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Après le siècle des empires que fut le XIXe, puis celui des Etats-nations au XXe, le monde de demain sera-t-il dominé par les villes ? Théorisée par de nombreux universitaires, cette prise de pouvoir du local sur le national, voire le mondial, n’est pas encore actée par la politique, mais l’urbanisation galopante de la planète en dessine les prémices.
Mégapoles en circuit fermé
Le pas est déjà franchi pour les plus riches, estime Saskia Sassen : « Les grandes villes les plus connectées appartiennent autant au réseau mondial qu’à la géographie politique de leur pays, écrit-elle. Les 20 villes les plus riches du monde vivent dans un circuit fermé alimenté par le capital, le talent et les services. Elles accueillent les trois quarts des grandes entreprises qui, en échange, investissent dans le développement de ces villes. » Dans son ouvrage Connectography, publié en 2016, le stratège mondial Parag Khanna valide cette vision d’un monde redécoupé, « où les frontières nationales reculeront et où les agglomérations les plus connectées prendront le pouvoir ». Cette nécessaire interaction entre les métropoles pour inventer des solutions concrètes aux problèmes de demain a été détaillée par un autre chercheur américain, Benjamin Barber, dans son livre Et si les maires gouvernaient le monde ?, sorti aux Etats-Unis en 2013.
Pour limiter le caractère disparate des divers réseaux de coopération, ce politologue proposait la création d’un « Parlement mondial des maires ». Une initiative idéaliste qui a trouvé un début de réalisation avec la tenue, en septembre 2016, à La Haye, d’une « séance inaugurale » réunissant, outre des spécialistes du monde entier, les représentants d’une quarantaine de métropoles. Le projet survivra-t-il au décès de Benjamin Barber début 2017 ? Cynthia Ghorra-Gobin croit au pouvoir grandissant du local, qui va intensifier son lobbying auprès de l’Etat, mais aussi des entreprises, y compris internationales. Le développement d’Uber risque de dépendre, ici et là, de décisions municipales, tout comme Airbnb a dû se plier aux restrictions du maire de Londres.
Les grands travaux de les villes de demain
« Les réseaux de villes vont complexifier le jeu politique, assure la géographe française. Ils sont plus proches des populations que les Etats, plus pragmatiques mais moins polyvalents. A La Haye, au Parlement des maires, il n’y avait que deux sujets de conversation : la transition écologique et les réfugiés. » Les quartiers les plus défavorisés, là où s’installent les populations migrantes, sont aussi les plus vulnérables au dérèglement écologique.
D’ici à 2030, 40 % de la population mondiale vivra dans des bidonvilles.
« Changement climatique, pauvreté, inégalités : les villes en sont la cause, et elles sont porteuses du remède », explique Parag Khanna. Ce sont elles qui devront répondre à cet enjeu urbanistique défini par les experts du programme ONU-Habitat : « D’ici à 2030, 3 milliards de personnes, soit environ 40 % de la population mondiale, auront besoin d’un logement convenable et de l’accès à des infrastructures et à des services de base. » Une façon diplomatique d’avouer qu’elles vivront dans des bidonvilles, ces zones où habitent 80 % de la population de certaines mégapoles. Le temps n’est plus où les politiques des Etats visaient à éradiquer les bidonvilles. Le défi des urbanistes et des dirigeants locaux est désormais de les régulariser.