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L’industrie spatiale suisse, à la conquête du New Space
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The Good Business

L’industrie spatiale suisse, à la conquête du New Space

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Dix ans après le succès du lancement du SwissCube, premier satellite helvète qui a fait date, la scène spatiale bouillonne grâce à une myriade d’acteurs qui comptent bien tirer leur épingle du jeu en investissant les nouveaux marchés de l’industrie spatiale.

Dans les années 60, le président américain John Fitzgerald Kennedy inaugurait la conquête de l’espace avec le programme « The New Frontier » visant la Lune, dans un contexte de concurrence acharnée avec l’URSS. Lors de la mission Apollo 11, la Suisse est déjà présente. En effet, les astronautes embarquaient à son bord une voile solaire mise au point par l’université de Berne et permettant l’analyse du vent solaire. En 1975, l’Agence spatiale européenne (ESA) est créée et inaugure alors l’entrée de l’Europe dans la course spatiale à travers de programmes scientifiques et spatiaux vastes et ambitieux.

La Suisse fait partie des membres fondateurs de l’ESA –  qui compte aujourd’hui 24 Etats membres et deux Etats associés –, et avec qui elle mène ses programmes spatiaux. En 2017, le budget annuel s’élevait à près de 3,6 milliards d’euros (hors activités pour des tiers) et la Suisse contribue aux programmes de l’ESA pour près de 174 millions de francs suisses.

Née dans le giron de l’EPFL, la start-up Astrocast entend jouer un rôle important dans le secteur de l’Internet des objets, en mettant en orbite 64 satellites de format CubSat, d’ici à 2022.
Née dans le giron de l’EPFL, la start-up Astrocast entend jouer un rôle important dans le secteur de l’Internet des objets, en mettant en orbite 64 satellites de format CubSat, d’ici à 2022. Astrocast

Un partenaire historique

On compte plus d’une centaine d’entreprises suisses actives dans le domaine spatial, réparties dans l’ensemble du pays. Du côté alémanique, de grandes entreprises sont solidement établies depuis plusieurs années et emploient des centaines de personnes. On peut citer Ruag Space et Thales Alenia Space Switzerland, toutes deux basées à Zurich et spécialisées dans l’ingénierie et la production d’instruments pour satellites scientifiques ainsi que de terminaux de communications optiques embarqués pour les applications spatiales. Elles collaborent avec les grandes institutions dans le domaine du spatial traditionnel.

Née dans le giron de l’EPFL, la start-up Astrocast entend jouer un rôle important dans le secteur de l’Internet des objets, en mettant en orbite 64 satellites de format CubSat, d’ici à 2022.
Née dans le giron de l’EPFL, la start-up Astrocast entend jouer un rôle important dans le secteur de l’Internet des objets, en mettant en orbite 64 satellites de format CubSat, d’ici à 2022. Astrocast

Depuis maintenant une dizaine d’années, l’industrie traditionnelle est bousculée par l’émergence d’un nouveau paradigme, le « New Space ». L’espace ne serait plus l’apanage des grandes institutions étatiques. Des acteurs privés, entrepreneurs milliardaires, s’invitent dans ce champ, avec pour ambition de le transformer. Si le phénomène s’est principalement développé aux Etats-Unis, la multiplication des start-up ayant pour objectif la révolution du secteur spatial, et particulièrement de son marché commercial, peut également être observée en Suisse.

On remarque une certaine concentration sur l’Arc lémanique, dans la région de ­Neuchâtel-Berne ainsi que dans l’agglomération zurichoise. Des institutions comme l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ou l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) contribuent activement à la constitution et au dynamisme du secteur. Des structures, comme l’ESA BIC, l’incubateur de start-up de l’ESA basé à Zurich et inauguré en 2016, participent également à l’effort.

Le SwissCube, premier satellite artificiel suisse, a pour mission d’observer les phénomènes de luminescence nocturne.
Le SwissCube, premier satellite artificiel suisse, a pour mission d’observer les phénomènes de luminescence nocturne. EPFL Space Center 2009

Le SwissCube

Le 23 septembre 2009, le SwissCube, premier satellite artificiel suisse est lancé par la fusée indienne PSLV depuis le Centre spatial de Satish Dhawan, situé sur l’île-barrière de Sriharikota, à 80 km au nord de Madras. La mission du SwissCube est d’observer les phénomènes de luminescence nocturne. Son coût de construction et de lancement s’élève à environ 600 000 CHF.

Le satellite produit sa première image le 18 février 2011, suivie, le 3 mars, de sa première image de luminescence nocturne. Il sera le premier satellite intercepté par ClearSpace, dont la mission est de capturer des satellites hors d’usage et de les faire rentrer dans l’atmosphère de manière à éviter l’encombrement des orbites, et à limiter les risques de collision et la pollution spatiale.

De nouveaux champs d’application

Le marché des satellites de petite taille se trouve au centre de cette nouvelle économie de l’espace. Une fois mises en orbite, ces constellations sont censées relayer les nouveaux services liés à la transformation numérique et aux mégadonnées. Les principaux domaines d’application sont la connexion Internet à haut débit, l’Internet des objets et l’imagerie retransmise quasiment en temps réel pour l’observation de la Terre.

« Dans les mentalités suisses, il y a quelques années, on n’imaginait pas qu’on puisse sortir du secteur traditionnel spatial, explique Luc Piguet, président de la start-up ­ClearSpace. Il fallait forcément être une grosse entreprise pour “faire du spatial” ou avoir une activité extrêmement spécialisée pour proposer des sous-ensembles. Je pense qu’un vrai déclencheur à cette nouvelle dynamique a été la mission SwissCube ».

Volker Gass, directeur du Swiss Space Center de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui contribue activement à la dynamique et au développement du secteur spatial.
Volker Gass, directeur du Swiss Space Center de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui contribue activement à la dynamique et au développement du secteur spatial. DR

Construit par 250 étudiants à l’initiative de l’EPEL, un nanosatellite scientifique de format CubeSat d’un poids de 820 grammes et ayant la forme d’un cube de 10 centimètres de côté a été lancé le 23 septembre 2009. « A partir de là, les projets ont naturellement essaimé, continue Luc Piguet. C’est d’ailleurs assez caractéristique de l’industrie du New Space. On observe une corrélation directe entre les projets universitaires et le nombre de start-up qui démarrent dans ce secteur en Suisse et qui construisent des petits satellites relativement bon marché. Un cercle vertueux s’enclenche. Les étudiants qui ont commencé à travailler sur des ­nanosatellites à l’université finissent par monter des entreprises une fois diplômés, et se disent qu’ils peuvent gérer une mission complète. »

Le SwissCube a été construit par 200 étudiants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il pèse 820 grammes et a la forme d’un cube de 10 centimètres de côté.
Le SwissCube a été construit par 200 étudiants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il pèse 820 grammes et a la forme d’un cube de 10 centimètres de côté. EPFL Space Center 2009

La nouvelle conquête spatiale

C’est le cas de deux start-up particulièrement prometteuses, Astrocast et ClearSpace, toutes deux nées dans le giron de l’EPFL. Créé en 2014 par Fabien Jordan, ancien ingénieur sur le projet SwissCube, Astrocast compte évoluer dans le secteur de l’Internet des objets. Soixante-quatre satellites de format ­CubSat devraient être mis sur orbite d’ici à 2022 afin d’offrir un service de télécommunication, connectant des millions d’objets n’importe où sur la planète, aussi bien au milieu de l’océan que dans le désert.

Ce service permettra à leurs clients de surveiller des infrastructures ou des installations à distance pour un coût très avantageux. La start-up ClearSpace s’intéresse, quant à elle, au sujet délicat des débris spatiaux. Le projet initial CleanSpace One, lancé il y a cinq ans, a été mis en œuvre par le Centre d’ingénierie spatial de l’EPFL.

Le projet ClearSpace s’attaque au problème préoccupant de la pollution engendrée par les débris spatiaux.
Le projet ClearSpace s’attaque au problème préoccupant de la pollution engendrée par les débris spatiaux. 2015

« Avec le programme SwissCube, on s’est rendu compte que la problématique des débris était inévitable, explique Luc Piguet. L’idée derrière la mission CleanSpace One n’était pas seulement d’éliminer le SwissCube, mais de démontrer qu’on pouvait faire disparaître tout le reste. Le marché a changé et, aujourd’hui, du fait de la maturité technologique, tous les éléments sont réunis pour rendre l’opération de grandes constellations de satellites possible. Depuis les annonces de OneWeb, de Space X, chaque année, vous avez des nouveaux projets, qui prévoient des lancements dans le même segment de l’espace. Or, plus il y a de satellites, plus il y a de débris, et moins vous avez de place. C’est là-dessus que nous avons conçu notre business plan. »

Fabien Jordan, co-fondateur et CEO d’Astrocast.
Fabien Jordan, co-fondateur et CEO d’Astrocast. Astrocast

Incubée par l’ESA BIC, la start-up commence à travailler sur la mission commerciale depuis un an. Elle débutera en 2020 pour un premier vol prévu à l’horizon 2025. « L’écosystème est encore assez embryonnaire, déclare Luc ­Piguet. Mais le positionnement de la Suisse se prête bien aux différents projets. Il y a de plus en plus de sensibilité quant à la valeur du spatial. Il faut réussir à se positionner au niveau international. Aujourd’hui, ce qui est dit, c’est que chaque franc investi dans le spatial doit en rapporter deux. Il faut être plus ambitieux et arriver à un stade où un franc investi en rapporte au moins quatre. » C’est dit !

Astrocast prévoit de proposer un service de télécommunication en connectant des millions d’objets n’importe où sur la planète.
Astrocast prévoit de proposer un service de télécommunication en connectant des millions d’objets n’importe où sur la planète. Astrocast

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