The Good Business
Dans le souci de satisfaire la curiosité de happy few chinois et de nourrir leurs rêves de glamour, le groupe Modern Media multiplie les partenariats afin d’offrir à ses compatriotes des magazines élitistes et luxueux. Homme de passion avant tout, son président fondateur, Thomas Shao, n’est pas un simple money maker, mais un insatiable curieux, définitivement amoureux du beau.
Quant à Jet Yang Fang Ru, le rédacteur en chef du cahier business, originaire lui aussi de Taïwan, il assure que ses pages, qui évoquent tour à tour les success‑stories d’entreprises de téléphonie mobile, de cosmétiques ou de publicité, sont lues tout autant par « les jeunes hommes chinois ambitieux que par les modern ladies ». Bien évidemment, les jeunes chefs d’entreprise chinois et tous ceux qui s’intéressent au monde des affaires dans ce pays en plein boom économique ont leur propre journal de référence : le fameux Bloomberg Businessweek, qui, lui aussi, a été lancé par le groupe Modern Media en partenariat avec le groupe financier américain Bloomberg LP. Il s’agit du seul titre économique dont la vente est autorisée en Chine – sa diffusion avoisine les 400 000 exemplaires –, c’est-à-dire qu’il est officiellement référencé et distribué en kiosques, à la différence de titres étrangers comme Fortune, servis seulement par abonnement. Ce qui ne signifie pas pour autant que les journalistes sont autorisés à écrire tout ce qu’ils veulent…
Des publications élitistes et luxueuses
Car la censure sévit toujours en Chine. En 2013, un article de l’hebdomadaire Southern Weekly de Canton, qui appelait à une libéralisation politique du régime, avait été promptement remplacé par un texte concocté par les services de propagande du parti communiste chinois. Aussi faut-il savoir parfois ruser pour essayer de témoigner d’une réalité pas toujours glamour. Ainsi, cette cover story de mai 2014 sur la région autonome de Xinjiang, dont Allen Cheung, le rédacteur en chef du Bloomberg Businessweek, n’est pas peu fier, tant il s’agit d’un sujet qu’il qualifie de touchy. On y voit en couverture une famille musulmane au grand complet, dont le récit de la vie quotidienne est assez éloquent quant aux difficultés et aux tensions que connaît cette province. « Les autres journaux préfèrent évoquer les tycoons de la côte Est, mais, nous, nous n’hésitons pas à parler de la diversité chinoise, de ce qui se passe à l’intérieur du pays, du chômage, de l’hygiène alimentaire ou de la pollution, insiste Allen Cheung. Évidemment, il faut savoir trouver un angle astucieux. Ainsi, pour le Xinjiang, on a choisi de raconter la vie au quotidien d’une famille de la minorité musulmane… »
Pourtant, ce qui caractérise le plus Modern Media, c’est le caractère élitiste et luxueux de ses publications : le magazine de mode très glamour Numéro, sur papier glacé, ou encore le splendide Life Magazine proposé en très grand format afin de valoriser le travail des plus grands photographes, comme Marc Riboud, vendu l’équivalent de 6 euros seulement. Là aussi, les annonceurs prestigieux, comme BMW, se trouvent en bonne place. Reste que la publicité pour les produits de luxe connaît actuellement un certain fléchissement en Chine, en raison de… la campagne de lutte contre la corruption lancée par le président Xi Jinping. Ainsi, les « petits » cadeaux, de type montres Rolex, bijoux Cartier ou Ferrari, à l’intention des fonctionnaires véreux se font moins nombreux… au grand dam des marques.
Autre pépite plus récente de Modern Media : le magazine Lohas (acronyme de Lifestyle of Health and Sustainability, « mode de vie pour la santé et la durabilité », un mouvement né au Japon qui s’est répandu comme une traînée de poudre aux États-Unis et en Europe), vendu déjà à 500 000 exemplaires et qui, selon sa rédactrice en chef, « fait prendre conscience aux Chinois de la nécessité d’avoir une vie harmonieuse, équilibrée et respectueuse de l’environnement dans un pays où tout va trop vite ». Enfin, deux réussites très chères au passionné d’art qu’est Thomas Shao : Leap, revue bimestrielle lancée en 2010 – la seule du groupe à être bilingue anglais/chinois –, spécialisée dans l’art contemporain chinois, ainsi que The Art Newspaper China.
« Dès que la Chine a commencé à s’éveiller, Thomas Shao a compris qu’il avait une mission à accomplir pour éduquer et enrichir, intellectuellement et culturellement, un lectorat avide d’information et d’ouverture sur le monde, dans un environnement média encore très cloisonné et fermé », assure Alain Deroche, chief operating officer du groupe. Effectivement, dans cet empire du Milieu où l’argent est devenu l’opium des nouveaux mandarins du business, le Citizen Kane Thomas Shao apparaîtrait presque comme un esthète idéaliste !