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Entré comme stagiaire, Alexandre Clary a racheté C2S, propriétaire de la marque – presque centenaire - Kidur, en 2018 avec l’ambition d’en refaire un acteur majeur du workwear français.
Le workwear, ou la mode dérivée des vêtements de travail, s’impose de plus en plus depuis la fin de la dernière décennie. Signe d’un mouvement qui dépasse le cadre de l’usine, des champs et des chantiers, Carhartt, le roi du workwear de Détroit, qui se limitait à ne distribuer en Europe que sa filiale urbaine WIP, livre depuis peu ses collections plus « rustiques », jusque là réservées au marché nord-américain, sur le Vieux Continent. En France aussi, les acteurs du « bleu » renaissent de leurs cendres. C’est le cas de Kidur – des vêtements qui durent – qui fabrique des pièces solides et intemporelles dans son usine de La Plainelière de Courlay, dans les Deux-Sèvres, depuis près de 100 ans.
La marque, propriété de la société C2S, a vu le jour en 1935, 8 ans après la création de l’usine. Elle connaît son âge d’or dans les sixties, alors qu’elle emploie 600 salariés et fabrique 600 000 pièces par an. Mais, dans les années 80 et 90, le made in France se ringardise, et C2S se focalise sur son autre activité, celle de sous-traitance pour de très grandes marques, dont on ne peut pas citer les noms… Kidur, de son côté, propose, dans la confidentialité, des vêtements techniques destinés aux pêcheurs et chasseurs. Un style camouflage qui n’est pas au goût d’Alexandre Clary.
C2S, ce quadra passionné de couture et de mode connaît bien.
Il y est entré, après ses études en informatique en 2000… comme stagiaire ! De promotion en promotion, Alexandre Clary monte dans la hiérarchie de l’entreprise et se lie d’amitié avec le directeur général. Après le décès de ce dernier, il rachète l’entreprise en 2018. Et le nouveau patron a de grandes ambitions : redonner à Kidur sa place sur le marché du workwear, alors en plein essor : « dépoussiérer la marque, la rendre plus attirante, conforme à ses valeurs d’origine ».
Aujourd’hui, la marque lance, sans souci de saisonnalité, des « drops » de produit en édition limitée sur son site. Une petite collection, de temps en temps, composée de chemises, vestes (dont, forcément, un bleu de travail), surchemises, pantalons, des bobs… et même un « coal bag », sac ultra-résistant destiné à transporter du charbon. Mais peut aussi contenir vos clés, votre laptop, votre portefeuille, un parpaing… Au choix.
Editions limitées, workwear, made in France : Kidur est, malgré son statut d’entreprise centenaire, en plein dans l’air du temps.
« C’est tout simplement du bon sens paysan, affirme Alexandre Clary, une façon de consommer comme après la guerre, quand les gens n’avaient pas les moyens d’acheter bon marché ! » Comprenez qu’ils ne pouvaient pas se permettre de racheter, trois ou quatre fois par an, une pièce bas-de-gamme.
Et pour offrir cette qualité, ainsi que la robustesse et la solidité attendues lors de l’achat d’une pièce workwear, Kidur mise, outre son savoir-faire concernant la confection, sur les matières. Les fournisseurs des tissus Kidur sont majoritairement français (70 %), « on a fait le tour de France, à Toulouse, Epinal, Lyon, pour trouver les matières qui répondent à notre cahier des charges : basiques, épaisses, authentiques ». Et bio, voire recyclé, concernant le coton. Rare exception, la flanelle des chemises est sourcée au Japon, Alexandre Clary n’ayant « pas encore trouvé d’équivalent français ».
Certaines techniques, elles, sont inspirées directement des archives de la marque. « Des articles simples mais dont la conception était très intelligente, à l’image d’une chemise d’entre-deux-guerres que l’on a retrouvée dans une friperie et qui possédait une patte de manche renforcée. » Cette façon oubliée de concevoir des manches indéchirables a, depuis, été intégrée dans le processus de fabrication des chemises, vestes et surchemises Kidur.
Le bon sens paysan est la boussole de Kidur concernant la fabrication de workwear, mais aussi les ambitions de la marque.
Alexandre Clary confie vouloir « produire des volumes raisonnables, qui permettent d’engager tous les salariés de l’entreprise C2S (75 personnes dont 45 artisans couturiers, NDLR) au développement Kidur sans délaisser l’activité de sous-traitance » mais aussi de maîtriser la croissance de cette « jeune » marque centenaire : « On imagine toujours ce qu’aurait fait nos prédécesseurs, des gens très raisonnables, qui ont réussi à faire vivre une entreprise pendant près de cent ans, et on se dit qu’ils auraient tester la solidité de la glace avant d’avancer ».
Prudence donc, mais pas sans volonté de croître. S’il ne vise pas « un modèle à la Slip Français », Alexandre Clary produit entre 3000 et 4000 pièces par an et avance une croissance de 30 à 40 % par an depuis la renaissance de Kidur en 2018. Et l’ouverture d’une boutique – les ventes se font pour l’instant en ligne, directement à l’atelier et dans des pop-up stores – est à l’étude, ainsi que d’un musée-école de couture-boutique dans un ancien bâtiment industriel de l’entreprise.
L’objectif de Kidur n’est pas de remplir les caisses de C2S. « Nous avons des clients, et ça fonctionne bien. Notre problématique c’est la notoriété, la visibilité, car la société ne peut pas mettre en avant les marques pour lesquelles elle travaille. Pourtant, il est vital, afin d’étoffer et renouveler nos effectifs et savoir-faire, d’être visibles pour attirer des compétences, des nouveaux talents, qu’ils sachent qu’on travaille bien, que l’usine est là depuis très longtemps, que l’on fabrique en France… Relancer Kidur, c’était l’occasion de reprendre la marque historique de la société et recréer un univers autour, une collection sur laquelle on pouvait communiquer autant qu’on le souhaite. » Kidur est donc l’étendard de C2S, mais aussi du savoir-faire textile français. Un exemple à suivre, à l’heure où la réindustrialisation est au cœur des discussions concernant de l’avenir du pays. Alors pourvu que ça dure !
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