous dans la raquette’, jouer collectif, rencontrer les associations, les autres philanthropes… », afin de combler des manques.
Il existe toujours des causes négligées. « La réinsertion des prisonniers, la lutte contre les addictions, les migrants… beaucoup de sujets restent compliqués à aborder, surtout à l’époque où les réseaux sociaux amplifient les réactions », souligne Céline Laurichesse, fondatrice de l’agence de conseil en mécénat Assemble. Cette dernière, qui fut l’une des instigatrices du festival Solidays indique même que des thématiques comme la sexualité restent taboues.
Toutefois, des « causes oubliées », voire clivantes, trouvent elles aussi leurs avocats. Ce serait même une motivation supplémentaire pour une partie des nouveaux venus dans le monde de la bienfaisance. Joseph Le Marchand observe ainsi « une volonté, jamais exprimée comme telle, et pas toujours consciente de sortir du lot, de démontrer ses qualités d’entrepreneurs avec une vision disruptive. Cela peut conduire à adopter des causes oubliées ou des approches différenciantes, comme l’investissement à impact ou la générosité extrafinancière. »
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Quelle stratégie (néo)philanthropique ?
A une philanthropie principalement constituée d’héritiers se substitue donc un mécénat d’entrepreneurs à l’origine d’une fortune qu’ils entendent bien dépenser comme ils l’entendent. De ce point de vue, le style des plus jeunes diffère de celui de leurs aînés. Ils importent en effet dans le domaine de la générosité non seulement le vocabulaire mais aussi les méthodes auxquelles ils sont habitués dans le monde de l’entreprise et adoptent donc de véritables stratégies.
« Ce mot d’origine militaire ensuite utilisé dans le monde de l’entreprise capitalistique est relativement nouveau dans le milieu de la néophilanthropie où ce sujet n’était pas forcément abordé peut-être parce que l’on se disait que donner devait être spontané, naturel, et faisait appel à des valeurs », explique Arthur Gauthier, directeur exécutif de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC et co-auteur d’un ouvrage sur le sujet (Vers une philanthropie stratégique, Odile Jacob, 2017).
Dans cet esprit, les « philentrepreneurs » tendent désormais à formaliser par écrit « leur positionnement, défendre une théorie du changement en détaillant leur stratégie d’action », note Joseph Le Marchand. Tels des investisseurs face à des start-up, les bienfaiteurs choisissent leurs ONG et association avec un soin scrupuleux et s’impliquent de façon plus ou moins étendue dans leurs opérations. C’est le principe de la « venture philantropy », qui permet d’une part aux porteurs de projet de gagner en efficacité ou de se faire connaître, mais aboutit aussi à des risques d’ingérence. « Attention à ne pas adopter une posture trop arrogante ou s’immiscer de façon excessive dans les activités des associations » met ainsi en garde le représentant de la Fondation Roi Baudoin.
Quelles exigences pour investir malin ?
« Une idée reçue consiste à croire qu’il faut éviter les frais de fonctionnement. Mais on ne peut pas tout faire reposer sur des bénévoles. Un réel accompagnement, cela a un coût, il faut y mettre le prix sinon, un jour ou l’autre, on le paye », prévient Sophie Fourchy. Une tendance inverse consiste à engager des fonds de façon massive et durable pour soutenir les « fonctions support » des structures que l’on soutient.
L’autre grand point d’attention concerne les mesures d’impact (quantifier les effets générés, positifs ou négatifs, pour une structure dans sa globalité ou pour un programme en particulier, ndlr). Désormais incontournables, elles impliquent la mise en œuvre de moyens et de temps dont les ONG ne disposent que rarement. « L’objectivation permet de réelles avancées », estime Joseph le Marchand, qui nuance et regrette que l’on « cherche à faire entrer toute la complexité du monde dans un tableau Excel ». En outre, « les mesures d’impact sont délicates, on peut mettre ce que l’on veut derrière certains chiffres » abonde Sabine Roux de Bézieux qui préconise « l’évaluation plutôt que la mesure ».
Traiter les « causes racines » ?
Prendre le mal par la racine. Ainsi pourrait-on résumer l’approche la plus en vogue, dite « systémique », adoptée par des organisations comme Ashoka. Le principe ? S’efforcer de traiter les causes des problématiques abordées. « Cela demande de réaliser des recherches, de réfléchir en profondeur aux sujets traités », estime Arthur Gauthier, qui plaide pour ce type de vision au sein du collectif Agir à la Racine. « Des fondations se lient entre elles pour financer des programmes » dédiés aux causes racines, indique de son côté Croisine Martin-Roland. En France, c’est même une fondation sur deux qui prévoit d’adopter cette stratégie « globale ».
La philosophie MacKenzie Scott, néophilathrope
Enfin, dernière stratégie en vogue, à l’opposé de la « venture philanthropy » précédemment citée : la « trust based philanthropy ». Cette approche « fondée sur la confiance » consiste à signer des chèques sans exiger de comptes trop poussés de la part des bénéficiaires. C’est ainsi que MacKenzie Scott, écrivaine et ex-épouse du patron d’Amazon, Jeff Bezos, a déjà distribué avec son Yield giving fund pas moins de 14 milliards de dollars. Ces dons non affectés permettent aux récipiendaires de décider de leur usage comme bon leur semble. « En réalité, beaucoup s’inscrivent un peu à la croisée de ces deux visions : entre l’interventionnisme et la confiance », relève le responsable de la Fondation Roi Baudoin.
Autant de questions concrètes qui poussent à s’interroger en profondeur sur les motivations politiques et philosophiques d’un altruisme jamais anodin. Et pourquoi pas méditer sur les paroles de la milliardaire qui affirmait en 2021 : « Lorsque l’on parle de progrès social, braquer les projecteurs sur les grands donateurs est une distorsion de leur rôle. Nous tentons de distribuer une fortune rendue possible par des systèmes qui doivent changer. »