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Voilà plus de sept ans que l’utopie Liberland est née. Au centre de cette micronation « de papier » nichée dans les Balkans, lancée comme une start-up depuis un appartement de Prague (République tchèque), figure Vit Jedlicka, l’auto-proclamé président. Enquête.
Liberland, la création rocambolesque d’un état
Le quasi-quadragénaire, biberonné aux idées libérales et ancien membre d’un petit parti tchèque, est “autant un animal politique qu’un serial entrepreneur”, résume Timothée Demeillers, co-auteur de Voyage au Liberland (voir encadré). En mars 2015, l’un des amis de Vit Jedlincka lui explique avoir découvert le principe de Terra Nullius, un “territoire sans maître”, qui n’est revendiqué par aucun Etat.
Après recherches sur Wikipedia, un lopin de terre de 7 km² sur le Danube, coincé entre la Serbie et la Croatie, répond à cette définition. Ils décident d’en prendre possession et d’y fonder le Liberland. Accompagnés notamment de la future première dame, ils se rendent sur place, au terme d’un voyage rocambolesque, y plantent un drapeau et forment un gouvernement. La date, le 13 avril, ne doit rien au hasard: c’est le jour de naissance du président américain Thomas Jefferson, l’un des rédacteurs de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, considéré comme l’un des pères-fondateurs du libertarianisme.
Liberté économique et liberté des mœurs
Hostile à l’Etat, cette philosophie du droit s’appuie sur deux principes : la liberté économique et la liberté des mœurs. Méconnu en France, outre-Atlantique, où il est né, le libertarianisme a essaimé. Parmi les célébrités qui s’en réclament se trouvent, côté politique, le représentant Ron Paul et, côté business, le milliardaire Elon Musk.
Comme toute philosophie qui se respecte, un aréopage d’intellectuels a structuré la pensée (Ludwig von Mises, Murray Rothbard, Robert Nozick, etc.). Tous louent l’influence qu’a eu sur eux Frédéric Bastiat, “l’auteur préféré de Vit Jedlicka”, indique Timothée Demeillers.
La micronation, dont la devise est “Vivre et laisser vivre”, promet ni loi, ni règle, ni impôt.
“Aujourd’hui, les citoyens sont fatigués de l’appareil étatique, observe Nicolas Jutzet, qui a dirigé l’ouvrage Passeport pour la liberté (éditions Liber-thé, septembre 2022). Le Liberland leur offre la possibilité de signer une nouvelle forme de contrat social”. Et pour cause. La micronation, dont la devise est “Vivre et laisser vivre”, promet ni loi, ni règle, ni impôt.
A l’annonce de sa création en 2015, les habitants du monde arabe, alors en plein printemps, ont massivement formulé des demandes de passeport. Vit Jedlicka affirme avoir reçu des centaines de milliers de requêtes ; obtenir le passeport liberlandais coûterait environ 5000 dollars.
Voyage au bout du Liberland
Rien ne prédestinait Timothée Demeillers et Grégoire Osoha à écrire sur le Liberland. Ces deux écrivains-journalistes en ont découvert l’existence par hasard, en 2016, alors qu’ils étaient partis réaliser un documentaire dans les Balkans, région dont ils sont spécialistes.
Dans Voyage au Liberland, ils retracent avec moult détails le pari de Vit Jedlicka et de son entourage, brossent une galerie de portraits de tous les personnages interlopes qui gravitent autour et décrivent l’incongruité de bâtir un Etat dans la poudrière ethnique que sont les Balkans. Et ce, avec une distance salutaire qui éclaire, sans filtre, sur cette utopie, qui, selon eux, pourrait marquer le début d’un plus grand mouvement.
Liberland, micronation sur papier
Aujourd’hui, la micronation n’existe toujours que sur le papier. En sept ans, elle n’a réussi qu’à implanter une équipe permanente dans un village serbe bordé par le Danube, où se tient le grand raout annuel du Liberland — le Floating Man Festival —, contraignant ses sympathisants à contempler la terre promise depuis le rivage. La plupart des traversées ont été empêchées par les forces de l’ordre locales.
Pas de quoi décourager le président liberlandais, qui, plein d’entregent, court le monde pour faire reconnaître internationalement le Liberland afin de se conformer à la Convention de Montevideo (1933) qui stipule que, pour être souverain, un Etat doit être peuplé en permanence, contrôler un territoire défini, être doté d’un gouvernement, et être apte à entrer en relation avec les autres Etats.
Après une tentative de rapprochement avortée en 2017 avec le Somaliland, aussi en quête de légitimité, Vit Jedlicka assure avoir noué “des liens solides avec des pays africains et d’Amérique centrale”. Le Salvador, où le Bitcoin est devenu en 2021 monnaie légale, pourrait-il être l’un d’entre eux ? “Nous sommes très proches”, affirme-t-il.
Liberland, un état dématérialisé ?
Adulées des sympathisants du Liberland, les cryptomonnaies sont un rouage essentiel du système économique de la micronation. “Nous travaillons sur un système basé sur la blockchain open source Polkadot. L’objectif est d’avoir en parallèle du “token” Liberland Merit un “coin” Liberland Dollars qui permettra de faire des achats au Liberland”, explique Michal Ptáčník, du ministère liberlandais de la Justice.
En attendant qu’un chaland se présente — aucun bâtiment n’y est sorti de terre — , la micronation se dématérialise. Le Liberland s’est associé à Zaha Hadid Architects pour bâtir le Liberland Metaverse. “Patrik Schumacher [l’architecte principal du cabinet, ndlr] est l’un de nos premiers soutiens”, souligne Vit Jedlicka. La version bêta de ce monde virtuel est déjà en ligne et sert pour l’heure de lieu de réunion. Il sera finalisé et accessible à tous à la fin de l’année. Comme dans d’autres métavers, des propriétés immobilières seront à vendre, et certaines parcelles seraient déjà louées.
G.A
Visiter le site web du Liberland
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