Qualité de vie
The Good City
En Île-de-France, la construction des villes nouvelles visait à décongestionner Paris. Voulues par le Général de Gaulle, ces cinq nouveaux pôles d’attractivité, établis à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale, étaient censés structurer la croissance démographique de la banlieue. Toutefois, les villes nouvelles ne connaîtront pas toutes la même destinée...
« Delouvrier, mettez-moi de l’ordre dans ce bazar ! ». Cette phrase n’a jamais été prononcée par De Gaulle, mais la légende veut que les deux hommes aient décidé de la construction des villes nouvelles lors d’un survol en hélicoptère de la banlieue de Paris.
Reste cette idée très gaullienne que seul un homme providentiel était en mesure de mener la grande bataille urbanistique.
Nommé délégué général au district de la région de Paris en août 1961, l’ancien chef de maquis Paul Delouvrier devient le nouvel « Haussmann des faubourgs », chargé de structurer la région-capitale. « On ne comprend rien à l’état d’esprit qui a présidé à la construction des villes nouvelles si on ne réalise pas qu’elles ont été conçues et réalisées par des hommes et des femmes qui avaient tous fait ou subi la guerre », introduit l’ingénieur-urbaniste Jean-Michel Vincent, pionnier de l’Établissement Public d’Aménagement de Cergy-Pontoise. « Il s’agissait de forger l’avenir d’une France post-coloniale qui reprenait son destin en main par le biais d’opérations d’intérêt national ». Dans cette période faste des Trente Glorieuses, les Français restent confiants dans l’avenir puisqu’après tout, il est possible de changer la vie par simple volonté politique.
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L’État bâtisseur
Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme est adopté en 1965, dans un pays alors en plein boom démographique. Il s’agit de moderniser ce que l’on ne nomme pas encore Île-de-France – la région ne sera créée qu’en 1976 – dans l’optique de maintenir Paris au rang de ville mondiale de premier plan. RER, aéroport international de Roissy, nouvelles autoroutes urbaines, boulevard périphérique…
L’agglomération se modernise sous l’impulsion d’un pouvoir central tout-puissant, l’État planificateur. Pour asseoir son hégémonie, les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise sont divisés en huit nouvelles collectivités politiquement amoindries. Est alors lancé le projet de cinq pôles en grande couronne : Cergy-Pontoise, Évry-Courcouronnes, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines et Sénart. Quatre projets similaires seront également lancés en province.
Mixité et construction qualitative
La concentration urbaine est alors telle qu’il reste encore des bidonvilles aux portes de la capitale. Décongestionner Paris via un nouvel ordre multipolaire est l’idée innovante de Delouvrier : des villes indépendantes destinées à favoriser les échanges entre centre et périphérie. Les villes nouvelles doivent accompagner l’explosion démographique à venir : l’Île-de-France compte à cette époque entre 6 et 7 millions d’habitants, et l’INSEE prévoit jusqu’à 16 millions en 2000. Ce chiffre n’atteindra finalement que 12 millions.
Ces villes sont créées en milieu rural grâce à des outils nouveaux tels que les zones d’aménagement différé (ZAD), qui permettent de réquisitionner le foncier. Les chantiers débutent à partir de 1968, englobant des programmes de logements collectifs et individuels, ainsi que des équipements sportifs et culturels. À la différence des grands ensembles ou des « villes dortoirs » déshumanisés, les schémas directeurs favorisent la mixité avec un bâti de qualité. Cette vision fonctionnaliste de l’urbanisme, inspirée de la charte d’Athènes, est centrée sur l’habitant et le bien-être, avec séparation des fonctions urbaines et des espaces publics à hauteur d’homme, loin des folies du Corbusier. L’architecture se veut sobre, mais inscrite dans l’ère du temps ; la préfecture pyramidale de Cergy est ainsi le symbole de cette modernité.
Des pôles d’attractivité… en demi-teinte
Les villes nouvelles fonctionnent dans les premiers temps et deviennent les pôles d’attractivité escomptés, avec un équilibre habitat-emploi tout à fait atteignable. « Une ville conçue pour l’homme, où l’entreprise peut préparer le futur sans peur du lendemain », vantent les publicités, visant un public de jeunes cadres conquérants.
À Cergy-Pontoise, on compte ainsi 200 000 habitants, 100 000 emplois et 30 000 étudiants. Si Évry-Courcouronnes se spécialise dans les biotechnologies et Saint-Quentin-en-Yvelines dans l’industrie automobile, Marne-la-Vallée remporte la mise avec Disneyland Paris, un employeur majeur et pourvoyeur de rentrées fiscales.
Au-delà de leurs réussites, chaque ville nouvelle est marquée par une faille : urbanisme sur dalle pour l’une, surdensité pour l’autre… Conçues en pleine période de prospérité économique, elles voient leur destinée évoluer après le choc pétrolier et la crise immobilière qui s’en suit. Elles subissent un déclassement, notamment en raison des politiques dépréciatives des bailleurs sociaux.
« En 1990, on a décidé qu’il fallait loger à Cergy les plus pauvres et la mécanique infernale s’est déclenchée », témoigne Jean-Michel Vincent. « Cela a coûté très cher à la ville, qui s’est dégradée à une vitesse phénoménale ». Sur le plan démographique, le succès est en demi-teinte : en 2013, elles cumulaient environ un million d’habitants, soit la fourchette basse des estimations. Elles ont néanmoins tenu leur engagement de structurer la région, bien que certaines souffrent encore d’un déficit d’image.
L’avenir des villes nouvelles reste à écrire
Aujourd’hui, ces villes souffrent paradoxalement de leur éloignement de Paris. L’avenir reste à écrire, alors que la métropole se concentre désormais davantage sur sa première couronne avec le projet du Grand Paris Express. Selon Jean-Michel Vincent, face aux enjeux environnementaux et climatiques, les villes nouvelles doivent aujourd’hui se densifier. « Elles ont été conçues à une époque du tout-automobile, avec des distances conséquentes. Elles pourraient doubler leur nombre d’habitants et d’emplois sans entamer leurs espaces verts », propose-t-il.
Leur proximité avec les zones rurales est un autre atout : pour Cergy-Pontoise, il s’agirait de tirer parti de sa proximité avec le parc naturel régional du Vexin. « Les deux entités pourraient former une unité, un moteur commun favorisant les circuits courts pour la nourriture ou les éco-matériaux », avance-t-il encore. L’avenir des villes nouvelles pourrait ainsi se situer à la fois en marge et au cœur de l’agglomération, comme un relais entre ville et campagne – le mobile initial de leur existence. Se réinventer, en somme.