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Au point mort depuis l’abandon du programme Apollo en 1972, les missions d’exploration spatiale habitées tentent de retrouver un second souffle. Conscientes de leur potentiel à faire rêver les foules, les grandes « nations spatiales » imaginent dès à présent les nouvelles conquêtes du cosmos. En ligne de mire : la Lune, utilisée cette fois‑ci comme base arrière pour des missions plus lointaines. Sur Mars, destination de tous les fantasmes ? Entre défis technologiques et restrictions budgétaires, la conquête de la planète rouge est loin d’être acquise.
George W. Bush en avait fait sa priorité en janvier 2004 : des astronautes marcheraient à nouveau sur la Lune à l’horizon 2020. En dépit des apparences et malgré la douzaine d’Américains qui ont foulé son sol poussiéreux, la Lune recèle encore de nombreux mystères. Quelle fut son histoire ? Il suffit d’observer depuis l’espace sa surface criblée de cratères d’impacts météoritiques pour l’imaginer mouvementée. Or, cette chronologie est intimement liée à celle de toutes les planètes du système solaire. Ce n’est d’ailleurs qu’après avoir collecté les premiers échantillons sur la Lune que les scientifiques ont pu retracer les différentes étapes de la vie du système solaire et déterminer avec précision son âge : 4,5 milliards d’années ! Par ailleurs, nous ne connaissons que la face visible de l’astre, composée de vastes plaines de lave très lisses. Mais qu’y a-t-il sur l’autre hémisphère, celui qui nous est à jamais occulté ? Les sondes envoyées à proximité nous ont révélé un spectacle d’apocalypse, où règne un chaos indescriptible de cratères d’impacts…
Si l’ambition de retourner sur la Lune a été abandonnée par la Nasa peu après l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, en 2009, la Chine, nouvelle puissance spatiale, en a fait son cheval de bataille. Avec son programme d’exploration lunaire débuté en 2007, elle souhaite rejoindre la courte liste des puissances spatiales et asseoir sa suprématie d’Etat fort et technologique. Coup sur coup, et avec une efficacité remarquable, les Chinois ont réussi à envoyer deux sondes orbitales chargées de cartographier précisément certaines régions de la Lune, ainsi qu’un petit atterrisseur de 140 kg baptisé Yutu, capable de se déplacer sur un périmètre de 3 km. Dès 2017, un nouvel atterrisseur récoltera jusqu’à 2 kg d’échantillons qui seront rapportés sur Terre, avant l’objectif ultime d’envoyer un Chinois fouler la poussière lunaire à l’horizon 2025-2030. Plus surprenant, l’administration spatiale chinoise a annoncé qu’elle avait sérieusement l’intention d’exploiter les ressources lunaires, en particulier la grande quantité d’hélium 3 qui recouvrirait sa surface. Cet élément, rare sur notre planète, est très recherché pour ses applications en fusion nucléaire, et donc pour la production d’énergie.
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Mais gardons les pieds sur Terre : récolter les 100 000 tonnes d’hélium éparpillées sur l’ensemble de la surface de notre satellite naturel n’est pas une mince affaire, et nous sommes encore loin de maîtriser le mécanisme de fusion nucléaire pour la production d’énergie. Après la Chine, c’est l’Europe qui dévoile aujourd’hui son intérêt pour la Lune. A peine installé à la direction générale de l’Agence spatiale européenne (ESA), Johann-Dietrich Wörner s’est proposé, à l’été 2015, de mettre en place un programme pour succéder à la station spatiale internationale (ISS), dont la fin d’exploitation est programmée aux alentours de 2024. L’ESA souhaite réfléchir à la construction d’un village lunaire international, qui serait édifié par des robots, qui pourrait servir de base où préparer des expéditions vers des destinations plus lointaines. Pour, à terme, faire marcher un homme ou une femme sur la planète Mars ? C’est en tout cas l’ambition affichée des Américains, la Nasa ayant récemment constitué un groupe de travail chargé de réfléchir aux différentes étapes d’une telle conquête, imaginée à l’horizon 2030. « Le xxe siècle était l’ère d’Apollo. Le xxie siècle sera celle de l’homme sur Mars », confiait, il y a quelques mois, Francis Rocard, responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). L’astrophysicien en est convaincu : après l’arrêt de la station spatiale internationale, la Nasa aura à cœur d’entretenir son esprit pionnier. Qu’importe si un vol habité coûte de 100 à 1 000 fois plus cher qu’une mission robotisée, pour des résultats scientifiques équivalents. « Les Américains iront sur Mars, poursuit-il. Mais au bout de quatre ou cinq missions, le Congrès signera la fin de la partie, comme il l’a fait après Apollo 17. »
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Le long voyage psychologique
Comment un équipage pourra‑t‑il gérer une mission spatiale étalée sur plusieurs années ? Pour le savoir, six volontaires se sont engagés, l’été dernier, dans un défi fou : rester enfermés pendant un an sous un dôme de 11 m de diamètres et 6 m de hauteur à Hawaii, dont ils ne sortent qu’en combinaison d’astronaute ! Ce programme permet d’obtenir de nombreuses informations sur l’évolution psychologique d’un équipage engagé sur des missions isolées.
En 2010‑2011, six astronautes étaient restés pendant un an et demi dans la réplique d’un vaisseau spatial russe, dans le cadre du projet Mars‑500 dirigé par l’Agence spatiale européenne. Résultat : si le mental a parfois dû gérer des situations de conflit, de jalousie ou de stress, le corps, lui, a su s’adapter à une absence totale de lumière du jour et de produits frais. Il semblerait même que nos reins soient capables de traiter le sel selon un cycle hebdomadaire, travaillant plus pour l’éliminer certains jours que d’autres. De quoi mettre en place des méthodes de régime sur mesure…
Une colonisation utopique
En d’autres termes, personne n’ira jamais coloniser la planète rouge, n’en déplaise à Matt Damon, avec son incroyable dextérité à y faire pousser des pommes de terre dans le film Seul sur Mars. Les raisons en sont simples : Mars est une planète morte, sans intérêt pour l’avenir de l’humanité, et les difficultés que rencontreront des colons pour maîtriser un environnement aussi hostile seront quasiment insurmontables. A commencer par le coût des infrastructures à mettre en place. Avec un billet pour la planète rouge estimé entre 200 et 300 milliards d’euros, les agences spatiales ne multiplieront pas les allers-retours nécessaires à l’élaboration d’une base habitable. D’autant que la première condition pour mener à bien cette aventure repose sur le développement d’une fusée réutilisable, capable non seulement de se poser sur la planète, mais également d’en redécoller.
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Or, actuellement, les fusées lancées depuis la Terre sont entièrement perdues dans l’espace. Si l’entreprise américaine SpaceX est déjà bien avancée dans la mise au point d’une telle fusée à la Tintin, ses succès encore timides ne lui permettent pas de prendre le risque d’embarquer des vies humaines. Par ailleurs, une colonie martienne nécessite d’envoyer au préalable des modules d’habitation, des véhicules de transport au sol, des installations pour la production d’énergie, les outils pour extraire l’eau du sous-sol, des équipements de cultures… Si, par hypothèse, tout ce matériel parvenait intact à la surface de Mars, les chances de survie de l’équipage seraient maigres. Aucun ingénieur sérieux ne peut garantir, pour le moment, un amarsissage avec une précision de moins d’une vingtaine de kilomètres. Pour preuve, lorsqu’en août 2012 les scientifiques sont parvenus à faire amarsir le robot Curiosity à 2,5 km du point visé, le monde a crié à l’exploit ! Dans ce contexte, on imagine mal les futurs « martiens » parcourir des dizaines de kilomètres à pied munis de scaphandres afin de récupérer le matériel éparpillé sur la surface.
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Et si des colons parvenaient malgré tout à s’établir sur la planète, comment se débrouilleraient-ils pour boire, manger, se doucher, bref, autant d’activités nécessitant d’importantes quantités d’eau ? Si nous savons que le sol martien renferme de la glace d’eau, personne n’est en mesure de la quantifier ni de la localiser. Lorsqu’en 2008 la sonde Phoenix a tenté de creuser à 1 m de profondeur, sa pelle s’est arrêtée net au bout de 10 cm sur un sol glacé dur et fortement oxydant. Difficile alors d’imaginer planter des carottes… à moins de mettre en place des revêtements synthétiques entourés de serres et des conditions viables à l’intérieur des modules d’habitation (en extrayant l’oxygène présent dans l’atmosphère martienne sous forme de CO2, par exemple).
Peut-être, mais cela suppose de produire beaucoup d’énergie sur place. Or, les ressources ne sont pas si variées. Personne ne sait construire des centrales électriques dans l’espace, et l’atmosphère martienne est bien trop faible pour faire tourner des éoliennes. Quant à l’énergie solaire, il faudrait étaler des panneaux photovoltaïques sur une surface équivalente à dix terrains de football, sans compter le dépôt de la poussière martienne, qui ferait considérablement chuter leur rendement. A ces difficultés s’ajoute le problème des radiations cosmiques et autres éruptions solaires, dont la dose reçue est estimée à 1 Sv (le sievert est l’unité utilisée pour donner une évaluation de l’ impact des rayonnements sur l’homme) pour une mission de 500 jours sur Mars, soit une augmentation de 5 % du risque de cancer pour un astronaute. Le taux autorisé par la Nasa pour des activités sur orbite terrestre, lui, plafonne à 3 %. On l’aura compris, la meilleure volonté ne suffit pas toujours pour qu’un rêve, aussi noble soit-il, se réalise. Notre avenir a donc toutes les chances de se trouver sur Terre…
Mars One, le grand bluff ?
Vous avez sans doute entendu parler du projet farfelu Mars One qui promet un aller‑simple vers la planète rouge à des dizaines de candidats. Cependant, il est fort probable qu’une telle épopée ne voie jamais le jour. Au‑delà d’une facture extrêmement sous‑estimée par les organisateurs (5,4 Mds €, quand la Nasa le chiffre à des centaines de milliards), les obstacles à franchir donnent le tournis. Une étude du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) a même estimé que la mort du premier pionnier arriverait à peu près au bout de 68 jours, par asphyxie, en fonction des ressources en oxygène et en nourriture et des technologies pour cette mission.