Culture
Peu de villes peuvent se vanter de posséder un musée dédié à l’urbanisme. Shanghai est l’une d’entre elles qui, depuis 2000, expose l’efficacité de sa planification urbaine dans un bâtiment emblématique situé sur la place du Peuple. Un outil de propagande certes, mais qui prouve l’importance accordée à cette discipline en Chine. Les études, colloques et publications dédiés à ce sujet ne manquent pas, et de nombreux universitaires se sont penchés et se penchent encore sur la question urbaine de Shanghai. Une ville qui, de par son histoire, se démarque des autres villes chinoises.
« Les gens pensent que Shanghai est une ville chinoise. Mais, pour les Chinois, c’est une ville occidentale, résume Li Xiangning, vice-doyen et professeur à l’école d’architecture et d’urbanisme de l’université de Tongji. C’est une ville unique en son genre en Chine, qui a été la fenêtre du pays sur le monde. Au début du XXe siècle, les jeunes Japonais qui désiraient étudier en Europe venaient d’abord à Shanghai pour se familiariser avec le monde occidental. Mais, en 1949, à l’avènement de la république populaire de Chine, tout change. Ou plutôt, tout s’arrête. Shanghai est en quelque sorte punie pour avoir été une vitrine du capitalisme. Ses industries sont réquisitionnées et, ne recevant que très peu d’argent de Pékin – en 1949, la ville représente pourtant à elle seule 50 % du commerce extérieur du pays –, rien n’y est construit jusque dans les années 80. Presque un demi-siècle de sommeil. Le point positif de cette punition fut que la ville a été, malgré elle, préservée. Quand les effets de la politique d’ouverture ont commencé à se faire sentir, le développement a été explosif, mais reposait sur un tissu urbain dont on sent encore la trame. Beaucoup de secteurs historiques ont été détruits, mais Shanghai reste, comparativement à Pékin, une ville dont l’échelle, depuis la rue, est à taille humaine. On s’y déplace aisément, même à pied ; la circulation est dense, mais pas chaotique. »
Dans les années 50, des plans directeurs avaient été forgés par des comités d’experts fortement influencés par les pratiques de l’Union soviétique. De grands chantiers ont été envisagés, qui devaient transformer Shanghai en une ville socialiste, détruisant au passage une bonne partie de son patrimoine. Des mesures heureusement abandonnées à la suite du désastre du Grand Bond en avant – la politique d’industrialisation qui a, entre autres, mené à la famine des habitants de la campagne. Ce n’est qu’à la fin des années 70, après la Révolution culturelle, que l’idée d’une planification urbaine ressurgit, et c’est évidemment Shanghai qui est désignée pour être le parangon d’un développement urbain réussi et d’une nouvelle voie économique à suivre. La ville redevient la vitrine du pays et, pour le monde, sa porte d’entrée. Les années 80 furent dédiées à l’amélioration des infrastructures et aux grands travaux d’aménagement du centre, selon un système favorisant le polycentrisme.
Transformation des rives du Huangpu
C’est lors de la décennie suivante que le développement de Pudong devient une priorité, s’accompagnant de la construction des infrastructures le reliant à Puxi et de l’expansion du métro. Avec ses 14 lignes, ce dernier est aujourd’hui le système de transport en commun rapide le plus long du monde. Les années 2000 ont été consacrées à la préparation de l’Exposition universelle de 2010, dont le thème était « Better City, Better Life ». Ce fut l’occasion de rénover le Bund – trottoirs, promenade et bâtiments historiques –, d’ajouter des lignes de métro et de réhabiliter le site de l’Expo, un grand terrain industriel pollué qu’il a fallu libérer et décontaminer. Il est aujourd’hui géré par la Shanghai World Expo Land Holding, qui y développe ses propres projets ou les confie à des promoteurs en s’assurant qu’ils répondent aux normes environnementales de la certification LEED Platine. Ce sont maintenant vers les rives du Huangpu que se concentrent les efforts, avec l’aide d’architectes internationaux : au nord du Bund, le Shanghai International Cruise Terminal, avec ses étranges capsules suspendues, conçu par le studio Sparks, le Huishan North Bund, un ensemble à usage mixte bâti autour d’une marina par Perkins Eastman et le White Magnolia Plaza, signé SOM (Skidmore, Owings & Merrill), la plus haute tour de ce côté du fleuve, qui sera achevée en 2017.
A l’ouest du Bund, en face du site de l’Expo, c’est la vie culturelle qui sert de locomotive au réaménagement du secteur. Depuis 2013, le domaine de l’art est favorisé par une politique d’exemption de taxes. On y trouve le Long Museum, dessiné par l’Atelier Deshaus, le West Bund Art Center et le Yuz Museum, installés dans des entrepôts réhabilités, le FU Space, d’Archi-Union, et le Shanghai Dream Center, grand projet culturel et récréatif, fruit d’une collaboration entre des investisseurs chinois et DreamWorks Animation. Innovation, technologie, culture : les efforts sont aujourd’hui concentrés autour de ces domaines. C’est d’ailleurs l’un des principaux buts fixés par le treizième plan quinquennal proposé par le président Xi Jinping et adopté en mars 2016. Le professeur Li Xiangning faisait récemment partie du jury d’un grand concours d’architecture pour la conception de trois installations culturelles à Pudong, une compétition qui s’adressait aux jeunes architectes de moins de 45 ans. A Lujiazui (toujours à Pudong), OMA s’apprête à construire un nouveau centre d’exposition sur une ancienne installation portuaire. De l’autre côté du fleuve, le Bund Finance Center, de Foster+Partners et Thomas Heatherwick, est encore en chantier. Près de l’aéroport Hongqiao, viennent d’être achevés le Sky SOHO, de Zaha Hadid, et le Flower Building, de MVRDV. Sans oublier, dans le centre, le musée d’Histoire naturelle, de Perkins+Will, et, bien sûr, la tour Shanghai, de Gensler, qui vient de redéfinir la skyline de la ville. Une skyline qui ne cesse de se transformer et de transformer Shanghai.
La tour Shanghai en chiffres
632 : sa hauteur en mètres. C’est la plus haute tour de Chine.
121 : le nombre d’étages.
2008 : l’année du début de sa construction.
55 : le temps, en secondes, pour arriver au sommet grâce à l’ascenseur le plus rapide du monde (64,8 km/h).
200 : le nombre d’éoliennes installées à son sommet, générant 10 % de ses besoins en électricité.
24 % : la réduction de la charge de vent obtenue grâce à sa forme asymétrique.
1,8 Md € : le coût estimé du projet.