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Phénomène récent, mais en plein essor, le développement de brasseries artisanales se généralise dans le monde entier. Avec des offres qui viennent concurrencer celles des grandes marques. Un marché qui a du goût.
Il est quasi impossible de dire combien de microbrasseries existent dans le monde ; les fabricants de bières artisanales fleurissent dans tous les pays et viennent bousculer les règles d’un marché jusqu’à présent très largement dominé par de grands groupes internationaux. Tout est parti du Royaume-Uni, dans les années 70, avec l’essor d’une production massive d’ales en fûts, non pasteurisées et non filtrées, destinées à une consommation locale dans les pubs. Aujourd’hui, le nombre de brasseries britanniques est à son niveau le plus élevé depuis cinquante ans, avec plus de 1 300 établissements en activité. De plus, grâce à l’abolition d’un système vieux de quatre cents ans – en échange d’un loyer réduit accordé par les grandes entreprises propriétaires de pubs, les tenanciers s’engageaient à acheter les bières de ces dernières à des tarifs supérieurs à ceux du marché –, de nombreux pubs produisent désormais leur propre bière ou achètent des produits de microbrasseries locales.
Autre eldorado : les États-Unis. On estime que les microbrasseries seraient des milliers dans tout le pays, là encore sans aucune certitude.
La Brewers Association (@BrewersAssoc), l’association américaine des brasseries artisanales, revendiquait 5 005 adhérents en 2016, un chiffre en augmentation de 8 % par rapport à 2015 et qui a plus que doublé depuis 2012. Capitale de ce phénomène, Portland, dans l’Oregon, concentre pas moins de 105 établissements sur les quelque 230 de l’État, d’après la guilde des brasseurs locale. Il faut dire que le moindre bar de cette ville jeune et dynamique propose ses produits homemade, qui remportent un large suffrage. Même mouvement au Canada, et tout particulièrement au Québec, avec un boom de 345 % du nombre de microbrasseries en une dizaine d’années. En 2015, ils étaient près de 140 producteurs, alors qu’ils n’étaient que 31 en 2002, selon l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ). D’ici à 2020, le nombre de microbrasseries pourrait même être de 220, avec une part de marché de 12 %.
Un nouveau business-modèle
Même si les volumes restent très inférieurs à ceux des grands producteurs, les ventes de ces nouvelles bières concurrencent directement des marques réputées. « Les ventes de certaines microbrasseries ont dépassé celles d’entreprises comme Budweiser aux États-Unis », déclare Maxime Desmeules, fondateur de la brasserie canadienne Gueule de Bois. Là encore, le gouvernement canadien a donné le coup de pouce indispensable à cet essor en accordant, en 1996, une réduction des taxes sur l’alcool, puis la possibilité de vendre en fûts – jusqu’alors un brasseur devait vendre en bouteilles. « Ces éléments ont permis un nouveau business-modèle grâce auquel les microbrasseries peuvent s’installer en région, vendre sur place et atteindre la rentabilité », souligne Jean-Pierre Tremblay, précédent directeur général de l’AMBQ.
L’Asie ne résiste pas non plus au phénomène. Au Japon, on compte près de 300 microbrasseries, dont les produits séduisent les amateurs, lassés du « goût allemand » de la plupart des produits proposés sur le marché par les grands groupes. Pourtant, la production artisanale a du mal à décoller et ne représente que 1 % du marché domestique. Même si quelques acteurs arrivent à s’en sortir, la plupart des microbrasseries produisent entre 60 000 litres (le minimum requis pour avoir la dénomination de brasserie au Japon) et 450 000 litres par an. Singapour aussi a cédé au phénomène. « A l’inverse du Royaume-Uni, où les consommateurs veulent du local dans leur pinte, Singapour a toujours été attirée par les marques étrangères, regrette Charles Guerrier, fondateur de la brasserie Craft Singapore. Mais je suis certain que le nombre de personnes fières de leurs bières nationales va augmenter. » Grande inconnue en Asie : le dynamisme des microbrasseries en Chine. Certes, chaque année un salon est organisé sur le sujet à Shanghai, mais il est difficile de savoir combien de brasseries artisanales existent dans le pays. D’après le Bureau national des statistiques de Chine, on assiste « à un engouement pour la bière artisanale avec des marques locales émergentes. Ce secteur va devenir un nouveau segment à concurrencer pour les acteurs étrangers. » Il faut dire que si la consommation globale de bière en Chine a baissé de 5 %, la production de bières artisanales a, elle, enregistré une hausse de 54,55 %, avec un taux de croissance de 50 % sur les quatre dernières années.
Si le goût pour le local et l’artisanal l’emporte largement aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale, d’autres pays se mettent à la bière artisanale pour des raisons économiques. La Russie, par exemple. Avec la dévaluation du rouble, les prix des marques occidentales ont grimpé en flèche et permis le développement rapide de centaines de microbrasseries. Un phénomène qui marque aussi un changement dans la consommation d’alcool. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la bière ne représente que 38 % de la consommation russe d’alcool, mais une nouvelle génération pourrait bousculer ces habitudes ainsi que les modes de consommation. Du coup, les bars à bières se multiplient : il s’en crée toutes les semaines, notamment à Moscou, qui proposent des produits de microbrasseries de Russie et d’ailleurs. Cependant, malgré une longue tradition de brassage, une grande majorité des clients ne croit pas à la qualité des produits locaux. « “Une bonne bière ne peut pas être russe”, disaient nos premiers clients, se souvient Denis Kovalyov, fondateur de la brasserie Victory Art Brew à Moscou. Mais, finalement, nous avons vendu notre première production en deux semaines au lieu des deux mois estimés. » De plus, de nombreuses microbrasseries tentent de ressusciter la tradition de brassage russe et, plutôt que de travailler avec un houblon américain et du malt allemand, certaines commencent à développer des saveurs locales et tentent de créer un style national.
Les bières artisanales débarquent en Europe aussi
Au-delà du Royaume-Uni, les pays brassicoles traditionnels d’Europe n’échappent pas au phénomène et l’engouement pour les microbrasseries participe à la redynamisation d’une boisson dont la consommation est en baisse dans tous les pays européens. C’est notamment le cas de l’Allemagne : « La tendance dans notre domaine est en hausse », confirme Marc-Olivier Huhnholz, de l’association des brasseurs allemands. Et ce n’est pas une question de prix, car les bières artisanales sont souvent 50 % plus chères. Mais elles offrent des goûts qui changent de ceux des grandes marques internationales. « Il existe plus de vingt sortes de malts, avec différentes torréfactions et plusieurs houblons. On peut donc avoir des saveurs différentes », explique Michael Schwab, fondateur de Brewbaker à Berlin.
La France n’échappe pas à cette mode. Robert Dutin, auteur du Guide des brasseurs et bières de France (édité chez MA Editions), avait comptabilisé 293 brasseries en 2008 et en comptait 505 en 2015. Aujourd’hui, on en dénombrerait 900. Si leur production reste encore marginale (moins de 5 % du total), elle dynamise un marché en recul depuis trente ans en mettant en avant la dimension artisanale et locale, avec des matières premières produites sur place et consommées dans la région. « N’importe qui peut s’installer comme brasseur. Il n’y a pas d’exigence particulière », indique Pascal Chèvremont, délégué général de Brasseurs de France. La microbrasserie n’a pas non plus de définition légale, hormis celle du Code des impôts, qui considère comme brasserie indépendante celle qui produit moins de 200 000 hectolitres et qui est indépendante de toute autre brasserie. Un mouvement tiré par la jeune génération, souvent en reconversion professionnelle. Le développement de microbrasseries est-il pour autant sans fin ? De plus en plus d’acteurs en viennent à douter. Sans véritable marketing autre que local et avec des écarts qualitatifs et gustatifs très importants, le boom des microbrasseries pourrait bien s’essouffler rapidement. Tim Page, directeur de l’association Campaign for Real Ale (@CAMRA_Official), organisatrice du festival de la bière britannique à Londres, reconnaît que « l’industrie du vin a intelligemment agi en intellectualisant le vin ; peut-être devrions-nous faire ça pour la bière. » Clever, isn’t it ?
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