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Il n’y a pas que le cinéma dans la vie ! De passage à Paris entre deux tournages, John Malkovich y a présenté sa collection de mode masculine en quinze modèles raffinés. Nous l’avons rencontré pour vous.
Vêtu d’une veste de travail molle en denim selvedge japonais, signée Momotaro, sur un jean Stronghold de son ami Michael Paradise, de Venice (Los Angeles), l’inoubliable vicomte de Valmont des Liaisons dangereuses de Stephen Frears voyage à la cool façon XXIe siècle. En fait, John Malkovich (@jgmalkovich) débarque tout juste d’un tournage à New York. Boule à zéro et gracieux bouc blanc, l’étrange et charmant personnage est bel et bien assis dans ce canapé, rue d’Uzès, à Paris. Là où se trouve son vaste showroom baptisé By 4, qui abrite équipe de création, production et distribution, ainsi que ses associés du groupe Project 53. Y est également visible sa dernière collection masculine. Un concept-store 100 % masculin, déco et mode, devrait bientôt voir le jour à Paris… sous la houlette de John Malkovich himself.
https://youtu.be/LgQB9cIa0DE
Né dans l’Illinois, en 1953, nomadisant entre Cambridge, près de Boston, et sa maison du sud de la France, John Malkovich parle un français parfait, avec cette voix si particulière qui fascine tant. Gentleman, concentré, attentif, il éteint son portable afin de focaliser son attention exclusivement sur le sujet qui nous occupe. Aucune équipe survoltée ne papillonne autour de la star. L’entretien de trente minutes initialement prévu va s’étirer durant près d’une heure et demie. Un moment rare, à l’image de cet esthète, grand acteur, réalisateur, écrivain, metteur en scène (cinéma, théâtre, opéra) qui, entre deux claps, dessine une quinzaine de modèles par saison. Designer textile, il réalise également le moindre motif qui en orne les tissus. Cette deuxième vie a commencé à l’université où, travaillant avec des costumiers, John Malkovich prend plaisir à tailler, à couper, à coudre des costumes de scène avant de se découvrir amoureux des étoffes. Mais, chut… place à l’artiste.
The Good Life : Quand avez-vous décidé de créer des vêtements ?
John Malkovich : En 2001, un ami italien, Francesco Rulli, m’a demandé une collection. J’ai réfléchi un moment avant de dire… “OK”. Cette ligne, Uncle Kimono, s’est poursuivie cinq ans, jusqu’à ce que je ne sois plus d’accord avec la fabrication. Ensuite, de 2008 à 2014, l’architecte Riccardo Rami m’a proposé de réaliser une gamme masculine : Technobohemian. L’entreprise, peu structurée et sans moyens pour une diffusion en boutiques, n’a pas duré.
TGL : Finalement, vous avez créé une collection à votre nom. C’est la troisième saison. Quel est votre rôle ?
J. M. : Pour moi, la mode est un engagement autant qu’un travail. Je dessine tous les croquis [ses dessins au crayon sont étalés devant lui, NDLR], je choisis tissus et accessoires, mais je ne m’occupe pas de la production. Mon ami et associé, le couturier Angelo Tarlazzi, s’en charge.
TGL : Comment parvenez-vous à concilier cinéma et mode ?
J. M. : J’ai toujours eu plusieurs boulots à la fois : écrivain, producteur de cinéma, acteur, metteur en scène d’opéra, de théâtre ou de cinéma. Je travaille aussi avec des musiciens. Toutes ces disciplines se nourrissent mutuellement.
TGL : A quel moment dessinez-vous votre collection masculine ?
J. M. : J’ai toujours trop d’idées. Alors je les dessine aussitôt, car je ne suis pas quelqu’un qui réfléchit ou qui parle. Je fais… c’est tout. Lorsque je tourne un film, les journées de travail durent seize heures, et on ne joue que sept minutes par-ci, par-là… Ça me laisse toute latitude pour dessiner. Et puis, je ne fais que deux collections par an, alors je peaufine mes croquis jusqu’aux imprimés. Evidemment, cela me prend du temps de les créer moi-même, mais, finalement, comme j’adore ça, j’y arrive très bien.
TGL : Où piochez-vous vos idées ?
J. M. : Tout ce que je fais influence le reste. Ainsi, il y a quelques années, Bella Freud, arrière-petite-fille de Sigmund Freud, m’a commandé trois courts métrages sur son travail. Bella est une belle personne, intéressante et une excellente créatrice de mode. Dans l’un des films, j’ai vu passer une superbe jupe plissée. Cinq ans plus tard, un de mes manteaux d’homme reprenait inconsciemment ce détail du pli qui me rappelait ce moment passé avec Bella.
TGL : Vous dites que vos voyages vous inspirent. Lesquels ?
J. M. : Ils sont si nombreux ! La Calle Callao, à Buenos Aires, m’a soufflé une veste stricte, près du corps. Je donne des noms à toutes mes créations, comme Tito’s Parrot, une veste à doublure aussi flashy que les plumes du perroquet de Tito, rencontré lors d’un voyage en Croatie. Cet oiseau parlait cinq langues, figurez-vous ! Une mosaïque noire de suie aperçue dans Sainte-Sophie, à Istanbul, m’a inspiré un tissu ; une mandarine dont je semais l’écorce sur une nappe a engendré ce motif en pointillés orangés. Chaque vêtement me dit où j’étais et ce que je faisais.
TGL : Quelle est l’histoire de ce visage chinois imprimé sur votre collection d’été ?
J. M. : C’est celui d’un homme qui a été mon chauffeur durant un tournage en Asie. Un ancien tueur à gages qui avait fait de la prison. Il avait 20 visages, tous différents. Je les ai tous dessinés. Mon matériel, c’est ma vie, mon goût, mon humeur et mes expériences. Par exemple, j’ai eu l’idée de la chemise Ibiza 36h après avoir vu un reportage à la télévision sur des Anglais qui déferlent à Ibiza pour un séjour non-stop en night-club… puis ils rentrent en Angleterre. Quand on travaille dans mon milieu, on recherche avant tout des histoires. Ce Blouson noir, que je propose avec un sarong de laine, m’est venu après avoir tourné une vidéo pour le groupe de rock français AaRON – leur chanson Blouson noir est un bijou, reprise par des marques de luxe pour leurs pubs.
TGL : Vos vêtements ont du moelleux, du strict, du rétro. Les coupes sont nettes, les tissus voluptueux. D’où cela vient-il ?
J. M. : Sans doute de Vienne, qui a une grande influence sur moi. Ce caban Landscape, dont la toile est tissée en carrés et en relief, a été imaginé à partir d’un paysage autrichien coupé de haies.
TGL : Comment choisissez-vous vos tissus ?
J. M. : C’est un casse-tête épouvantable. Angelo Tarlazzi me fait parvenir des dizaines d’échantillons qu’il trouve sur le salon Première Vision, à Paris – où je me rends avec plaisir depuis quinze ans. J’aime avoir beaucoup d’échantillons : je veux les toucher, et un seul va fonctionner avec le modèle que je souhaite. Je rejette les plus chers, ceux qu’il faut acheter au kilomètre et ceux qui ne sont en fait jamais édités…
TGL : Votre nom calligraphié sur l’étiquette rose à l’intérieur du vêtement, ça vous fait plaisir ?
J. M. : Pour être honnête, j’étais contre. C’était une condition de mes partenaires, donc une contrainte. En fait, lorsque vous êtes connu, les gens se font une idée fausse et une grande partie vous déteste… Si, si, je vous assure. Mon nom ne va pas faire vendre une chemise [sa collection est distribuée à The Webster Miami, chez Merci, à Paris, et chez Margriet Nannings, à Amsterdam, NDLR].
TGL : Vous gagnez de l’argent avec cette activité ?
J. M. : Au contraire, j’ai perdu 2 millions de dollars. Je n’ai jamais gagné un centime avec la mode. Sauf lorsque la marque Liberty, à Londres, m’a commandé un motif de tissu. La mode est un business très particulier et un monde d’une immaturité totale. La majorité des acteurs de ce milieu ne répond jamais à mes invitations. Même les acheteurs, a priori sérieux, ne donnent plus signe de vie après avoir passé commande.
TGL : Qu’est-ce que représente la mode pour vous ?
J. M. : Un costume et pas seulement un vêtement, sinon on porterait tous un jean, non ? Avez-vous remarqué comme le costume d’un homme politique est « le » sujet de conversation. En France, ceux de Fillon, de Macron et de Mélenchon ont défrayé la chronique. Parce que celui qui le porte joue un rôle pour faire passer son message.
TGL : Quelle est votre définition de l’élégance ?
J. M. : J’ai toujours pensé que la vraie classe est la seule constante dans une vie et elle est indépendante du vêtement. Mais cela peut comprendre une belle pièce vestimentaire, évidemment – toujours onéreuse à produire et souvent cher à l’achat, hélas. En fait, l’élégance est une manière de se mouvoir, de traverser la vie. On peut être stylé et fauché.
TGL : Vous dites souvent que vous ne faites pas un vêtement, mais un « objet de design ». Pourquoi ?
J. M. : Depuis mon enfance, je suis fan de design. Il est vrai que j’ai plus étudié Jean Prouvé, Josef Hoffmann ou Otto Wagner que Karl Lagerfeld. Je suis très attentif à l’architecture aussi, appréciant l’architecte autant que son maçon. Celui qui fait m’intéresse. Dans le dessin d’un vêtement, il y a un but, des problèmes techniques à résoudre, des fonctionnalités. On rencontre aussi des questions artistiques, de proportions, de qualité. Des questionnements proches du design. Il arrive aussi qu’on se plante !
TGL : Comment vous êtes-vous planté ?
J. M. : Il m’arrive de faire des erreurs, cela peut se révéler coûteux, mais ça m’est égal. J’avais fait réaliser un costume dans un tissu trop épais. Le résultat était tout de guingois, boulochait au lavage, rien ne marchait. Pourtant le tissu était super, les couleurs et les textures étaient splendides. Il me paraît utile d’apprendre, de comprendre et de progresser.
TGL : Il vous arrive de dessiner des objets ?
J. M. : J’ai imaginé tous les meubles chez moi, y compris les carrelages dans ma maison du sud de la France. C’est un travail très complexe, mais je me suis bien amusé.
TGL : Vous voyagez sans cesse. Que mettez-vous dans votre valise ?
J. M. : Il m’arrive de jouer trois performances en dix jours, dans trois villes où le climat peut varier de l’été à l’hiver. Je compose donc avec des vêtements pour toutes météos et températures. La valise est toujours trop lourde, frustrante… et inutile. Dernièrement, j’ai trouvé le truc : emporter une doudoune, bien moins lourde qu’un manteau.
TGL : Et votre dressing, à quoi ressemble-t-il ?
J. M. : Très petit, à Cambridge, mais bien rangé. J’ai fait réaliser un dressing en bois de cèdre – antimite –, où sont entreposés les vêtements que je préfère. Comme cette veste du soir en chameau doublée d’un imprimé africain dashiki, brodée de perles, aux poches, et d’un portrait de Khomeini dans le dos. Pièce très visuelle mais pas facile à porter…
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