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En Suisse, on parle français, allemand ou italien mais on parle surtout le langage épuré, fonctionnel et culturellement démocratique du « gute Design ».
Située géographiquement au cœur de l’Europe sans pour autant faire partie de l’Union européenne, la Suisse n’est certes pas bien grande (41 285 km²). Mais le rayonnement de ses designers, architectes et graphistes les plus célèbres semble inversement proportionnel. Proche du modernisme du Bauhaus voisin, convaincue par le dialogue entre artisanat et industrie prôné par Walter Gropius, la Suisse a, à son tour, ouvert plusieurs écoles remarquables dispensant un enseignement très prisé au niveau international. C’est le cas de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), et la Haute Ecole d’art et de design (HEAD), à Genève.
Démocratique par culture – le protestantisme jouant un rôle non négligeable –, le design suisse est durable dans tous les sens du terme. Et il accompagne le quotidien avec épure et fonctionnalité. S’il ne résiste pas, parfois, à inclure quelques touches de ludisme, voire d’excentricité, il ne tombe jamais dans le registre du décoratif pour le décoratif – comme cela peut se produire en France, par exemple.
Design suisse, pureté des formes
En tout cas, il est impossible, pour quiconque sur cette planète, de prétendre ne pas connaître le design suisse. En effet, les logos de nombreuses marques mondiales – BMW, Knoll, American Apparel, Nestlé, Evian, Lufthansa, Skype, Microsoft… – qui s’affichent en grand sur les murs de Zurich à New Delhi, en passant par Seattle, Genève, Sydney, New York ou Paris, s’écrivent en Helvetica ! Cette police de caractères sans empattement, dessinée en 1957 par Max Miedinger et Eduard Hoffmann, a été et reste la référence pour la crème des graphistes et des directeurs artistiques. A commencer par Massimo Vignelli, qui l’a utilisée pour le plan du métro de New York.
Interrogé sur ce qui caractérise le design suisse, Emmanuel Grandjean, journaliste au grand quotidien roman Le Temps et rédacteur en chef du magazine lifestyle T Magazine, cite spontanément « la pureté des formes ». Pour le designer helvète Michel Charlot qui s’est formé à l’Ecal et a été l’assistant de Jasper Morrison avant d’établir son propre studio, « le design suisse a clairement une identité – simple, graphique –, et cela va de pair avec un niveau de qualité globalement élevé. Une grande partie de la population est protestante et cela a une influence, éthique et esthétique ; une logique qu’on retrouve dans la communauté des shakers, par exemple. Les Suisses sont assez pragmatiques. Cela se traduit déjà au niveau de l’éducation, il n’y a pas ce côté théorique-romantique que l’on trouve chez les Français, notamment à l’ENSCI ».
Le coût de la qualité « made in Switzerland »
Emmanuel Grandjean, en revanche, émet un petit bémol. « La visibilité est compliquée. On a un très bon système d’apprentissage, de superécoles à Bâle, Zurich, Lausanne et Genève, des foires et des salons pointus [Design Miami Basel, PAD Genève, NOMAD St Moritz, Design Days à Genève et Lausanne, NDLR]. Mais il n’y a pas de galeries de design comparables à Kreo, par exemple, alors que le pouvoir d’achat ici est élevé. »
Les jeunes designers, y compris ceux formés à l’ECAL – qui noue pourtant chaque année des partenariats intelligents avec diverses entreprises (Eternit, Ikea…) – sont donc confrontés à cette réalité soulignée par Michel Charlot : « Le made in Switzerland, très qualitatif, coûte cher et il est donc très difficile d’être compétitif sur le marché international. » Mais si le chemin vers le succès mondial se gravit avec une certaine lenteur, une fois atteint, celui-ci rayonne durablement. Faut-il le rappeler ? Le Corbusier, naturalisé français en 1930, est né Charles-Edouard Jeanneret à La Chaux-de-Fonds, en 1887.
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