Culture
En pleine débâcle économique post-Brexit et malgré l’ombre portée par la nouvelle foire Paris + Art Basel qui prend place cette semaine, la capitale anglaise demeure une oasis pour les marchands d’art. Le PAD, Frieze et Frieze Masters ont battu leur plein la semaine dernière.
Covid et Brexit ont laissé leurs traces dans les rues de Londres. Sur les grandes artères commerciales d’Oxford Circus, de nombreuses enseignes populaires ont mis la clé sous la porte. En revanche, tout change dans petites rues de Mayfair, du côté de l’élégante New Bond Street où la maison de ventes Sotheby’s a tenu le 14 octobre sa traditionnelle vente d’art contemporain de la Frieze week pour un total adjugé de 107 millions de dollars frais compris, son record en 7 ans. Joailliers et antiquaires, boutiques de grands noms de la mode et concessionnaires de voitures de luxe ne connaissent pas la crise. À quelques pas de là, sous les platanes centenaires de Berkeley square, le PAD London, version anglaise du PAD, salon parisien consacrée à l’art et au design, a installé sa tente du 11 au 17 octobre, après trois ans d’absence. Là aussi, les affaires sont allées bon train.
Clientèle fortunée au PAD London
Dès le vernissage, le bureau en bronze aux allures de branchages du designer australien Charles Trevelyan, proposé à un peu plus de 140 000 euros fut vendu, entre autres, par la Carpenters Workshop Gallery. Les jours suivants, après le lancement de la Frieze, beaucoup de clients sont revenus au salon pour concrétiser leurs coups de cœur. Cette clientèle internationale et fortunée typiquement londonienne, originaire d’Inde, des Etats-Unis, d’Asie et du Moyen Orient mais qui possède un pied-à-terre dans les quartiers chics de la capitale britannique, fait vivre le Londres du luxe. « Avec la tourmente boursière et le Brexit, j’étais venu en traînant les pieds, avec la perspective d’essuyer l’augmentation des frais de transports, les tracasseries douanières et les augmentations de taxes, sans voir les visiteurs se ruer sur les stands. Finalement je ne regrette pas du tout ma participation », sourit Victor Gastou, qui a vendu dès les premiers jours un grand miroir en bronze doré années 1970 de Victor Roman et six chaises années 1950 en chêne gougé des ateliers de Marolles.
Le designer Hervé Van der Straeten (dont deux consoles ornent le Palais de l’Élysée), destinait au goût luxueux des acheteurs londoniens une paire de cabinets cubisants de deux mètres quarante de haut, pièces uniques avec tiroirs secrets en palissandre des Indes, ornés de laques de Chine du XVIIIe siècle, fermés de clés en cristal de roche. Ils ont demandé deux ans de travail aux ébénistes de son atelier. Malgré leur prix très conséquent d’un million deux cent soixante mille euros, ils étaient réservés dès le début de la foire.
Quant à Thierry Lemaire, le designer qui a réalisé le sobre bureau d’Emmanuel Macron, son stand ne désemplissait pas, recueillant les commandes pour ses tables basses sophistiquées au plateau d’Onyx ou de bois Ziricote brillant à 25 000 euros pièce.
Surprises à la Frieze
Verdict satisfait aussi pour les exposants de la Frieze, le salon d’art contemporain cutting edge de Regent’s Park et de sa petite sœur et voisine la Frieze Masters, plus orientée vers l’art moderne, qui fêtait ses dix ans. « C’est la seconde fois que j’expose à Frieze Masters, et comme la première fois, il y a quatre ans, j’ai senti un niveau d’aisance financière qu’on ne connaît pas en France », remarque Stéphane Corréard, dont la galerie parisienne Loeve&Co, pilotée avec Hervé Loevenbruck et spécialisée dans les valeurs à redécouvrir de l’histoire de l’art, exposait dans le secteur Spotlight, dédié pour cette édition anniversaire aux artistes féminines du XXe siècle sous le commissariat de Camille Morineau.
Le stand était entièrement consacré à la peintre Leonor Fini, forte tête proche des surréalistes, avec des prix échelonnés entre 10 000 euros pour une œuvre sur papier et 1 million d’euros pour une grande toile. Pour les tableaux, des négociations sont en cours mais une vingtaine d’œuvres sur papier, dont une à la Tate Modern, étaient vendue entre 10 000 et 50 000 euros pièce dès les premiers jours. « À Londres, 40 000 euros semblent une somme raisonnable », détaille le galeriste. Ce qui explique qu’à Frieze, dix petites peintures d’Ugo Rondinone du stand de la londonienne Sadie Coles (de 30.000 à 45.000 dollars) trouvaient preneur en moins d’une heure de foire.
VIPS et Sold Out en pagaille
La Frieze, dans l’imaginaire collectif, c’est aussi du bling, des œuvres à millions disputées en une heure. La foire créée en 2003 qui a depuis essaimé des répliques à New York, Los Angeles et cette année à Seoul, est réputée pour la puissance de son carnet d’adresses et sa capacité à capter les collectionneurs fortunés comme les acheteurs des musées, venus des cinq continents. C’est d’ailleurs un musée américain qui a jeté son dévolu sur le très technicolor Black an Part Black Birds in America de Kerry James Marshall’s (2022) sur le stand de David Zwirner, décroché pour 6 millions de dollars le soir du vernissage. On pouvait y croiser entre autres la princesse Béatrice d’York, fille aînée du prince Andrew et de Sarah Fergusson, la joueuse de tennis Maria Sharapova, Rocco Ritchie fils de Madonna et artiste en devenir et l’acteur Jared Leto.
Sur le stand du belge Xavier Hufkens, une grande toile de l’anglaise Tracy Emin, Leave me in my Own space (2022), trouvait preneur à un peu plus d’un million de dollars tandis que quatre de ses petits néons, dans le même esprit que son œuvre monumentale rose I Want My Time With You qui accueille les voyageurs de l’Eurostar à la gare de Kings Cross, étaient achetés 67 000 dollars chacun.
Sold out ! On peut citer le solo-show de peinture abstraite multicolore du peintre anglais Jadé Fadojutimi, sur le stand du mastodonte Gagosian (dix-neuf galeries dans le monde, dont deux à Londres, de New York à Athènes en passant par Gstaad), et les belles toiles à la manière impressionniste du parisien d’origine guadeloupéenne Alexandre Lenoir, né en en 1992, qui s’arrachaient toutes en moins de 24 heures chez Almine Rech pour des prix s’échelonnant de 48 000 à 90 000 euros, séduisant collectionneurs et musées en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.
Une grosse ombre au tableau toutefois : un groupe de « trustees » du MoMa de New York, personnalités toutes puissantes arbitrant les achats pour les collections du musée, pourtant très attendus, n’ont pas mis les pieds au salon, peut-être dissuadés par une critique assez féroce de la presse spécialisée sur la qualité des œuvres présentées. Déjà en France, ils ont confirmé leur présence à Paris + Art Basel.
Lire aussi...
Semaine de l’art contemporain à Paris : Christie’s prend le pouls du marché