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A l’intérieur de la soufflerie 1 de Modane, dont les ventilateurs sont capables de propulser 10 tonnes d’air par seconde.
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Modane, le souffle de l’excellence

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La fusée Ariane 5, les avions militaires Mirage 2000 et Rafale, le jet Falcon 7X, le Concorde, mais aussi les Airbus A350 et A380 : les fleurons de l’aéronautique et de l’aérospatiale ont mis leur brio aérodynamique à l’épreuve de cette soufflerie géante de Modane, la plus puissante au monde.

« Cathédrale », « chef-d’oeuvre », « joyau » : une tornade de superlatifs consacre ce temple des essais aéronautiques, construit juste après la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui plus que jamais prisé des grands industriels de l’aviation. Impossible d’évoquer la portée de cette S1MA – soufflerie 1 de Modane-Avrieux – sans parler la langue de l’infiniment grand : une structure de 22 000 tonnes, 400 mètres de tubes, deux énormes ventilateurs (100 tonnes chacun) de 15 mètres de diamètre. De loin la plus imposante des douze souffleries de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) – dont huit sont implantées à Modane, en Savoie –, la géante permet aux aéronefs les plus impressionnants d’y tester leur aérodynamisme sur des maquettes de 4 à 5 mètres d’envergure.

Le principe de cette soufflerie : une force hydraulique alimente deux ventilateurs qui produisent un vent dont la vitesse est proche de celle du mur du son : environ 1 000 km/h. L’air s’engouffre dans un immense tube et percute la maquette de l’aéronef. Directeur des souffleries de l’Onera, Patrick Wagner souligne les prouesses d’une technologie capable de reproduire au sol, sur des maquettes inanimées, le comportement complexe d’un avion en vol : « L’aérodynamique est une science très compliquée, il n’y a pas de vérité absolue en la matière. Le cerveau humain, à travers les calculs numériques et les équations mathématiques, est incapable de simuler les comportements de l’air de façon totalement exacte. Cette conception très pointue des aéronefs doit donc impérativement faire l’objet de tests en soufflerie. Ceux-ci permettent de s’approcher (au sens scientifique du terme) de la réalité avec la plus grande précision. »

A l’intérieur de la soufflerie 1 de Modane, dont les ventilateurs sont capables de propulser 10 tonnes d’air par seconde.
A l’intérieur de la soufflerie 1 de Modane, dont les ventilateurs sont capables de propulser 10 tonnes d’air par seconde. Antoine Gonin

La mission revêt un caractère stratégique, car ce ne sont pas pour de simples retouches que les avionneurs font le déplacement dans ce repli discret de la vallée de la Maurienne, mais bel et bien pour rendre irréprochable leur trésor en gestation. Certaines erreurs majeures sont parfois décelées, puis corrigées, à la suite d’une campagne d’essais. Ainsi de l’avion de combat A400, qui doit à ses passages par la grande soufflerie de Modane la résolution d’un problème de ravitaillement en vol des hélicoptères. Les avionneurs français ne sont pas les seuls à recourir à son expertise. Même si la direction de la soufflerie, tenue à un évident devoir de réserve, demeure discrète sur l’identité des industriels étrangers qui font appel à Modane, elle ne cache pas qu’ils sont nombreux. Plus de 50 % des revenus de la soufflerie proviennent de contrats industriels non européens.

Ces essais sont programmés bien avant la phase de lancement commercial des avions. « La soufflerie, explique Patrick Wagner, c’est le droit à l’erreur de l’industriel. Elle lui offre l’immense confort de pouvoir se tromper ou d’être imprécis, en amont de la fabrication d’un aéronef, dont les phases de décollage et d’atterrissage ne tolèrent justement aucune imprécision. » Se passer de cette « répétition » peut coûter cher, comme on a pu le constater avec des crashs au décollage qui ont révélé, a posteriori, une erreur quant à la taille des volets sur les ailes d’un appareil.

Patrick Wagner, directeur des 12 souffleries de l’Onera, dont 8 sont implantées à Modane.
Patrick Wagner, directeur des 12 souffleries de l’Onera, dont 8 sont implantées à Modane. DR

Mais cette prestation a un coût : 100 000 euros la journée, soit environ 1,5 million d’euros pour une campagne de deux semaines. Selon la complexité d’un projet, le coût des essais de développement oscille entre 10 et 40 millions d’euros. Mais aussi primordiale soit-elle, la sécurité optimale n’est pas l’unique ambition des avionneurs, obsédés, à juste titre, par des objectifs de rentabilité et de concurrence. « La première fonction d’une soufflerie, c’est d’optimiser un produit afin qu’il puisse s’imposer face à la concurrence. Un vrai défi ! poursuit Patrick Wagner. Tout aussi importante, la préparation du futur. Avec des formes d’avion radicalement nouvelles et l’exploration de leur faisabilité, c’est un autre challenge à plus long terme. »

Ainsi du Nova, le moyen-courrier avant-gardiste développé par l’Onera et dont le lancement commercial est prévu pour 2025. Sa révolution technologique rompt avec la structure classique – fuselage cylindrique, moteurs logés sous les ailes – pour proposer une autre aérodynamique, avec un fuselage qui participe à la réduction des émissions de CO2 et des nuisances sonores, tout en allégeant la facture de kérosène. Le tout sans renoncer à la vitesse de l’appareil et au confort des passagers. Un vrai casse-tête ! La plus influente de toutes les innovations du Nova réside dans ses gros moteurs « semi-enterrés » et intégrés au fuselage.

Le concept Nova développé par l’Onera.
Le concept Nova développé par l’Onera. Onéra

La soufflerie 1 de Modane – Avrieux sauvée de justesse ! 

Une motorisation pour laquelle il n’existe aucun retour d’expérience du passé. D’où cette phase cruciale du passage en soufflerie. Dès 2020, l’avion au museau de requin-baleine viendra soumettre la performance de sa structure novice au traitement de choc qui lui sera infligé dans les gros tubes du site savoyard. S1MA, la pépite du site de Modane, attire d’autant les regards, aujourd’hui, qu’on a récemment craint pour sa survie. En cause : la construction du complexe sur un sol sensible à l’érosion dans une région où le gel agit tel un rongeur vorace.

Amorcé dès les années 50, le lent mais inexorable affaissement du sol s’est brusquement accéléré en 2009. Un confrère de la presse aéronautique osa ce titre en forme de SOS : « Il faut sauver le soldat S1MA ! » Appel reçu par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, qui, en 2016, a débloqué en urgence une subvention de 20 millions d’euros pour la remettre d’aplomb. Sauvée ! Les travaux, toujours en cours, se révèlent aussi titanesques que cet ouvrage fait de béton et d’acier, un monstre dont la mesure circulaire fait songer à celle d’un grand stade. Mais gare : les 20 millions d’euros ne sont qu’une simple perfusion. Il faut 80 millions supplémentaires pour donner à l’ensemble des huit souffleries de Modane les développements nécessaires à une science aéronautique d’une autre ère.

Du Concorde au Rafale, la plupart des aéronefs français et européens sont passés par la S1MA. Ici, la maquette de l’A350 XWB d’Airbus.
Du Concorde au Rafale, la plupart des aéronefs français et européens sont passés par la S1MA. Ici, la maquette de l’A350 XWB d’Airbus. Antoine Gonin

Car si S1MA conserve une belle longueur d’avance sur ses rivales, la concurrence étrangère s’active. Et tout spécialement la Chine, qui n’est sûrement pas enthousiaste à l’idée de confier l’évaluation de son avion de ligne moyen-courrier C919 (de l’avionneur Comac, qui a pour ambition de rivaliser avec Airbus et Boeing) à l’expertise française. Même s’il lui manque encore les méthodes et les instruments de mesure indispensables à l’utilisation optimale de ces grandes souffleries, Pékin s’empresse de combler son retard, bien conscient du boom touristique en cours et d’un transport aérien en pleine démocratisation. « Le trafic aérien va exploser dans les années à venir, confirme Patrick Wagner. L’avion est donc au cœur de la mondialisation. Il est sans doute “le” moyen de transport du futur. » Et Modane n’a pas fini de faire souffler son expertise et son aura !

Les tests sur maquette plus fi ables que les calculs numériques !

Le phénomène mérite d’être souligné à l’heure de la toute-puissance du big data et de l’admiration sans bornes que lui vouent les industriels du secteur… A leur vitesse actuelle, les ordinateurs sont loin d’être capables de rivaliser avec l’efficacité des essais en soufflerie, a fortiori lorsqu’il s’agit de tester des avions du futur, dont la forme et la conception rompent radicalement avec l’actuel fuselage cylindrique. A ce sujet, les Etats-Unis, qui disposent d’un parc de souffleries comparable à celui de l’Onera, sont vite revenus de leur croyance en la suprématie de la simulation numérique, un credo qui les avait conduits, dans un premier temps, à renoncer aux essais dans le réel. Ce que Boeing et Lockheed Martin n’avaient d’ailleurs pas manqué de contester. Fermée en 2003, la plus grande soufflerie subsonique de la Nasa a ainsi été rouverte par l’US Air Force seulement quatre ans plus tard. Et dès 2010, le Congrès a fait voter un plan de 600 millions de dollars afin de remettre à niveau les souffleries américaines. « Il faudra attendre 2080 pour réussir des calculs complets et de haute précision, qui resteront néanmoins, au début, 100 fois moins efficaces que les essais en soufflerie ! assure Patrick Wagner. Pour autant, on s’oriente aujourd’hui vers un troisième outil hybride qui consiste à associer les calculs numériques aux tests sur maquette. La voie optimale pour progresser. »


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