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Julian Schnabel, monument du pinceau
L'Américain Julian Schnabel se reconnaît à ses formats king size où couleurs et mouvements s’entrechoquent puissamment.
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Culture

Julian Schnabel, monument du pinceau

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Trublion de l’art qui a conquis le New York des années 80, star des salles de ventes aujourd’hui, l’Américain Julian Schnabel se reconnaît à ses formats king size où couleurs et mouvements s’entrechoquent puissamment. Un artiste total, qui, depuis une vingtaine d’années, fait aussi florès au cinéma. Rencontre avec un monstre sacré.

Sa voix de stentor vocifère. Ce matin-là, lors de l’accrochage de ses œuvres à la galerie Almine Rech en décembre dernier, Julian Schnabel est fébrile. Il voudrait nous montrer à quel point son énorme Sans Titre de 1990, au format 3,4 x 4 m, est aussi solide que léger, et demande aux ouvriers de laisser tomber la toile à la renverse. Les deux hommes hésitent. Le maître les engueule. « Mais si je vous dis qu’elle ne craint rien ! » En effet, la voici qui bascule mollement jusqu’au sol. La gêne des ouvriers, toutefois, se comprend : l’œuvre, estimée entre 600 000 dollars et 1,5 million, suscite quelques égards…

Car malgré sa dégaine de surfeur à la cool – sweat à capuche et lunettes colorées –, Julian Schnabel est un vrai poids lourd de l’art, à la cote faramineuse, doublé d’un cinéaste respecté – une carrière parallèle qu’il a entamée en 1996. Depuis les années 70, on lui doit des toiles puissantes, parfois vociférantes, elles aussi, peuplées de visages et de corps, de suites de mots en forme d’énigme, le tout nimbé de couleurs qui fusent, oscillant entre ­abstraction et figuration.

La peinture, Schnabel est tombé dedans tout gamin. Ses parents, qui l’ont vu naître à Brooklyn mais qui l’ont élevé au Texas, ne sont pourtant pas du sérail. Mais un jour, alors qu’il visite le Metropolitan Museum of Art, à New York, avec sa mère, c’est le choc : « J’y ai vu Aristote contemplant le buste d’Homère, de Rembrandt, se souvient-il. Avec cette lumière incroyable qui tombe sur les épaules du philosophe… J’avais 7 ans. » Après quoi, il ne cessera plus de peindre. Schnabel est de ceux qui croient aux révélations. Il nous le dit. Il le dit aussi à l’acteur hollywoodien Oscar Isaac qui, durant notre rencontre, lui passe un petit coup de fil depuis Malte. Le peintre sexagénaire lui intime alors cet ordre : « Va voir ce Caravage, La Décollation de saint Jean-Baptiste, à La Valette, ça te changera la vie. Et puis après, tu seras meilleur comédien. »

Une grande responsabilité.

Dans le New York arty des années 70, la peinture de Julian Schnabel n’est pas vraiment en odeur de sainteté. « Quand j’ai débarqué là-bas, j’étais même l’antéchrist », affirme-t-il carrément. A l’époque, l’Amérique se passionne pour l’art conceptuel d’un Joseph Kosuth, et les minimalistes à la Carl Andre et consorts ont encore de beaux jours devant eux. Avec ses toiles néo-expressionnistes, Schnabel est hors moule. Alors il joue les cuistots pour gagner sa vie, peignant frénétiquement à ses heures perdues, jusqu’à ce que l’artiste Gordon Matta-Clark, un copain, l’introduise auprès de la très branchée galeriste Holly Solomon (Warhol, Lichtenstein et Rauschenberg l’on portraiturée).

C’est elle qui montre Schnabel pour la première fois, en 1977, dans une expo collective d’importance. « La première de mes œuvres qu’elle a vendue coûtait 700 dollars. Plus tard, je l’ai rachetée 50 000. Puis revendue 800 000. Mais à l’époque, évidemment, j’étais ravi de ces 700 dollars ! » s’amuse-t-il, un rien fanfaron. La marchande Mary Boone le prend alors sous son aile, puis, bien vite, c’est le grand Leo Castelli (galeriste de Cy Twombly, Bruce Nauman, et on en passe) qui devient son mécène.

Dès lors, les années 80 seront celles de son explosion. Sa peinture gagne en intensité, se diversifie tous azimuts. Il y a, sur la toile, des corps de pin-up et des formes indéfinies. Il y a, dans ses titres d’œuvres, des phrases obscures ou des noms fameux : Maria Callas, Mohamed Ali ou Jane Birkin. Il s’inspire de tout ce qu’il voit, de tous ceux qu’il rencontre, et peint au grand air, comme pour se laisser visiter. Une habitude qu’il a conservée : son atelier des Hamptons, tout près de son spot de surf, comme celui du Mexique, sont ouverts à tous vents. « Peindre dehors, explique-t-il, c’est voir la lumière et ses variations sur la toile. C’est essentiel. Beaucoup d’artistes devraient travailler en extérieur… »

Schnabel se voit volontiers en pionnier. Il tient à nous prouver qu’il a toujours été en avance sur son temps « Regardez cette peinture que j’ai faite en 1986, ça ne vous rappelle rien ? nous demande-t-il triomphant. Moi, ça me rappelle ce que Sterling Ruby montre en ce moment au Bourget [chez Larry Gagosian, donc]. Regardez encore cette toile de 1974. A cette époque, Basquiat n’avait que 13 ans… » L’air de dire que son benjamin lui aurait piqué deux, trois trucs.

C’est pourtant avec un biopic de Basquiat que Schnabel a entamé sa carrière de cinéaste. Suivront un film sur l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, incarné par Javier Bardem, Le Scaphandre et le Papillon, gros succès en salles, et un autre dont Lou Reed, grand ami aussi, est le héros. On lui demande ce qui relie sa peinture à ses films. Il répond : « Être artiste, c’est une grande responsabilité. Que je filme Bardem ou que je peigne Warhol [on lui doit un portrait de l’artiste pop], il s’agit avant tout de prendre soin d’eux, de les protéger. Je chéris mes acteurs comme mes sujets. » La patte Schnabel, c’est peut-être cela : coucher sur la toile et sur la pellicule son amour vorace des hommes et des choses.

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