The Good Business
Avec près de 112 millions de consommateurs, dont 35 millions ont un pouvoir d’achat équivalent à la moyenne des pays de l’OCDE, le Mexique ne manque pas d’arguments pour entrer dans la cour des très grands, malgré ses multiples problèmes souvent liés à une corruption endémique. Mexico pourrait d’ailleurs être l’une des villes du monde dont on parlera le plus dans les années qui viennent.
Quel que soit le quartier où l’on se trouve, Mexico est en travaux. « C’est “la” ville de la mobilité, déclare Fernando Aboitiz, responsable de l’Agence de gestion urbaine (AGU) de la capitale. Nous avons l’ambition de positionner Mexico, dont le nouveau logo est CDMX [Ciudad de México, NDLR], comme la plus compétitive du monde. » L’enfilade de gratte‐ciel qui s’est emparée, en moins de dix ans, du Paseo de la Reforma, l’avenue la plus longue et la plus prestigieuse de la capitale, démontre que le défi est en passe d’être relevé. « Il s’agit de rivaliser avec les nouvelles mégapoles », poursuit Fernando Aboitiz. Une mégapole de 22 millions d’habitants qui, en étant district fédéral, a la même autonomie qu’un État (comme Washington DC) ; qui est un peu moins grande que Tokyo, mais plus que New York et devant São Paulo, Mumbai et Delhi ; une ville archipel qui s’étend sur 1 500 km2 – soit le double de la région parisienne –, qui est établie sur une lagune asséchée, dans une zone sismique perchée à 2 240 mètres d’altitude – à coup sûr l’un des pires endroits pour édifier une ville moderne !
Le Mexique en chiffres
- 11e pays le plus grand du monde avec une superficie de 1 972 546 km2 et 118,4 millions d’habitants.
- 15e puissance mondiale avec un PIB de 949 378 M €, soit 8 013 €/habitant, mais les inégalités y sont très grandes.
- 53 milliardaires mexicains et 53 millions d’habitants qui vivent dans la pauvreté.
- Le salaire minimum est de 55 pesos (3 €) par jour (plus bas qu’en Chine).
- La dette publique (2013) est de 440 426 M €, soit 46,3% du PIB. La dette par habitant est de 3 720 €.
- Les exportations représentent 286 265 M €, soit 30,21% du PIB.
- Les importations sont de 294 379 M €, soit 31,07% PIB.
- Le déficit de la balance commerciale est de 8 114,5 M €. Le Mexique est noté A3 par Moody’s, et BBB+ par S&P et Fitch.
- La population économique active (PEA) est de 54,4 M de Mexicains, parmi lesquels 60% travaillent dans le secteur informel qui fournit 25% du PIB.
- L’indice de développement humain (IDH) est de 0,756. Il situe le Mexique au 68e rang des pays répertoriés par l’ONU.
- 39e rang du classement Doing Business (sur 189), 55e pour la compétitivité et 105e pour l’indice de perception de la corruption du secteur public.
- En novembre 2014, l’indice des prix à la consommation (IPC) était de +4,2%. P. G.
Mexico, paradis des architectes, enfer des urbanistes
A Mexico, le béton a envahi la moindre parcelle libre. La ville est devenue un immense assemblage hétéroclite de quartiers. « Nous devons réinventer Mexico de manière ordonnée, en suivant des normes », commente Salomon Chertorivski, le ministre du Développement économique de CDMX. Paradis des architectes, casse‐tête des urbanistes, les autorités n’ont pas souhaité freiner la croissance démesurée de la capitale. Au contraire, le développement immobilier est devenu son véritable moteur économique. Dans cette perspective, Mexico aura une population de 30 millions d’habitants en 2025. Avec un PIB de 483 milliards de dollars et une croissance de 3,5%, elle peut être cataloguée comme une ville « globale ». Son économie devrait tripler d’ici à 2020. « La capitale est gouvernée depuis seize ans par les partis de centre gauche. C’est une ville progressiste qui ne craint pas le changement et qui ose se projeter dans l’avenir », explique Carlos Mackinlay, ex‐ministre du Tourisme de la ville. Et d’ajouter : « C’est le laboratoire dans lequel s’invente le Mexique de demain. »
Ville financière, ville d’affaires, Mexico est aussi une ville sociale. Elle est la première de l’État fédéral à avoir autorisé l’interruption volontaire de grossesse ainsi que le mariage homosexuel, à lutter, avec des lois sévères, contre la violence intrafamiliale et le machisme, à rendre la ville aux cyclistes et aux piétons en installant des pistes cyclables, des passages protégés et des couloirs réservés aux bus, et à récupérer un à un les lieux publics abandonnés à la délinquance. Le maire de la ville, Miguel Angel Mancera, vient même d’instaurer un SMIC 20% plus élevé que dans le reste du pays.
Corruption XXL
La ville de Mexico vit essentiellement des services : la finance, les affaires et le tourisme. Trois secteurs qui pourraient être touchés par les maux endémiques du Mexique : la corruption et l’insécurité. « Ça nous coûte dix points de PIB », affirme Gerardo Gutiérrez, président du Conseil coordinateur des entreprises (CCE). Le scandale de la casa blanca, une maison de 7 M $ offerte par une compagnie de BTP à la femme du président Enrique Peña Nieto, pourrait bien être la goutte qui fera déborder le vase. Pour Alberto Espinosa, président de la Coparmex, l’association du patronat mexicain, « il faut créer un institut anticorruption ayant une autonomie constitutionnelle qui puisse enquêter et punir ». Le Mexique est en effet au dernier rang de l’OCDE pour la transparence. Malgré la pression de plus en plus forte des citoyens, gouvernements et députés peinent à engager une réforme sérieuse et indispensable pour ancrer le Mexique dans le club des pays riches… et sûrs. P. G.
Centre culturel et commercial
Toutes les grandes entreprises mexicaines et internationales ont leur siège sur le Paseo de la Reforma, dans le quartier chic de Polanco ou le quartier d’affaires de Santa Fe. En 2014, le Paseo de la Reforma a vu surgir de terre trois nouvelles tours de bureaux (1 million de mètres carrés qui s’ajoutent aux 7 millions existants). « L’objectif du gouvernement de la ville est d’avoir un Manhattan qui soit le plus grand centre d’affaires du Mexique et d’Amérique latine. Cela représente un investissement de 2 milliards de dollars par an », estime Jorge Castañares, le directeur général de Marhnos, une société spécialisée en développements immobiliers. Cette année, quatre autres tours seront achevées : la Torre Reforma, haute de 244 mètres, deux tours jumelles, confiées à l’architecte américain Richard Meier (prix Pritzker 1984), en aluminium, cristal et béton blanc, et qui seront destinées à un usage mixte (bureaux, hôtels, commerces, restaurants et gymnases), soit 120 000 m2 et 40 étages pour une hauteur de 180 mètres. « Nous avons réalisé ce nouveau projet, commente le cabinet Richard Meier & Partners, parce que Mexico est l’un des centres culturels et commerciaux les plus importants d’Amérique latine, et que l’économie de la ville est en pleine expansion. » La quatrième tour est celle de BBVA Bancomer, qui accueillera 135 000 employés et qui aura coûté 298 millions d’euros. L’institution financière a acheté le terrain à María Aramburuzabala, l’industrielle la plus riche du Mexique et l’héritière de la bière Corona, disputant ce terrain aux banques Santander (Espagne), Citibank (Etats‐Unis) et Scotia (Canada), qui voulaient aussi être implantées sur le Paseo de la Reforma. Imaginée par l’Italien Richard Rogers, la tour sera la plus haute de la ville (250 mètres). La bataille pour les hauteurs étant très coûteuse dans cette zone sismique, les banques internationales paient le prix fort. Il semblerait que l’investissement en vaille la peine puisque les résultats obtenus en 2013 ont battu tous les records. Selon le rapport de la Bourse mexicaine, « les 46 banques installées au Mexique ont gagné 107 milliards de pesos, soit quelque 6 milliards d’euros et 24% de plus que l’an dernier. 84% de ces bénéfices se concentrent entre cinq institutions : les espagnoles BBVA Bancomer (1,8 Md€) et Santander (1,1 Md€), l’américaine Banamex (1 Md€) et les mexicaines Banorte (750 000 €) et Inbursa de Carlos Slim (688 000 €). Le bénéfice BBVA Mexique représente 38% de l’ensemble des bénéfices du groupe ! »
Business sous amphèt
Pour se rendre dans le quartier d’affaires de Santa Fe, il faut emprunter l’avenue Constituyentes, frôler le Bosque de Chapultepec, où se trouve la résidence du président, longer le bâtiment de la défense nationale puis un vaste camp militaire. Autant de signes du pouvoir qui mènent à une autre puissance : celle de l’argent et des affaires. Santa Fe a poussé comme une mauvaise herbe arrosée d’un engrais superpuissant : celui d’une croissance économique prometteuse, et dont toutes les multinationales veulent profiter. Jusque dans les années 80 se trouvait là une décharge municipale. Mais la construction de l’université Iberoamericana (1982) a marqué le début d’un changement. Un grand plan d’urbanisme a été conçu au début des années 90, puis abandonné pour cause de crise économique. Quelques buildings ont alors été construits comme la Torre Arcos Bosques (1993), surnommée le Pantalon, et l’immeuble Calakmul (1997), dit la Machine à laver. Il faudra attendre le milieu des années 2000 pour que démarre le fulgurant développement du secteur. Aujourd’hui, c’est une collection de plusieurs styles d’architecture contemporaine – du pire au meilleur – qui défile sous les yeux des automobilistes (difficile de s’y rendre autrement qu’en voiture). Toutes les grandes chaînes d’hôtels de luxe y ont ouvert un établissement, et les cadres de Moviestar, Sony, Chrysler, Microsoft ou Coca-Cola habitent dans les secteurs résidentiels adjacents. Un monde à part, fait de malls sécurisés, de restaurants aseptisés et d’une armée de voituriers. S. B.
Changer le visage urbain
Pour permettre aux employés de ces gratte-ciel de travailler, la CDMX a lancé d’immenses travaux sur les voiries et sur les réseaux d’eau, de gaz et d’électricité. « Il faut pratiquement une petite centrale pour alimenter chaque tour en électricité. C’est un tour de force d’y parvenir ! » explique Fernando Alonso, ingénieur à l’Agence de gestion urbaine. Les travaux d’un nouveau centre de transfert modal (Cetram) pour faciliter la mobilité des 100 000 personnes qui, quotidiennement, se rendent dans ce quartier ont été lancés en janvier 2014. Installé sur la station de métro Chapultepec, ce nouveau centre (métro, bus, RER) desservira le futur train urbain qui reliera, en 2017, la capitale à Toluca, pôle industriel majeur de l’État de Mexico. « 270 000 passagers vont l’emprunter quotidiennement. Il ne faudra plus que trente-neuf minutes au lieu d’une heure et demie pour parcourir les 57 km qui séparent les deux villes. Soit une réduction de 13 000 véhicules par jour et de 27 000 tonnes de CO2 par an », souligne, avec fierté, le ministre du Développement économique, Salomon Chertorivski. L’immobilier et les projets mixtes public‐privé destinés à améliorer la mobilité (construction du Metrobús, d’une nouvelle ligne de métro de 26 km, d’un nouveau périphérique de 42 km) permettent également une revalorisation des quartiers alentour et servent de détonateurs pour relancer l’habitat social. La Zona Rosa, abandonnée par les commerçants et les touristes après le tremblement de terre de septembre 1985, ou encore le Centro Histórico nouvellement restauré retrouvent vie après avoir été désertés par la population pendant vingt ans. Dans le cadre de ces investissements public‐privé, Telmex, l’entreprise de télécoms du milliardaire Carlos Slim, a fait appel à la compagnie française Thales, leader mondial en systèmes d’information, pour installer 8 000 caméras. « Un défi pour Thales que d’organiser la surveillance d’une ville aussi grande », déclare son directeur international, Yann de Jomaron. Ce premier plan sera complété par 7000 caméras grâce à un nouveau réseau de fibre optique fabriqué par les filiales de l’empire Slim. Relié au C4 – le centre de vigilance le plus important d’Amérique latine facturé 460 millions de dollars par Telmex –, ce « commando » fait de Mexico l’une des villes les plus surveillées du monde. Les résultats sont là : le taux de criminalité a baissé de 32% et le temps de réponse de la police est passé de vingt‐cinq minutes à quatre en deux ans.
Enfin la reconnaissance gastronomique !
Cuisine de rue ou familiale, recettes traditionnelles ou régionales, le registre est impressionnant, mais les étrangers ne perçoivent pas toujours les nombreuses et subtiles variations du goût mexicain. Le pays est riche en ingrédients qu’on ne trouve nulle part ailleurs (plantes, herbes, assaisonnements, sauces et modes de cuisson). Certains remontent à l’époque préhispanique : nopal (cactus), achiote (arbuste), amarante (plante), quelite (herbe), huitlacoche (charbon du maïs), chapulín (criquet), et un nombre infini de piments. Si les Mexicains sont fiers de leur cuisine, celle-ci n’a gagné que très récemment ses lettres de noblesse sur la scène internationale. Dans les années 80, il y a bien eu, à Mexico, une génération de femmes chefs qui ont réussi à hisser leur restaurant au rang des grandes tables de la ville, mais leur notoriété ne s’est pas étendue au-delà des frontières du pays. C’est au tournant des années 2000, quand le contexte évolue et que les foodies du monde entier cherchent l’aventure gastronomique, qu’Enrique Olvera change la donne avec son restaurant Pujol. Un peu comme l’a fait René Redzepi au Danemark, Olvera repense la cuisine mexicaine, l’analyse et la déconstruit afin d’en extraire l’essence, la quintessence. Et c’est bien ce qu’on trouve dans ses assiettes : un concentré de saveurs mexicaines réduites à une expression d’une simplicité époustouflante. Aujourd’hui, la plupart des chefs qui comptent dans la ville sont passés chez Pujol. « Avant, on connaissait le nom des propriétaires des restaurants. Maintenant, tout le monde connaît le nom des chefs », résume Elena Reygadas, chef du restaurant Rosetta. Cette dernière a remporté le titre de meilleure femme chef d’Amérique latine 2014 dans le cadre du classement des 50 meilleurs restaurants d’Amérique latine, ces fameux 50 bests pour lesquels le Mexique vient de dépenser une fortune afin d’en accueillir l’édition 2015. Comme l’a fait le Pérou précédemment, son principal rival en tant que destination gastronomique. Tout semble d’ailleurs se mettre en place afin de mobiliser les troupes (gouvernements et sponsors réunis). Les festivals se multiplient et chaque ville a désormais le sien. Monterrey, Oaxaca et Ensenada se disputent la présence des meilleurs et rassemblent de très nombreux visiteurs. Enrique Olvera passe
quant à lui le plus clair de son temps à New York, où il a ouvert son nouveau restaurant Cosme. Avec une longueur d’avance, il continue de propulser la cuisine mexicaine vers encore plus de notoriété. S. B.
Mexico, la ville du luxe
« Le Mexique compte 170 000 millionnaires. Il s’agit de ne pas les laisser partir faire leur shopping à Paris, New York ou San Francisco », confie la directrice de la boutique de luxe Dolce&Gabbana. Le groupe Bal, propriétaire du Palacio de Hierro, copie conforme des Galeries Lafayette, a annoncé que l’architecte mexicain Javier Sordo Madaleno et le cabinet new‐yorkais Gensler avaient été choisis pour convertir ce grand magasin de 66 000 m2 en un ensemble de boutiques de luxe et de mode inégalable au Mexique et en Amérique latine. Les quartiers de Polanco et de Santa Fe possèdent le même indice de développement humain (IDH) que la Corée du Sud (c’est‐à‐dire supérieur à celui de la France). Ferrari, Maserati et Porsche y ont pignon sur rue. Et pour satisfaire leur clientèle, les constructeurs comme BMW, Audi ou Mercedes ont installé des usines de montage au Mexique. « Les voitures de plus de 30 000 dollars représentent 4% du marché, et il y a 5 millions de Mexicains qui ont les moyens de se payer de tels bijoux », précise le cabinet Mitofsky. Afin de favoriser cet engouement pour le luxe, la rue Masaryk, à Polanco, a été totalement rénovée pour mieux mettre en valeur les boutiques des grandes marques. Mexico veut être reconnue comme une destination inévitable en matière de produits de luxe et de services premium. Un négoce qui croît de 13,5% par an. Le Mexique veut aussi devenir un pôle d’attraction pour les touristes aisés. Dans cette optique, les investisseurs construisent à tour de bras des centres commerciaux chic. « La marque Mexique comme destination touristique est appréciée partout dans le monde, déclare le directeur régional de l’agence de publicité Zenith Optimedia. L’industrie des produits de luxe pouvant y contribuer, Mexico peut être une destination de shopping. C’est un marché qui a tout pour se développer. »
C’est aussi dans ce couloir doré qu’est Polanco que se trouvent les hôtels de luxe et les meilleurs restaurants de la capitale. La brasserie Lipp ne s’est pas trompée en y ouvrant sa seule succursale mondiale au pied du très sélect Club des industriels et de l’hôtel JW Marriott : « Notre clientèle est composée d’artistes, d’écrivains, d’hommes politiques et de grands patrons de l’industrie. Nous avons aussi une clientèle d’habitués, comme Carlos Slim et sa famille », explique le chef de salle Angel Ramos Guzman. « C’est le lieu pour se faire voir, en plus d’être le lieu du bien-manger », ajoute fièrement Carlo Bicachi, son directeur. Investissement : 2 millions d’euros pour 60 tables et 85 employés.
Un aéroport pharaonique pour une envergure internationale
Mexico aura un nouvel aéroport fin 2018. Enfin, il s’agira plutôt d’une première phase opérationnelle, puisque le projet s’échelonnera jusqu’en… 2065 ! En septembre 2014, le président Enrique Peña Nieto révélait les noms des gagnants du concours d’architecture : le Britannique Norman Foster et le Mexicain Fernando Romero. Beaucoup discutent la transparence de la compétition dans laquelle huit équipes ont été sélectionnées. Difficile pourtant de passer sous silence – et personne ne s’en prive – le fait que Romero est le gendre de Carlos Slim, lequel, ayant des liens très étroits avec le pouvoir, a été sollicité pour financer une partie du projet – estimé à 120 milliards de pesos, soit environ 8 milliards d’euros. Au-delà de la compétition, d’autres aspects du projet sont controversés, à commencer par l’emplacement envisagé. Il s’agit d’une zone en partie cultivée, située non loin… de l’actuel aéroport ! Les détracteurs dénoncent encore plus de pollution, encore plus de bruit, des risques d’inondation et un écosystème en danger. « Pas le choix, rétorque Fernando Romero, c’est la seule option. Cette partie située à l’est de la ville est le seul site possible. » Le seul, si on désire un aéroport proche du centre… Peut-être aurait-il fallu envisager un autre emplacement, situé à une cinquantaine de kilomètres et desservi par un transport rapide, répondent les opposants. Une chose est certaine : Mexico a réellement besoin de cette infrastructure, qui lui permettra de doubler la capacité de l’aéroport actuel et de répondre aux besoins grandissant en matière de transports nationaux et internationaux. Côté concept, le projet est séduisant, bourré de nouvelles techniques de construction et se veut exemplaire en termes de développement durable. Au lieu des deux terminaux requis dans le cahier des charges, les architectes ont décidé de proposer un bâtiment unique en forme de X, qui, en plus de convenir aux aires de stationnement des avions, symbolise le X du mot Mexique. La structure principale sera constituée d’éléments préfabriqués, assemblés sur place, tel un jeu de construction, et recouverte d’une membrane ultralégère qui laissera pénétrer un maximum de lumière naturelle. On y retrouvera aussi, symbolisés sous la forme d’un jardin circulaire, l’aigle et le serpent, emblèmes du pays. Le projet est bel et bien en marche : 150 personnes réparties des deux côtés de l’Atlantique y travaillent déjà. Quels que soient les oppositions et les doutes quant à l’attribution du mandat, Norman Foster ne laissera pas faire n’importe quoi sous son nom, se rassurent les sceptiques. S. B.
Art contemporain
« Quand nous avons commencé, nos clients étaient à 97% hors Mexique. Il n’y avait ici qu’un très petit groupe de collectionneurs, et quasiment pas d’achats de la part des institutions », raconte Monica Manzutto, cofondatrice de Kurimanzutto, la galerie référence en matière d’art contemporain au Mexique. Fondée en 1999, Kurimanzutto a opéré sans lieu fixe pendant une dizaine d’années avant de s’installer dans une ancienne charpenterie. Elle est aujourd’hui présente dans toutes les grandes expositions, sur toutes les foires mondiales et sur tous les nouveaux marchés du Moyen-Orient et d’Asie. « La galerie est née de besoins très spécifiques. L’artiste Gabriel Orozco voulait revenir au Mexique après avoir travaillé à New York, et ce qui existait ne lui convenait pas. C’est donc lui qui en a proposé l’idée. Nous avons commencé sans marché, mais cela ne nous a pas empêchés d’atteindre les gens et de créer une façon intéressante de travailler. Le fait de ne pas avoir de lieu nous permettait de passer du temps avec les artistes et de les aider à grandir. Le reste du monde était alors très eurocentré, et bien que la tradition culturelle soit très importante au Mexique, cette génération d’artistes, comme Gabriel Orozco, Damián Ortega, Abraham Cruzvillegas, Gabriel Kuri ou Daniel Guzmán, a été prolifique et inspirante. Peut-être l’art contemporain a-t-il été un déclencheur, pour capter une énergie qui n’était pas là avant. » Patrick Charpenel, directeur du musée Jumex, constate pour sa part : « Il y a énormément de musées dans la ville de Mexico, mais peu sont consacrés à l’art contemporain. » Plus intéressé par l’art que par le business, ce géant du jus de fruits a, grâce à son héritier Eugenio López Alonso, constitué la collection d’art contemporain la plus importante d’Amérique latine. Un mécénat qui a permis de tisser des liens forts avec le monde du marché de l’art, mais qui a aussi montré la marche à suivre aux institutions publiques. Eugenio López Alonso est un mécène averti, actif et investi dans sa mission, appuyé par un nouveau réseau de galeristes et de collectionneurs. L’image aussi d’une nouvelle génération qui ne cache pas son découragement face au pouvoir. « La crise politique a toujours stimulé la création, conclut Monica Manzutto. Le Mexique, c’est un mix entre croissance économique et crise politique quasi constante. Mais aujourd’hui, la société n’en peut plus de la corruption et de l’impunité. Pour s’en sortir, elle doit répondre en s’engageant. Dans ces moments difficiles, ce qui lui donne de la valeur, ce sont ces créateurs grâce auxquels nous montrons que nous sommes forts. » S. B.
La peur de la récession
Toutefois, depuis l’arrivée au pouvoir, en 2012, du président de droite Enrique Peña Nieto, l’économie peine à atteindre les 3,5% de croissance escomptés, n’affichant que de 1,4% à 2,2% selon les estimations. Et la chute du prix du pétrole pourrait amener le gouvernement à réduire considérablement son budget. Le « Mexico’s Moment », dont parlaient en 2013 The Economist et le Financial Time, semble en panne. Tout indique que si le président est parvenu à faire voter onze réformes structurelles, celles‐ci n’ont pas donné les résultats attendus. Six d’entre elles ont pour but de fortifier la productivité et la compétitivité, mais la réforme fiscale qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2014 a eu des résultats catastrophiques en faisant cruellement baisser la consommation des ménages – qui représente de 60 à 70% du PIB ! Le gouvernement s’est désintéressé du court terme et des problèmes de pauvreté et de chômage, et 70% des Mexicains lui demandent de revoir sa copie avant les élections législatives de juillet prochain. Malgré tout et malgré les affaires dans lesquelles il pourrait bien être englué, Enrique Peña Nieto reste optimiste. Il estime que le Mexique retrouvera la croissance à la fin de l’année et table sur des investissements de l’ordre de 50 milliards de dollars d’ici à 2018 pour développer le pays. A trop espérer et à trop promettre… P. G.
Carlos Slim, philanthrope… par calcul
Avec une fortune estimée à 75 Mds $, Carlos Slim fascine les Mexicains. Son empire, le groupe Carso, constitue la colonne vertébrale de l’économie mexicaine : transport, fibre optique, câble, télévision, sport, plates-formes pétrolières, BTP, grandes surfaces, drugstores, ordinateurs, etc. Homme simple qui ne renie pas ses origines modestes, il s’entend bien avec les gouvernements progressistes de la capitale et préconise même de ne travailler que 4 jours par semaine. A l’opposé de la cinquantaine de milliardaires que compte le Mexique, il n’étale pas sa richesse et chérit la ville de Mexico qui l’a vu grandir. Il a jeté son dévolu sur deux quartiers qu’il contribue à développer : le Centro Histórico, très populaire, et le quartier chic de Polanco, où il a installé l’ensemble de ses affaires. Sa collaboration avec le gouvernement pour restaurer le quartier colonial, classé patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco, a permis de redonner ses lettres de noblesse au Centro Histórico. Profitant de la déductibilité fiscale de 100% des investissements et des contrats public-privé proposés par les maires de la capitale, il a racheté une vingtaine de palais coloniaux en piteux état et les a fait restaurer. Déjà propriétaire de la Torre Latinoamericana, il a racheté de vieux hôtels, un théâtre, des cinémas, 17 immeubles d’habitation, 28 boutiques et 8 parkings. La ville s’est chargée du ravalement des façades. Les trottoirs et la voirie ont été refaits, les lignes électriques enterrées. Les premières rues
piétonnes avec des cafés en terrasse ont fait leur apparition et la population, qui avait déserté ce quartier, commence à revenir. C’est à Polanco que Carlos Slim a choisi d’édifier la place Carso, où les sièges sociaux de son empire sont centralisés dans trois tours. Mais il a également attiré tous ses fournisseurs pour les avoir à sa porte. En contrepoint à ses activités commerciales, Carlos Slim a édifié le musée Soumaya, qui propose gratuitement aux visiteurs une rétrospective de trente siècles d’art. Il remporte d’innombrables contrats pour construire routes, autoroutes, barrages, ports, gazoducs et entraîne à sa suite un nombre impressionnant de compagnies étrangères (Alstom, Thales ou Alcatel), ainsi qu’une myriade de PME et de PMI. Comme si rien ne pouvait se faire à Mexico sans sa tutelle. P. G.
A voir au Mexique