The Good Business
En 1986, l’entreprise installe son siège sur le campus de Redmond, en proche banlieue, avant de s’étendre géographiquement pour accompagner sa folle croissance, créant un véritable écosystème dans lequel se côtoient aujourd’hui 150 nationalités.
Microsoft Redmond, c’est l’image d’Epinal du campus à l’américaine tel que l’imaginent les Européens. Sur plus de 200 hectares plantés d’essences variées, les immeubles de bureaux s’intègrent au paysage. Hauts de trois, quatre ou six étages, pas plus, ils ne dépassent jamais la cime des arbres. Ils sont reliés entre eux par des chemins piétonniers aménagés. Des parcours de jogging sillonnent le site. Véritable petite ville, le campus héberge un centre commercial dans lequel les employés de Microsoft peuvent faire leurs courses, aller chez le coiffeur ou faire réparer leur ordinateur. On y trouve également une bibliothèque, un centre sportif avec piscine, un centre médical et une pharmacie. Microsoft a par ailleurs multiplié les initiatives pour inciter ses collaborateurs à ne pas venir en voiture. Des bus circulent le matin et en fin de journée, de et vers Seattle, ainsi que vers les principales communes des alentours. Des navettes que les employés réservent en ligne et qui desservent les 125 bâtiments du campus. Les cyclistes, dont le nombre augmente régulièrement, disposent, quant à eux, de plusieurs ateliers de réparation pour leur vélo. Chez Amazon, qui pour sa part multiplie les immeubles de bureaux dans le centre-ville de Seattle, on aurait surnommé Microsoft le « country club » ! Sacré raccourci !
En chiffres
Création : avril 1975, à Albuquerque (Nouveau-Mexique). C’est en janvier 1979 que le siège est installé dans la banlieue de Seattle, à Bellevue initialement, puis en 1986, à Redmond. Aujourd’hui, on compte 125 bâtiments sur le site de Redmond.
Effectif : 43 000 employés travaillent dans l’aire urbaine de Seattle, sur un total mondial de 116 000 personnes.
Chiffre d’affaires (exercice fiscal 2015, de juillet 2014 à juin 2015) : 93,58 Mds $.
Bénéfice net (exercice 2015) : 12,2 Mds $.
Enrichissement : les actions Microsoft ont donné naissance à 3 milliardaires et à plus de 12 000 millionnaires.
Implantation : 830 sites dans 120 pays.
Principaux produits : Windows (dont la version 10 est sortie mi-2015), les logiciels Office, les tablettes Surface, les smartphones Lumia (après le rachat de l’activité mobile de Nokia fin 2013),
les consoles de jeux Xbox, le logiciel de téléphonie sur Internet Skype, le moteur de recherche Bing et la plate-forme Cloud Azure.
Idyllique ? A en croire les employés, il serait difficile de ne pas se sentir bien dans un tel lieu. Libres d’organiser leur temps, ils disposent d’un environnement agréable et peuvent même télétravailler s’ils le souhaitent. Chaque bâtiment dispose de kitchenettes, de cafés ou de restaurants, d’espaces de réunion et de travail confortables. Nombre de ceux qui ont des enfants quittent le site en fin d’après-midi pour passer du temps en famille et travaillent chez eux dans la soirée si nécessaire. Les rémunérations s’échelonnent entre 90 000 et 120 000 dollars par an pour un développeur logiciel ou un ingénieur. Des salaires équivalents à ceux versés dans des villes comme Los Angeles, New York ou Boston, où la vie est plus chère, et supérieurs de 15 à 20 % à ceux de Portland (Oregon), la ville voisine, ou de Chicago (Illinois). « Pourtant, Microsoft est l’une des entreprises les moins comprises, les moins connues au monde », regrette Ben Tamblyn, en charge de la communication institutionnelle. En jean et baskets brodées, cet Australien a commencé sa carrière comme commercial chez Microsoft il y a dix ans. « Les gens nous connaissent surtout pour Windows et pour Office alors que nous faisons énormément de choses. Cela nous oblige à repenser ce que nous sommes. Nous devons innover tout en continuant à avoir un impact positif sur chacun et sur la planète ! » Microsoft souffrirait donc de la crise de la quarantaine. Alors que la société vient de célébrer son quarantième anniversaire, elle aborde une nouvelle phase de son histoire. Son système d’exploitation Windows, lancé au milieu des années 80, et la suite bureautique Office lui ont permis de se développer et de croître de façon hallucinante. Depuis son introduction en Bourse, en mars 1986, Microsoft a fait trois milliardaires (Bill Gates, Paul Allen et Steve Ballmer) et plus de 12 000 millionnaires. Avec l’avènement d’Internet, la société s’est diversifiée : elle propose un moteur de recherche concurrent de Google (Bing), un navigateur Internet (Edge), le portail MSN, des offres de stockage de données et de mise à disposition de logiciels en ligne, la téléphonie sur Internet à l’issue du rachat de Skype, etc. Elle est également présente dans le matériel avec la console de jeux Xbox, les téléphones mobiles Lumia, lancés après le rachat de cette activité de Nokia, les tablettes Surface, les montres et les bracelets connectés Band ou encore le casque de réalité virtuelle HoloLens. Un inventaire hétéroclite, dans lequel, finalement, tout le monde se perd un peu…
L’influence du Cloud
Pas facile de coordonner et de faire connaître toutes ces activités, et encore moins de les associer au nom de Microsoft, même en interne… C’est pourquoi la société organise un événement la dernière semaine du mois de juillet sur le campus de Redmond. « Les équipes présentent les projets sur lesquels elles travaillent. Chacun peut s’informer sur tout ce qui se fait sur le campus, et les dirigeants participent. C’est une sorte de mise en scène de ce qui est en cours de développement, car ce que nous faisons n’est pas visible », explique Catherine Cormoreche-Meljac, en charge des événements. Française d’origine, elle vit à Seattle depuis une dizaine d’années après avoir passé sept ans chez Ubisoft, en France.
L’art au campus
Microsoft a initié une collection d’œuvres d’art en 1987, quand le site de Redmond a commencé à prendre de l’envergure. Le projet a été lancé par un groupe d’employés qui souhaitaient exposer des artistes locaux. Aujourd’hui riche de 5 000 œuvres, dont un morceau du mur de Berlin, la collection Microsoft est souvent citée comme l’une des collections d’art d’entreprise les plus importantes du monde. Sa mission est de « créer un environnement propice à la créativité et à l’innovation », dixit le site de présentation. Les tableaux, sculptures, photos, créations multimédias, collages, pièces en céramique ou en verre sont exposés dans 180 bâtiments du groupe disséminés dans le monde. Ici, c’est une sculpture au milieu d’une place, là, une suite de collages le long d’un couloir ou encore un tableau sur le mur de la cafétéria. Les artistes dont les œuvres sont installées sur le campus de Redmond sont conviés à venir présenter leur travail
et leurs créations lors de conférences organisées dans les locaux et destinées aux employés. L’enrichissement du fonds est confié à Lele Barnett, du cabinet-conseil en art The Lumiere Group, à Seattle.
Force est de constater que le campus n’offre pas de vision explicite de ce qui s’y passe. Les immeubles de bureaux pourraient abriter n’importe quelle activité. Les premiers construits, les bâtiments 1 à 4, étaient composés de bureaux individuels, tous de la même taille et fermés par une porte « pour que les développeurs puissent coder tranquillement en regardant la nature », raconte Ben Tamblyn. Mais ce qui a bien fonctionné pendant trente ans ne fonctionne plus aujourd’hui. « Le Cloud a profondément influé sur l’espace de travail. Nous avons désormais besoin d’espaces communautaires au sein desquels il est possible d’échanger, de partager des idées. Il est nécessaire d’aller plus vite. C’est pour cela qu’on passe du bureau individuel au mode collaboratif. » C’est la mission du Garage. Meublée de canapés, de grandes tables rondes et de tableaux blancs, cette salle accueille régulièrement des réunions, des présentations de projets, des brainstormings, etc. Dans les bâtiments les plus récents, comme dans ceux qui sont en cours de rénovation, Microsoft a adopté un nouveau mode d’organisation. Chaque équipe projet dispose de bureaux collectifs et d’espaces de différentes tailles pour les réunions. Tout est pensé pour que les employés soient le plus productifs possible. De la lumière aux meubles en passant par la décoration, rien n’est laissé au hasard. « Nous voulons que les meilleurs travaillent pour nous. Nous devons donc leur donner un cadre agréable », insiste Ben Tamblyn.
Vers une gentrification de Seattle
Il n’est plus question que d’ouverture, qui semble être le maître mot de Satya Nadella, le nouveau patron de Microsoft. Nommé en février 2014, il était précédemment en charge de la division Cloud. « Microsoft a toujours été créative, mais ses dirigeants ont longtemps concentré leurs efforts et leur attention sur Windows. Cela évolue depuis environ cinq ans. Le Garage, par exemple, existe depuis six ans. Mais il faut du temps pour changer une entreprise de cette taille ! » reconnaît Harald Becker, designer produit dans l’équipe Envisioning. Ce groupe d’une dizaine de personnes imagine les produits, les usages et les applications du numérique dans le futur. « Quand une technologie émerge, nous nous demandons quel problème elle pourrait résoudre. Nous faisons des scénarios, des prototypes et des expériences pour voir comment cette technologie s’inscrit dans la vie. C’est un peu comme les concept-cars pour le secteur automobile. »
Par sa personnalité très différente de celle des précédents dirigeants de Microsoft et par sa conviction qu’un bon manager est quelqu’un qui écoute et qui apprend, Satya Nadella, incontestablement, renforce cette évolution. Il change l’image de Microsoft, qui apparaît plus ouverte, y compris aux autres grands acteurs du numérique. Et cela se traduit concrètement sur le campus de Redmond. Selon un article de Bloomberg, paru en septembre dernier, Microsoft aurait missionné le cabinet d’architecture Skidmore, Owings & Merrill pour un vaste projet de restructuration du campus de Redmond, projet estimé à plusieurs milliards de dollars ! Cette débauche de moyens ne fait pas que des heureux. Microsoft figure en tête de la liste des entreprises de la région qui, à coup de salaires élevés et d’avantages en tous genres, sont accusées de faire grimper les prix de l’immobilier de Seattle et des alentours, accélérant ainsi la gentrification, dont le corollaire est l’exclusion des moins favorisés. Pour compenser, Microsoft, comme les autres entreprises locales en croissance, soutient les associations et les établissements scolaires de la région par des dons importants. Etre un symbole donne quelques obligations…
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