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Capable de stocker l’électricité, le lithium s’est imposé comme le matériau central des batteries de voitures électriques. Une conversion rapide du parc automobile mondial pourrait bientôt rendre ce métal mou et blanc aussi stratégique que le pétrole ! Une aubaine pour la poignée de pays qui contrôlent cette ressource.
La transition énergétique prend sa source dans les plateaux andins. A 3 700 mètres d’altitude, dans le désert brûlant de l’Atacama, des centaines d’ouvriers chiliens s’échinent à créer des bassins au milieu des salars, ces lacs salés des Andes. L’objectif est de récupérer la poudre blanche laissée après l’évaporation de la saumure. Cette poudre, c’est du lithium. Utilisé historiquement pour soigner les troubles bipolaires, le lithium a trouvé un nouveau relais de croissance à partir des années 80, avec l’essor des premières piles au lithium. Seul métal capable de stocker l’électricité, il s’est imposé comme la solution pour le développement de l’électronique portable, en plein essor à l’époque. « Le lithium est léger, dense et de faible volume. Il n’existe pas de substitut pour les batteries », résume le consultant Jon Hykawy, du cabinet Stormcrow.
Dans les années 2000, ce sont les premiers pas de la voiture électrique qui font anticiper un nouveau boom de la demande. En 2010, Renault prévoit que 10 % des voitures vendues en 2020 seront électriques. Or, une batterie de voiture nécessite entre 1,4 et 3 kg de lithium, contre quelques grammes pour une batterie d’ordinateur. En 2008, la demande anticipée est telle que le consultant français Meridian International annonce une pénurie de lithium pour 2015, et que les constructeurs de batteries se ruent au Chili, deuxième producteur mondial, ainsi qu’en Argentine et en Bolivie, pour sécuriser leur approvisionnement. Ces pays forment « le triangle du lithium », dont ils possèdent 70 % des ressources mondiales. La Bolivie, en particulier, dont la production est nulle à l’époque, mais qui possède les premières ressources mondiales en lithium, devient un nouvel eldorado. Toyota, LG ou encore Sumitomo font ainsi le déplacement à La Paz. En 2009, c’est le groupe Bolloré, accompagné de la société minière française Eramet, qui se rend en Bolivie afin de produire le lithium nécessaire aux batteries lithium-métal-polymère de ses Bluecar. Le président bolivien aura même l’occasion de conduire une Bluecar lors de sa visite en France en 2009.
Tesla réveille le marché
En dépit de ses efforts pour développer ses ressources, la Bolivie n’est pas devenue l’épicentre mondial du lithium. D’abord, parce que la politique de son président, Evo Morales, a refroidi les investisseurs. « Le gouvernement voulait garder la main sur tous les projets de lithium, ce qui n’était pas possible pour nous », se souvient Hughes-Marie Aulanier, chargé de mission stratégie et développement chez Eramet. Seul un groupe chinois a accepté d’installer une petite usine sur place depuis lors. Ensuite, parce que le marché de la voiture électrique n’a finalement pas décollé. Chers et peu autonomes, ces véhicules ne représentaient que 0,38 % des ventes de voitures dans le monde en 2014. L’engouement autour du lithium a ainsi fini par retomber, pesant sur les prix et asséchant le marché des capitaux pour les sociétés minières. Un homme pourrait toutefois rallumer le marché de la voiture électrique : Elon Musk. Le très charismatique patron de Tesla s’est imposé sur ce marché avec la Model S. Avec 1 000 véhicules vendus par semaine, Tesla consomme déjà trois fois plus de batteries qu’Apple ! Or, d’ici à 2017, Elon Musk va lancer un modèle plus abordable, la Model 3. Pour équiper ce dernier, l’entrepreneur a annoncé la construction d’une Gigafactory, au Nevada, en partenariat avec Mitsubishi, d’une capacité de production de 50 GWh par an. « L’usine va nécessiter l’équivalent de 50 000 tonnes de carbonate de lithium quand elle fonctionnera à pleine capacité », prévoit le consultant bolivien Juan Carlos Zuleta. Or, la production annuelle de carbonate de lithium (LCE) n’était que de 182 000 tonnes en 2014. L’ambition du projet laisse sceptiques de nombreux analystes, alors que l’usine prévoit de doubler la production de batteries dans le monde d’ici à 2020. « A moins que l’usine ne vende des batteries sur une autre planète, la Gigafactory ne va pas provoquer un boom du marché », nuance Jon Hykawy. Il n’en demeure pas moins que la demande va rapidement augmenter dans les années à venir. En plus du secteur des batteries, les industries du verre et des céramiques, qui utilisent également le lithium, vont continuer de tirer la demande. Le marché pourrait même intéresser de nouveaux secteurs, comme celui de la métallurgie. Le groupe français Constellium a ainsi développé un alliage aluminium/lithium à destination de l’aéronautique, qui permet d’alléger le poids des aérostructures jusqu’à 25 %. Alors que l’alliage équipe déjà les véhicules spatiaux de la Nasa et l’Airbus A350, il pourrait arriver dans l’automobile ou les loisirs. Stormcrow s’attend ainsi à un doublement de la demande mondiale en lithium d’ici à 2025. Le problème, c’est que les producteurs ne semblent pas en mesure de répondre à cette demande croissante.
Eramet croit en l’Argentine
Malgré l’échec de son aventure bolivienne avec le groupe Bolloré, le groupe minier et métallurgique français Eramet a continué de chercher du lithium dans le monde. Devant les blocages en Bolivie et au Chili, c’est en Argentine que la société a entrepris des travaux d’exploration. Au printemps 2014, la société a ainsi acquis des titres miniers dans les salars de Centenario et Ratones, situés dans la province de Salta. La société espère être plus compétitive que ses concurrents, Orocobre notamment, grâce au développement d’un nouveau procédé de récupération du lithium. « Ce procédé nous évite de devoir construire de grands bassins d’évaporation, ce qui nous permet d’atteindre un taux de récupération du lithium de 90 %, contre 40 à 50 % habituellement », explique Hughes‑Marie Aulanier. Le groupe reste toutefois prudent. Les premières tonnes de carbonate de lithium ne devraient sortir de la mine qu’à la fin de cette décennie.
Boom du lithium, acte II
Si les ressources en lithium restent abondantes – elles seraient de 13,5 millions de tonnes selon la United States Geological Survey (USGS), institut d’études géologiques des Etats-Unis –, les principaux producteurs sud-américains connaissent tous des difficultés pour augmenter leur production. Au Chili, par exemple, le réchauffement climatique rend le salar de l’Atacama plus humide, ce qui ralentit le rythme d’évaporation et donc la production de lithium. En Bolivie, « les producteurs de batteries ont réalisé que le climat froid et le taux élevé de magnésium du salar d’Uyuni renchérissaient considérablement les coûts de production. L’implantation d’une usine chinoise a surtout montré à quel point la Chine a besoin de lithium », rappelle Jon Hykawy. Seule l’Argentine peut se targuer d’avoir pu accueillir ces dernières années un nouveau projet. Mais, là aussi, elle a très vite rencontré des soucis. « Orocobre [compagnie minière basée en Australie, NDLR], en Argentine, connaît déjà des difficultés pour produire à pleine capacité », souligne Juan Carlos Zuleta. D’autant que son avenir est suspendu aux décisions que prendra le nouveau chef de l’Etat, Mauricio Macri.
La hausse de la demande et les difficultés de l’offre devraient soutenir la hausse des prix du kilogramme de LCE selon le consultant Stormcrow. Il pourrait passer de 6 dollars en moyenne, aujourd’hui, à 7,5 dollars en 2025. Mais le principal résultat pourrait être un déplacement à court terme du centre de gravité du marché du lithium vers l’Australie. Premier producteur mondial, l’Australie produit du lithium à partir d’un minerai appelé spodumène. Si le coût de production atteint de 4 000 à 5 000 dollars la tonne, contre 2 000 dollars la tonne à partir de saumure, la proximité de l’Asie, premier consommateur du monde, donne à l’Australie un avantage sur l’Amérique latine. Signe de cet intérêt grandissant, la compagnie chinoise Tianqi a déboursé 850 millions de dollars en 2013 pour s’emparer de l’une des plus grosses mines de lithium du monde, à Greenbushes, en Australie-Occidentale. Cependant, les ressources australiennes sont relativement faibles, ce qui remet l’avenir du lithium, à long terme cette fois, entre les mains de l’Amérique du Sud. Reste à savoir si l’Argentine, le Chili et la Bolivie arriveront à prendre le lead…
Chiffres clés
Production annuelle de carbonate de lithium (LCE) : 197 000 tonnes.
Taux de croissance moyen de la demande en lithium 2013‑2025 : 7,8 %.
Taux de croissance de la demande du secteur batterie 2013‑2025 : 12,6 %.
Réserves mondiales de lithium : 13,5 millions de tonnes.
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