- Getaway>
- The Good Guide>
Marcel Pagnol hante encore les collines de son enfance comme un esprit bienveillant. Du village de la Treille au Château de la Buzine en passant par les sentiers du Garlaban, nous avons suivi ses pas, entre roman et réalité.
Marseille est aujourd’hui toujours habitée du fantôme de Pagnol, comme une famille le serait du souvenir d’un grand-père défunt. L’Académicien a conté comme personne son amour pour la cité phocéenne, sentiments qu’il a su transmettre à des générations d’écoliers. C’est à la suite de la perte de sa fille Estelle en 1954, âgée de deux ans et demi, que, meurtri, il entreprend la rédaction de ses Souvenirs d’Enfance. Une œuvre autobiographique romancée dans laquelle il magnifie les temps heureux de sa jeunesse. L’auteur touche à la fugacité du bonheur, son œuvre à une forme d’universalité, bien qu’il joue avec la véracité des faits, ou du moins leur chronologie. C’est le « mensonge provençal », petit coup de pouce donné au réel pour lui faire revêtir un aspect plus poétique. C’est ce que nous sommes allés vérifier justement, là où la réalité laisse place au roman.
Lire aussi : Jacques Bianchi Marseille JB200 Marégraphe, la montre de l’été
Le Marseille de Pagnol
« C’est l’histoire d’un gamin qui fait des bêtises, mais qui aime son père et sa mère », explique notre guide Odile Tertrais, alors que nous marchons vers le village de La Treille dans le 11ᵉ arrondissement de Marseille. Ce lien à ses parents est quasi fusionnel.
« Ils étaient mon père et ma mère, de toute éternité, et pour toujours. L’âge de mon père, c’était vingt-cinq ans de plus que moi, et ça n’a jamais changé. L’âge d’Augustine, c’était le mien, parce que ma mère, c’était moi, et je pensais, dans mon enfance, que nous étions nés le même jour », confie Marcel en préambule de La Gloire de mon Père. Pagnol nous dépeint là une famille française presque modèle d’une Troisième République mythifiée, notamment par la figure de son père Joseph, instituteur républicain, laïque et anticlérical, dans une France qui voit alors son État divorcer de l’Église catholique.
Aller à la Treille, c’est encore aujourd’hui le bout du monde. Pour le petit Marcel, ce parcours représente toute une aventure. On y reconnaît encore aujourd’hui la fontaine de la place de l’église, la même où furent photographiés Joseph Pagnol avec les deux bartavelles. Il faut s’imaginer ces lieux au début du XXᵉ siècle, à une époque où ils se trouvent encore en zone rurale. Depuis, l’urbanisation s’est étalée loin. IKEA et KFC dominent la zone commerciale de la Valentine, quelques garages et zones d’activités ponctuent ce chemin autrefois champêtre, c’est ainsi.

Des randonnées en « pagnolie » sur les traces de ses tournages
Au-delà des liens familiaux, l’autre amour fondateur de Marcel, ce sont ses collines. On le voit toujours, le Garlaban, fascinant, culminant à 774 mètres d’altitude, il domine la petite ville d’Aubagne. Des sentiers Pagnol arpentés chaque jour par des dizaines de randonneurs. On est ici dans le fameux « désert de Garrigues » parcouru de chemins de romarin, tout y est resté inchangé, comme dans le livre. C’est le décor d’un paradis perdu, une Provence idéalisée qui agit comme un refuge. Pagnol restitue l’enfance avec une richesse sensorielle rare : les odeurs, la chaleur du soleil sur les pierres… Son rapport à la nature est quasi spirituel, dans les descriptions qu’il fait des plantes de ses collines, simplement magnifiques.
« Nous, à Aubagne, on en est fiers de Pagnol, il disait que la plus belle lumière était le soleil de Provence », nous dit de son accent chantant Olivier Chesneau, guide accompagnateur de randonnées. Ce passionné véritable fait ici revivre l’âme de l’auteur, et nous resitue quelques éléments contextuels. Comme homme de lettres, Marcel Pagnol s’est d’abord fait connaître via le théâtre, grâce notamment à son grand succès Topaze. Mais c’est surtout par ses films qu’il s’est fait un nom. Visionnaire, il a pressenti l’importance que prendrait le cinéma parlant. Il tournera dans ses chères collines Manon des Sources, Angèle, Le Schpountz… Des lieux de tournage toujours visibles.
Mélancolie au Château de ma Mère
En 1941, il fait l’acquisition du Château de la Buzine dans l’ambition de transformer Marseille en « Cité du cinéma ». Néanmoins, la guerre mettra un terme à ce rêve qui ne verra jamais le jour. Il est possible de parcourir le domaine de cette demeure Second Empire et de retracer les chemins empruntés par sa famille le long de canaux et de rigoles. C’est ici le lieu de la peur d’Augustine, celui-là même où le terrible garde les surprend dans Le Château de ma Mère. Seulement, en visitant l’endroit, on se rend compte que le canal de Marseille n’y passe pas, l’on y trouve qu’une petite dérivation et la description du château est plutôt éloignée de sa réalité. On n’en admire d’autant plus le talent du romancier.

Là encore, l’urbanisation marseillaise a grignoté du terrain année après année. Le bruit de la route, parfois les tags, jurent un peu avec l’image d’Épinal d’une Provence bien sage décrite par son auteur. Contraste mélancolique. Puis nous apercevons la dernière porte, la porte du temps dont son père avait la clé, celle de la libération qui mène à l’illustre Carrefour des Quatre Saisons, devenu depuis un bar-tabac. Un sentiment poignant nous prend, l’on songe à la vie de Marcel Pagnol marquée par les deuils successifs, à sa quête absolue de sens, à son amour indéfectible pour sa famille.
Il perdra prématurément son petit frère Paul, à l’âge de 34 ans, quelques années après son ami d’enfance, indissociable des collines, Lili des Bellons, « en 1917 dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms ». Ces deux tragédies furent précédées par le décès de sa mère Augustine, disparue en 1910 à seulement 36 ans. À sa mort en 1974, Marcel Pagnol est inhumé au cimetière de La Treille, aux côtés des siens. « Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants ». C’est par cette note tragique qui clôt le deuxième volet de ses souvenirs que l’auteur a su toucher au cœur des générations de lecteurs, et qu’une communauté de passionnés tient à faire revivre ces temps heureux, par amour de la littérature et nostalgie d’une époque révolue. Car le bonheur est aussi fragile qu’éphémère.
Que faire à Marseille selon Pagnol
Visite guidée de la Treille avec Odile Tertrais
Adorable village perché aux portes de Marseille, on y trouve les tombes de la famille Pagnol, au cimetière du village. Le Chemin des Bellons vous conduit jusqu’à la colline de « La Grotte du Grosibou » mais aussi la bastide que son père louait, et qu’il a immortalisée dans La Gloire de mon père. Encore debout.
Randonnée dans le massif du Garlaban, au départ du Domaine de la Font de Mai
Nombreuses randonnées balisées sur les traces de Pagnol. Découverte des sites évoqués dans ses livres et ses films : vallons, garrigues, grottes, bastides abandonnées… Randonnées théâtrales possibles.
Maison natale de Marcel Pagnol
Transformée en maison-musée, on y trouve des objets de famille, des manuscrits, des lettres, des extraits de films… Une immersion dans sa jeunesse et son œuvre. L’intérieur a été reconstitué pour restituer l’ambiance d’une maison provençale de la fin du XIXe siècle.
16 Cours Barthélemy, 13400 Aubagne. Informations.
Visite du Château de la Buzine
Randonnée pagnolesque autour du Château de la Buzine avec Marianne Ruelle, présidente de l’association Marseille Autrement. Guide très érudite, démêle l’histoire vraie du roman, lecture d’extraits, explications sur le patrimoine marseillais.
Le Petit Monde de Marcel Pagnol
Une exposition permanente de 200 santons, représentant les scènes et les personnages de son œuvre.
Où manger à Marseille, sur les traces de Pagnol ?
Le Plongeon
A mi-chemin entre bistronomie et gastronomie étoilée, le Plongeon propose une cuisine instinctive, authentique et locavore, inspirée du marché et des étals du Vieux-Port.
1 Rue Méry, 13002 Marseille. Informations.
Restaurant du Château de la Buzine
Au cœur du parc des Sept Collines, le restaurant du Château de la Buzine vous invite à savourer une cuisine locale dans l’ancien château de Marcel Pagnol.
56 Trav. de la Buzine, 13011 Marseille. Informations.
Buvette de la Font de Mai
Sur les sentiers Pagnol, Marcel vous accueille sous la pergola de sa buvette conviviale pour une pause gourmande et décontractée au cœur des collines. Grillades, salades et plats faits maison sur réservation.
Domaine de la Font de Mai, Route d’Eoures, 13400 Aubagne. Informations.