Leur mission première les mène au cœur des réacteurs des entreprises. En certifiant leurs comptes, les cabinets d’audit offrent une garantie aux investisseurs et contribuent au climat de confiance nécessaire au bon fonctionnement de l’économie de marché. Leur activité très réglementée et leur obligation de discrétion ne les rendent pas populaires. Le grand public ne connaît pas toujours, en effet, les quatre leaders mondiaux surnommés à juste titre les « Big Four », ce petit cercle, dominé par les Américains et les Britanniques, qui tient le marché : PricewaterhouseCoopers (35,5 Mds $), Deloitte (34,2 Mds $), EY (28,7 Mds $) et KPMG (24,8 Mds $). Leur organisation repose sur le partnership, à l’image des cabinets d’avocats. Ils agissent avec des armées de consultants hyperdiplômés qui se comptent par centaines de milliers. Tentaculaires, ils ont conquis l’international et ont élargi leurs missions au-delà de l’audit légal pour offrir du conseil autour de l’expertise comptable et des services financiers. Ce Léviathan à quatre têtes laisse peu de place aux compétiteurs, mais croise pourtant régulièrement sur sa route le cabinet français Mazars. Comment cet auditeur né à Rouen, en 1940, est-il parvenu à proposer un recours autre que celui aux Big Four ? En jouant la carte de la différentiation et de la créativité propre aux challengers ? Pas seulement. Il a fallu ajouter l’audace de l’ambition. « Mazars a su dépasser le syndrome du small is beautiful de la PME », avance un observateur.
Contrairement aux Big Four, dont le management se dilue dans autant de firmes indépendantes et d’intérêts locaux, voire individuels, Mazars avance comme un seul homme. La gouvernance mondiale, assurée par un conseil de gérance et par un conseil de surveillance, décide des grandes orientations stratégiques et d’une allocation cohérente des ressources (lire interview). Mazars n’a connu que trois leaders : Robert Mazars, le fondateur, décédé en 2015, Patrick de Cambourg (1983) et Philippe Castagnac, président depuis 2011. On est loin des mercatos de CEO des grands cabinets anglo-saxons. « L’une des grandes forces de Mazars réside dans le choix de son modèle intégré de partnership », confirme Olivier Chaduteau, fondateur de Day One, un cabinet de conseil en organisation. Soutenu par une équipe soudée, l’esprit de conquête mazarien n’a rien de bonapartiste. Avant de sortir de ses frontières, le cabinet avait imposé son style et sa marque sur son marché en se montrant astucieux et opportuniste. Après le scandale Enron, qui avait provoqué, en 2001, la faillite d’Arthur Andersen, un autre géant de l’audit, la réglementation française s’est durcie : la nouvelle loi de sécurité financière de 2003 impose désormais le principe du cocommissariat aux comptes ou joint audit à toutes les grandes entreprises qui éditent des comptes consolidés. Face aux Big Four affaiblis par le scandale, Mazars fait jouer l’argument du challenger indépendant et décroche de nouvelles missions. Mieux : dans un climat de confiance devenu fragile, le cabinet français affiche une exemplarité de transparence. Son rapport annuel publié depuis dix ans respecte les recommandations les plus exigeantes éditées par les instances de régulation professionnelle. Sur ces bases solides, la question stratégique de l’internationalisation se pose. Pendant huit mois, en 2004, les associés de Mazars se sont régulièrement réunis à l’occasion de séminaires afin d’explorer la meilleure manière de conquérir ces nouveaux marchés. Les opérations de rapprochement se sont alors accélérées, jusqu’à une cinquantaine entre 2010 et 2015. Mazars prend toutefois soin d’assurer d’abord son empreinte européenne avec, notamment, l’intégration du cabinet allemand Roever Broenner Susat. Un sans-faute, et dans le rythme et dans le timing.
La guerre des talents
Reste un enjeu majeur pour Mazars : la valeur d’un cabinet d’audit et de conseil se mesure à la qualité des missions assurées par ses consultants. Forts de la notoriété de leur marque et de leur incontestable leadership, les Big Four se disputent les étudiants les mieux formés sur les campus des meilleures écoles. Mazars a donc dû développer ses propres armes pour gagner la guerre des talents. Aujourd’hui, dans le contexte de l’accélération de son internationalisation, cette question joue un rôle clé. Laurent Choain, responsable des ressources humaines du groupe, peut s’appuyer sur une équipe dédiée de 400 personnes et sur un héritage culturel. « Mazars a toujours placé l’éducation et la formation au centre de sa politique RH. Il a ainsi été l’un des premiers à s’adresser aux étudiants des grandes écoles françaises d’ingénieurs. » Le cabinet français cultive plus que jamais cet écosystème en apportant sa contribution aux plus prestigieux amphithéâtres ou encore en travaillant main dans la main avec des organes d’accréditation comme le European Quality Improvement System (Equis), un système d’accréditation spécialisé dans les écoles de commerce et de management. « Mazars comprend les besoins des écoles et sait nouer des relations constructives dans le temps », confirme un professeur de l’Ecole centrale de Paris. Le cabinet n’hésite pas à envoyer ses experts pour soutenir et optimiser les pratiques RH de chaque pays. C’est ainsi que naîtra, en Asie, un programme spécifique de développement des talents et que l’Afrique du Sud sera chargée de piloter les programmes d’e-learning. Mazars investit jusqu’à 12 % de sa masse salariale dans la formation. « En tant que challengers, nous devons promettre quelque chose de différent à nos collaborateurs et nous pouvons nous permettre d’être moins conventionnels », explique Laurent Choain. The Next MBA, cursus lancé en 2013, innove en proposant un programme dédié au leadership et ouvert à d’autres entreprises, comme L’Oréal ou Saint-Gobain. Cinquante participants de nationalités et d’horizons différents suivent ce MBA dont les sessions sont dispensées à travers le monde. Travailler avec les autres parties prenantes au sein d’un écosystème permet à Mazars de voir grand sans être forcément le plus gros.