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Thomaz Azulay et Patrick Doering
Thomaz Azulay et Patrick Doering, créateurs de la marque The Paradise.
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Lifestyle

Les marques brésiliennes sortent leurs griffes

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Certains noms façonnent le paysage de la mode depuis des années. D’autres se laissent porter par une liberté de ton inédite. Toutes défendent le style de vie carioca, savant mélange de beachwear, d’imprimés aux couleurs vives et d’élégance sportive.

Reserva
En douze ans, Rony Meisler et Fernando Sigal sont parvenus à transformer une simple collection de bermudas, imaginée dans une salle de sport de Rio, en une solide entreprise de mode qui emploie plus de 600 personnes et dont le chiffre d’affaires a atteint 231 M de réaux en 2014. Depuis l’inauguration de leur première boutique à Ipanema en 2006, 35 autres magasins ont ouvert leurs portes, et les bermudas et les tee-shirts ornés du fameux logo en forme d’oiseau – un pic à bec d’ivoire pour être exact – se vendent désormais dans 1400 points de vente au Brésil. Les deux amis d’enfance ont également lancé des collections pour les femmes et pour les enfants, et enrichi de manière surprenante leur éventail d’activités, en ouvrant, en 2013, un restaurant : le T. T. Burger, en collaboration avec le groupe Troisgros. Reserva investit 10 % de ses bénéfices annuels dans des projets sociaux et a lancé, en 2014, le projet « Rebelles avec une cause » pour favoriser l’entrepreneuriat social chez les jeunes Brésiliens. L’enseigne se fait aussi remarquer par une communication osée. Lors d’une vaste opération policière dans une favela de Rio, un tee-shirt de la marque apparaît en gros plan sur tous les écrans de TV, porté par un jeune trafiquant de drogue arrêté par la police. Rony Meisler le recontacte à sa sortie de prison et en fait le visage du projet social de Reserva. Et quand des malfaiteurs dévalisent l’une des boutiques de la marque à São Paulo, l’entreprise utilise la vidéo enregistrée par la caméra de surveillance pour annoncer une promotion sur des vêtements avec un slogan : « Pas besoin de casser la vitrine. Il suffit d’entrer ! » Un style bien léché, qui a valu à l’enseigne – dont le nom fait référence à une plage de Rio – d’être élue marque la plus créative d’Amérique latine par la revue américaine Fast Company en 2015.

Rony Meilser, créateur de Reserva.
Rony Meilser, créateur de Reserva. DR
Boutique Reserva.
Boutique Reserva. DR

Farm
La marque féminine la plus hippie chic de Rio de Janeiro est née en 1997 des mains de deux jeunes entrepreneurs, Katia Barros et Marcelo Bastos, au sein de l’un des bazars de la mode les plus courus de la ville, et s’est rapidement imposée dans la garde-robe des jeunes femmes de tout le Brésil. En 1999, la marque ouvre sa première boutique à Copacabana et en inaugure deux autres deux ans plus tard. Le succès est au rendez-vous et dépasse très largement les attentes des deux créateurs, qui vendent un total de 42 000 pièces cette même année, au lieu des 15 000 prévues. L’enseigne s’appuie sur une identité visuelle forte et sur un large panel de couleurs et d’imprimés, en hommage à la nature luxuriante de Rio. Farm s’associe aussi avec d’autres marques pour lancer des collections capsule, comme celle, très remarquée, réalisée en collaboration avec Adidas Originals. « Cette collaboration nous a permis de vendre nos pièces dans 50 pays, ce qui nous fait repenser nos perspectives mondiales », souligne Carlos Mach, responsable de la stratégie de marque chez Farm. Mais, pour l’heure, l’enseigne préfère consolider ses racines brésiliennes, surtout depuis que la crise économique a affaibli ou fait disparaître certains de ses concurrents directs. « 2015 a été une année difficile, qui a exigé beaucoup de créativité de la part de toute l’équipe. Depuis l’année dernière, nous avons une réunion hebdomadaire pour déterminer les actions commerciales de la semaine. C’est ce qui nous a permis de tenir bon. » Dernière trouvaille de la marque : la vente en preview qui permet à certaines clientes de venir essayer et acheter des pièces d’une future collection en exclusivité.

Katia Barros et Marcello Bastos, créateurs de Farm.
Katia Barros et Marcello Bastos, créateurs de Farm. DR
Boutique Farm.
Boutique Farm. Andy Batt

Isabela Capeto
Trois questions à Isabela Capeto, styliste et créatrice de la marque de mode féminine qui porte son nom.
The Good Life : Votre nom est l’une des marques les plus connues du marché brésilien, et vous avez emprunté le chemin inverse de celui de nombreuses griffes cariocas, rachetées par de grands groupes. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Isabela Capeto : Après trois ans de partenariat, j’ai en effet décidé de racheter ma marque au groupe Inbrands, une holding qui détient notamment Salinas, Richards, G-Star Raw et Tommy Hilfiger. Je n’étais pas satisfaite de leur stratégie, je ne voulais pas importer des tissus ni produire en Inde ou en Chine comme l’envisageait le groupe. Je me suis endettée et, depuis 2015, je suis de nouveau propriétaire à 100 % de ma marque. Cela m’a obligée à limiter mon activité. J’ai donc fermé mes quatre boutiques de São Paulo et de Rio. Aujourd’hui, seul mon atelier de Gavea est ouvert et je suis passée de 72 à 5 employés. Je travaille avec des tissus brésiliens et mes vêtements sont faits à la main par des couturières locales.
TGL : Que vous apporte cette nouvelle phase en termes de créativité ?
I. C. : Je lance une collection principale une fois par an et j’ai fait un défilé d’été réservé à la presse lors de la Fashion Week de São Paulo, mon premier depuis cinq ans. Tout au long de l’année, je produis aussi plusieurs collections capsule, avec des vêtements atemporels. J’ai la sensation d’avoir retrouvé ma liberté et je me permets de ne pas suivre la tendance. Je travaille sur de vieilles chemises, je donne une seconde vie à certains vêtements et je m’adapte aussi à l’évolution d’un marché sur lequel les acheteurs sont moins consuméristes et valorisent davantage les pièces exclusives et nationales.
TGL : Envisagez-vous de recommencer à exporter vos créations ?
I. C. : Avant le rachat de la marque par Inbrands, j’exportais 70 % de mes vêtements et je vendais notamment au Bon Marché et chez Colette, mais Inbrands a décidé de stopper ces actions commerciales. C’est quelque chose que je voudrais reprendre, mais de manière progressive. Par exemple, je continue les showrooms semestriels à Paris. Le prochain est prévu en avril.

Isabela Capeto, styliste et créatrice de la marque de mode féminine qui porte son nom.
Isabela Capeto, styliste et créatrice de la marque de mode féminine qui porte son nom. Luiza Chataignier
Boutique Isabela Capeto.
Boutique Isabela Capeto. DR

Osklen
Considérée comme la « Ralph Lauren brésilienne », la marque Osklen est devenue une référence en matière de success-story carioca. Et sa réputation, qui dépasse aujourd’hui les frontières du Brésil, est très intimement liée à son improbable créateur, Oskar Metsavaht. Ce Brésilien d’origine estonienne et au profil atypique débute sa vie professionnelle comme… orthopédiste, dans un hôpital de Rio. Il a ensuite la curieuse idée d’ouvrir une boutique de vêtements d’hiver dans la très chic station balnéaire de Búzios, avant de s’orienter plus logiquement vers le surfwear. Il ne connaît rien à la mode et perd la plupart de ses économies, mais il réussit finalement à donner une nouvelle impulsion à sa marque qui, depuis la fin des années 90, est l’une des seules griffes brésiliennes à s’être fait une place sur le marché du luxe mondial. Celle qui compte parmi ses clients des célébrités comme Sting, Madonna et Naomi Campbell a aussi reçu l’aval des stylistes Marc Jacobs et Calvin Klein. L’utilisation de coton biologique et de peaux de poissons sur ses pièces et la mise en place d’usines « propres » contribuent également à renforcer le prestige de cette marque eco-friendly, qui dose de manière subtile les influences urbaines et tropicales de Rio. Majoritairement détenue par le groupe Alpargatas, qui a déboursé plus de 70 M € pour l’achat de 60 % de ses actions, Osklen continue d’avoir la folie des grandeurs. La marque, qui peut compter sur un réseau de 60 boutiques propres et de 21 franchises au Brésil, veut renforcer sa position sur le marché américain. Exportée depuis douze ans – elle a des points de vente à New York, à Miami, à Tokyo, à Punta del Este et à Mykonos –, la marque dispose d’un budget de 5 M $ pour ouvrir 10 nouvelles boutiques américaines d’ici à 2020. L’idée est d’inaugurer un nouveau flagship à New York et un premier magasin à Los Angeles cette année. Dernièrement, Osklen s’est aussi fait remarquer dans le film Birdman : l’acteur Edward Norton portait une veste kaki de la marque sur le plateau, et le réalisateur Alejandro Iñárritu a décidé d’en faire l’uniforme de son personnage !

Boutique Osklen, Rio de Janeiro.
Boutique Osklen, Rio de Janeiro. DR
Boutique Osklen, Rio de Janeiro.
Boutique Osklen, Rio de Janeiro. DR

Handred
Lancée par le discret designer André Namitala, la marque Handred a fait une entrée remarquée, faisant souffler un vent de fraîcheur sur la scène, plutôt limitée, de la mode masculine carioca. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 23 ans, suivait des études de droit lorsqu’il a poussé les portes de l’atelier de confection d’une amie de sa mère. Une révélation qui lui a fait prendre le chemin des cours de mode puis du département de design de la marque Ausländer, où il a officié pendant deux ans avant de prendre son envol. « J’essaie de changer la lecture rigide de la mode masculine par le biais des tissus et des coupes. Mon ambition est de faire des vêtements pour pouvoir supporter une chaleur de 40 °C », déclarait-il en 2015. S’il ne délaisse pas les imprimés et les coloris typiques de Rio – une partie de sa collection est résolument orientée vers la mode de plage –, le créateur mise surtout sur des tissus en fibres naturelles, comme le lin, et sur des coupes classiques proches des tailleurs, pour proposer des pièces plus élégantes, toutes faites à la main dans son atelier de Botafogo. Pour sa collection hiver 2016, baptisée Liban, le jeune designer s’est inspiré des tapisseries du pays dont est originaire sa famill  e pour décliner un ensemble d’imprimés géométriques, cassant les codes tropicaux de la mode carioca. Et en attendant de pouvoir défiler à la Fashion Week de São Paulo, qu’il regarde avec envie, André Namitala élargit son éventail de créations en lançant une première collection capsule pour femmes.

Handred.
Handred. Pedro Loreto

Clau Cicala
Cette très jolie native de São Paulo débarque pour la première fois à Rio en 2010, pour suivre son mari, originaire de la ville. Spécialisée dans l’édition, elle ne s’était jamais aventurée dans le domaine de la mode et encore moins du design. « Ma grand-mère peignait à l’aquarelle, je vivais entourée de peinture, mais je n’avais jamais pensé en faire un métier », sourit-elle. Un peu perdue dans la jungle urbaine, Clau Cicala décide de suivre une spécialisation en imprimés, une niche aujourd’hui en plein boom sur le marché carioca. Elle monte ensuite une présentation de ses créations et contacte toute une liste de marques. Rapidement, des clients viennent frapper à la porte de son showroom, qui occupe une petite pièce de son appartement, à Barra da Tijuca. Elle travaille notamment avec la marque de beachwear Blue Man, puis dessine pour Perky Shoes, C&A et Farm. A ces premiers travaux viennent s’ajouter des collaborations plus inattendues : la créatrice de bijoux Francesca Romana Diana la sollicite pour sa collection Brésil, et Mercedes‑Benz, sponsor d’une importante conférence sur la mode au Brésil, lui commande un imprimé unique pour son modèle GLA 250. Touche-à-tout, Clau Cicala lance aussi toute une collection pour une boutique multimarque d’Ipanema et gère tout le processus, de la création des dessins au modelage et à la finition des pièces. Devenue en peu de temps l’une des références cariocas en matière de design d’imprimés – on se bouscule à ses workshops –, la jeune femme puise son inspiration dans la nature, omniprésente à Rio, et travaille à l’aquarelle et au crayon – elle a d’ailleurs introduit au Brésil une marque de crayons japonaise, aujourd’hui en plein essor dans le pays. Cette année, elle doit signer un partenariat avec la marque de tongs Ipanema et continue de chercher de nouvelles surfaces sur lesquelles s’exprimer. A terme, elle voudrait pouvoir appliquer ses imprimés sur des immeubles et des avions. C’est tout ce qu’on lui souhaite !

Clau Cicala.
Clau Cicala. DR
Imprimé de Clau Cicala.
Imprimé de Clau Cicala. DR
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