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Odawara Art Foundation, au Japon.
Odawara Art Foundation, au Japon.
melanie

Culture

Musées : quand les artistes contemporains prennent les choses en main

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De Marfa, au Texas, au Muy, dans le Var, en passant par Rouen et Londres, les artistes squeezent les grandes institutions et créent leur propre musée. Analyse d'un phénomène qui prend beaucoup d'ampleur.

S’affranchir des règles du jeu des musées 

Le phénomène des artist-run spaces gagne d’autant plus de crédit que, depuis quelque temps, les stars du marché de l’art se mettent, elles aussi, à ouvrir leur propre espace. Pour elles, il s’agit moins de générer de nouveaux liens, plus complices, entre les artistes et le public, que de profiter de leur assise pour s’affranchir des règles du jeu imposées par les galeries, les institutions, les musées, les commissaires d’exposition et les collectionneurs. Chez les artistes célèbres, la mode est clairement à la création de musées et de fondations qui mettent en lumière leurs propres œuvres ou celles d’artistes qu’ils collectionnent, sans avoir à en référer à quiconque.

En plus de deux parcs de sculptures, la bluffante Venet Foundation propose des espaces d’exposition à couper le souffle.
En plus de deux parcs de sculptures, la bluffante Venet Foundation propose des espaces d’exposition à couper le souffle. Jérôme Cavalière Marseille - Courtesy Archives Bernar Venet New York

Rivalisant avec des Maja Hoffmann, des François Pinault ou des Bernard Arnault qui inaugurent des espaces pharaoniques, les artistes jouent eux aussi la surenchère. A l’image du plasticien et grand collectionneur Bernar Venet, qui a ouvert, en 2014, la bluffante Venet Foundation, au Muy, dans le Var, avec des espaces d’exposition à couper le souffle et deux parcs de sculptures où ses propres œuvres voisinent avec des pièces uniques en France. L’Open Sky de James Turrell ou la chapelle imaginée par Frank Stella, riche de six grands reliefs de l’artiste, constituent des trésors que tous les musées français lui envient. Ayant vécu plus de quarante ans aux États-Unis, Bernar Venet s’inscrit dans une tradition philanthropique où « les gars qui ont réussi ont la nécessité de donner en retour ».

« Elliptic Ecliptic », Open Sky de James Turrell à la fondation Venet.
« Elliptic Ecliptic », Open Sky de James Turrell à la fondation Venet. archives Bernar Venet

A Londres, depuis un peu plus d’un an, on ne parle plus que de Damien Hirst et de son musée privé de 3 400 m2. La Newport Street Gallery est un immense espace d’art situé dans le sud de la capitale, dans lequel l’artiste ne présente pas ses propres œuvres, mais celles de sa fabuleuse collection. Damien Hirst possède en effet 3 000 pièces majeures signées Francis Bacon, Richard Hamilton, Jeff Koons, Sarah Lucas ou encore Richard Prince. En consacrant l’exposition d’ouverture de son musée au peintre abstrait anglais John ­Hoyland, qu’il considère comme injustement méconnu, il s’est ouvertement positionné non plus comme plasticien, mais comme commissaire d’exposition. Un parti pris qui n’est pas anodin à l’heure où cette profession dame le pion aux artistes en faisant l’objet d’une intense starification. Dans son classement 2016 des vingt personnes les plus influentes de la sphère artistique, le magazine d’art contemporain anglais ArtReview a élu le commissaire Hans-Ulrich Obrist à la ­première place. De quoi agacer Damien Hirst, qui occupait la première place de ce classement en 2008.

Au japon, le photographe Sugimoto s’apprête à inaugurer un espace de 9 500 m2 pour abriter sa fondation Odawara Art Foundation.
Au japon, le photographe Sugimoto s’apprête à inaugurer un espace de 9 500 m2 pour abriter sa fondation Odawara Art Foundation.

A Londres toujours, le duo d’artistes Gilbert et George peaufine un projet de centre d’art situé à l’est, dans le quartier de Spitalfields. Leur fondation, qui ouvrira d’ici à la fin de cette année, accueillera deux grandes expositions par an, pour désenclaver, disent-ils, un quartier populaire jusqu’à présent peu perméable à l’art contemporain. Au Japon, c’est le photographe Hiroshi Sugimoto qui s’apprête à inaugurer un vaste complexe de 9 500 m2 dans la baie de Sagami, à une cinquantaine de kilomètres de Tokyo. La motivation de Sugimoto est purement architecturale. L’artiste s’est en effet souvent plaint d’exposer dans des musées aux espaces inadéquats. Il a donc décidé de concevoir lui-même un espace où les visiteurs, non contents de contempler les œuvres et les objets d’art de son immense collection, pourront, grâce à un tunnel souterrain, voir le lever du soleil lors du solstice d’hiver ou se promener dans le jardin zen.

En Afrique, Bandjoun Station existe depuis trois ans. Une sorte de villa Médicis créée par l’artiste Barthélémy Toguo.
En Afrique, Bandjoun Station existe depuis trois ans. Une sorte de villa Médicis créée par l’artiste Barthélémy Toguo. DR

Enfin, il n’est pas jusqu’à l’Afrique qui ne soit touchée par le phénomène, avec l’édification, il y a trois ans, de Bandjoun Station, un centre d’art créé au cœur du pays bamiléké par l’artiste Barthélémy Toguo. Établi entre la France et le Cameroun, ce dernier ambitionne d’animer une sorte de Villa Médicis africaine destinée à accueillir à la fois les œuvres de sa collection et des artistes du monde entier en résidence. On pourrait encore parler du sculpteur Thomas Schütte, qui finit de construire un musée dédié à ses œuvres à Hombroich, à seize kilomètres de Düsseldorf ; du plasticien Anselm Kiefer, qui a pour projet d’ouvrir au public son immense atelier de Barjac, dans le sud de la France ; du photographe anglais Martin Parr, qui démarre un projet de fondation à Bristol… A l’heure où les musées ont de moins en moins de ressources, les artistes n’ont jamais eu autant d’ambitions muséales.

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