Surtout ne pas se fier à son beau titre, L’Orient-Le Jour qui, vu depuis l’Occident, incline à rêver tant il évoque le voyage, les charmes romanesques et surannés des pays du Levant. Car, en vérité, « le » quotidien francophone de Beyrouth est bien ancré dans l’âpre réalité de la presse à l’heure du numérique et des enjeux géopolitiques du XXIe siècle. D’ores et déjà bimédia, L’Orient-Le Jour est un journal de combat, ou plus exactement de tous les combats qui vaillent pour défendre la souveraineté du Liban et de ses valeurs si souvent mises à l’épreuve par les ambitions et les manœuvres de ses puissants voisins.
Un titre presque centenaire, courageux et parfois même téméraire, dont l’histoire, à l’instar de celle du pays du Cèdre, est faite de passion, mais aussi de sang et de larmes. Son nom lui vient de la fusion, en 1971, dans un marché libanais au lectorat restreint, de deux quotidiens francophones : L’Orient, fondé en 1924 – quelques années seulement après la proclamation du Grand-Liban, à l’issue de la chute de l’Empire ottoman –, et Le Jour, lancé en 1934. Toujours debout, L’Orient-Le Jour est à l’image de ce « Liban-phénix » dont on a tant de fois décrit l’agonie et qui, toujours, se relève de ses cendres. Ni ce titre francophone emblématique, ni ses concurrents arabophones ne sont épargnés par la terrible crise de mutation qui, dans le monde entier, décime la presse écrite. Ainsi, le quotidien arabophone libanais As-Safir (« l’ambassadeur ») vient de mettre la clé sous la porte. « Plus personne dans ce pays, explique tristement Talal Salman, le fondateur du Safir, ne s’intéresse à la presse écrite ; on lui préfère les outils de transmission express de l’information, comme Twitter ou Facebook. La seule voix qu’on entend désormais, dans un monde arabe noyé dans le sang, est celle des balles et des mortiers. »
Face à l’ampleur de la crise de la presse, le ministère libanais de l’Information a proposé des mesures, comme une exemption de taxes, une réduction des factures de téléphone et d’Internet pour les médias, la possibilité d’un report des dettes auprès de la Banque du Liban, et même l’instauration d’une rétribution financière fixe pour chaque exemplaire vendu. La première victime de la guerre, a dit un jour le sénateur américain Hiram Johnson, c’est la vérité. Les journalistes libanais de L’Orient-Le Jour, comme ceux d’An Nahar, son « journal frère » aujourd’hui en grave difficulté financière, ont payé un lourd tribut pour porter cette vérité et leurs valeurs malgré les intimidations et les menaces de ceux qu’elles dérangent. En 1976, alors qu’il est l’un des correspondants du Monde et le rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, le vénéré Edouard Saab est tué par un franc-tireur sur la ligne de démarcation qui séparait l’est et l’ouest de Beyrouth, lui qui se refusait de voir ses compatriotes s’enfermer dans des ghettos communautaires. Mais il faudrait aussi citer Fabienne Thomas, de L’Orient-Le Jour, tuée en voiture sur le « Ring de la mort », les assassinats de Samir Kassir et de Gébrane Tuéni, figures de proue d’An Nahar, les lâches attentats qui blessèrent grièvement Marwan Hamadé, journaliste brillant devenu ministre, ou sa consœur May Chidiac… Ou encore les nombreux enlèvements, par des milices, de prestigieux responsables et collaborateurs de L’Orient-Le Jour tels que Michel Eddé, Amine Abou-Khaled, Nagib Aoun, Michel Touma, Issa Goraieb, Jean Issa…