Horlogerie
Noël, déjà ! Dans un billet d’humeur clémente, François Simon relativise le sacrosaint repas de fête. Respirez, prêts, soufflez…
Rien de plus délicat qu’une fête. Que dire d’une table de fête ? Déjà, la fête en elle-même aime sadiser ses adeptes. Elle exige. Elle veut plus. Elle veut tout. « No limit » s’exclame-t-elle en reposant sa coupe de champagne. Elle nous regarde de loin, nous harcèle la nuit, nous relance au petit matin. Tout sera-t-il prêt ? Fin prêt ? Sera-t-elle la plus belle, la plus joyeuse ? Vous la voyez venir tout au loin traçant de son aileron le silence de la mer. Les jours se rapprochent, l’impact ne vas pas tarder…
Une table de fête devrait pourtant parler votre langage. Pas celui des autres, des magazines, des Danois ou des Lapons. Elle n’est pas condamnée à l’opulence des Trente Glorieuses, au lumpen chic des années 80, à la naturalité présente. Elle peut être d’une simplicité biblique, sortir nue de son puits.
La fête, si l’on comprend bien, consiste à réunir des personnes que l’on aime, qui nous sont proches. Aussi, la première intention serait de penser à eux. Ne pas les étourdir, ne pas leur faire une démonstration culinaire, un ravage calorique. Une fête peut être étrangement simple, venir de nulle part, tracer dans la nuit une parabole neuve et désirable.
L’assiette peut être brave et tranquille, charmante et colorée, qu’importe, ce que nous en attendons, c’est de la vie, des verres dépareillés comme les convives.
En fait, que veulent vos amis, votre famille ? Du foie gras, des flacons millésimés, des volailles lutées ? Si c’est le cas, adonnez dans ce propos prévisible. Mais, sans doute, attendent-ils de vous votre propre personne. J’ai le souvenir de cette femme dans une Vendée songeuse s’occuper d’une tablée de grands garçons venus honorer sa cuisine. Elle passa tout le repas au bout de la table avec son verre de vin blanc embué. Elle ne mangea pas. Mais lorsque le pain venait à manquer, que le disque des verres s’en venait à décroître, elle se levait avec prestance, posait sa main douce sur nos épaules, réajustait les niveaux, relançait la conversation. Ou racontait une de ses aventures.
À la fin du repas, elle tourna la manivelle de son piano mécanique, qui cahota dans une symphonie de Beethoven. Elle devait être pathétique puisqu’elle nous sécha d’émotion. Pour moi, c’est cela un repas de fête, lorsque tout converge vers un sentiment. L’assiette peut être, alors, brave et tranquille, charmante et colorée, qu’importe, ce que nous en attendons, c’est de la vie, des verres dépareillés comme les convives ; des vins qui partent en embardées, des mélodies douces, des lumières bienveillantes.
Ne prévoyez pas trop, laissez le fil du temps prendre ses aises, ne maudissez pas les retardataires, faites leur l’accueil qu’ils espéraient de leur pseudo maladresse, laissez les timides tranquilles, les raconteurs d’histoire, raconter les histoires.
Finalement, une table de fête est comme un radeau flottant sur la vie, une parenthèse menant sa vie, n’ayant ni foi, ni loi ; ménageant coin et recoin, décélérations et quiétude touchante. En fait, il ne faudrait pas trop y toucher car elle serait capable de se cabrer, de faire des siennes, ses insolences et ses cafards. Tordez-lui le cou doucement, jouez-là à l’étouffée, après tout, c’est vous la maîtresse, le maitre de cérémonie avec l’ivresse masquée des tireurs de ficelles.
F.S