Horlogerie
Le monde de la restauration a beau être en crise, une myriade de jeunes chefs cuisiniers et pâtissiers de moins de 30 ans continuent d’exercer leur métier avec passion. À une condition : inventer de nouveaux paradigmes.
En cuisine, la reconnaissance vient parfois très tôt et permet à de jeunes chefs de moins de 30 ans de s’émanciper rapidement. Aujourd’hui âgée de 27 ans, Julia Sedefdjian n’en a que 21 lorsqu’elle conserve l’étoile des Fables de la Fontaine, où elle officie à l’époque. Une distinction qui la pousse à ouvrir Baieta, sa première table, en 2018. L’établissement, auréolé d’une étoile l’année suivante, est à son image : « Ce sont les saveurs de mon enfance niçoise et je ne conçois pas ma cuisine autrement. Si je mets de l’aïoli à la carte, il doit être authentique, mais créatif, une noble interprétation ! » Tout en conservant la finesse de la haute gastronomie, la cheffe a ainsi choisi d’insuffler au lieu une convivialité rafraîchissante.
À Marseille, Valentin Raffali, 26 ans, est lui aussi chef d’un restaurant salué par la critique. Après un apprentissage auprès du chef étoilé Serge Chenet, il toque à la porte de La Mercerie en 2018. Harry Cummins, Laura Vidal et Julia Mitton, propriétaires de cette table bistronomique, lui donnent sa chance. Il se souvient : « J’ai découvert une cuisine précise, engagée et ouverte sur le monde, faite par une équipe soudée. » Au fil du temps, Valentin se forge un style bien à lui, avec un goût prononcé pour la flamme, jusqu’à devenir chef résident du Chardon – adresse arlésienne du clan de La Mercerie en 2020. « Je sentais Harry fier de ce que je devenais et ça me boostait. » L’expérience est une telle réussite qu’il s’associe au trio et fonde, en 2021, Livingston, le premier bar à vins orange (traditionnel vin blanc de macération) de la ville.
Comme eux, de nombreux chefs pâtissiers et cuisiniers d’une vingtaine d’années animent la scène culinaire française. Formés dans des écoles telles que l’école Ferrandi, à Paris, ou l’Institut Paul Bocuse, à Lyon, ils font souvent leurs armes dans les restaurants étoilés et les palaces.
Mais, à moins de 30 ans, ces jeunes chefs souhaitent rebattre les cartes d’une profession en crise. Le parcours de Marion Goettlé, 27 ans, témoigne d’une envie de faire bouger les lignes. Diplômée de l’école hôtelière de Strasbourg, elle est nommée cheffe pâtissière d’un hôtel à 19 ans. « Le chef adorait mettre les jeunes en avant et m’a laissé carte blanche. » Un an plus tard, elle se frotte aux cuisines parisiennes pour continuer à progresser. La voilà commis dans un restaurant 2 étoiles, où le chef exécutif la harcèle moralement.
« J’ai eu un déclic quand j’ai réalisé que je n’étais plus en stage et que je pouvais me permettre de démissionner. » Marion vogue alors vers une table bistronomique avant de travailler avec Sébastien Gaudard. « Je me suis formée à la viennoiserie et au feuilletage ; ça m’a ouvert les yeux sur la cuisine que je voulais faire. » À 22 ans, elle se sent prête à ouvrir Café Mirabelle, à Paris. Désormais de l’autre côté du miroir, la cheffe encourage ses apprentis à partager leurs envies « pour ne pas les frustrer ».
Top Chef, un tremplin de choix pour les jeunes chefs de moins de 30 ans
Pour se faire connaître du grand public, la jeune garde peut également compter sur l’émission « Top Chef ». À 27 ans, Sarah Mainguy en est un bon exemple. Diplômée d’un bac littéraire, puis formée à l’école Ferrandi, la cheffe découvre un métier passionnant mais intense : « On développe un certain sens du sacrifice vis-à-vis du reste de l’équipe. » Peu encline à la compétition des restaurants gastronomiques, elle passe par différentes adresses bistronomiques, dont le café Holybelly, où elle rencontre son compagnon, Damien Crémois.
Ensemble, ils s’installent à Nantes, en 2018. L’ouverture lui donne un rebond phénoménal : la cheffe est enfin libre d’explorer sa cuisine végétale. En 2020, elle participe à « Top Chef » et arrive finaliste : « Ça a été un tremplin énorme, notamment en connaissance de soi dans le travail. L’exercice de la création en continu est particulier, mais on finit par se prendre au jeu ! »
D’autres candidats, comme Mory Sacko, 29 ans, sont promis à une belle carrière avant même de participer au programme. Au moment de la diffusion de l’édition 2020, ce dernier est sous-chef auprès de Thierry Marx au Mandarin Oriental. « Dans les palaces, il faut attendre longtemps avant de décrocher un poste de chef et j’avais envie de proposer ma cuisine dans mon propre restaurant. Je savais que les banques financeraient plus facilement mon projet après ma participation à l’émission. » Il admet aussi avoir été rassuré par l’accueil du jury : « Pour la première fois, je créais des plats qui me ressemblaient et plaisaient à des chefs renommés. » Quelques mois plus tard, il inaugure MoSuke, dont la carte fait la part belle aux influences africaine, japonaise et française. Il est récompensé d’une étoile la même année.
Pour Ambroise Voreux, 26 ans, candidat de « Objectif Top Chef » en 2015 et « Top Chef » 2022, la remise en question que le concours implique est intéressante : « C’est une sorte de pèlerinage qui nous transforme et nous ouvre à d’autres possibilités. » Chef de la Cabane à matelot, il cuisine exclusivement les poissons de la Loire. Dans le sud de la France, Ella Aflalo, 29 ans, a, elle aussi, participé à l’émission et remarque que cela apporte une certaine crédibilité aux candidats, au moins durant les semaines qui suivent la diffusion. « Le casting dure six mois et il y a du niveau, l’émission regroupe des pointures. »
Tracer sa voie
À Paris, les talents de demain peuvent aussi affûter leur identité culinaire chez Fulgurances. L’incubateur, cofondé par Rebecca Asthalter, Sophie Cornibert et Hugo Hivernat en 2015, a vocation à accueillir des chefs désirant mettre en pratique leurs idées, avant de voler de leurs propres ailes. « Les résidents ont longtemps cuisiné pour d’autres : chez nous, ils se cherchent et font toutes les erreurs qu’ils veulent. C’est très émouvant de les voir s’affirmer au fil des semaines », raconte Sophie Cornibert. Depuis ses débuts, Fulgurances a reçu seize résidents dans ses trois adresses – l’une dans le 11e arrondissement, une autre dans le 14e, et la plus récente à New York.
La restauratrice observe chez cette génération de chefs une envie commune d’inventer son propre modèle. « Après Namias a lancé Adar, une cantine doublée d’une activité de traiteur, Chloé Charles va inaugurer un lieu consacré à l’événementiel, et Céline Pham s’apprête à ouvrir, à Arles, un restaurant où déjeuner et privatisable le soir. »
Une soif d’indépendance, notamment motivée par la recherche d’un équilibre entre travail et vie personnelle. Sarah Mainguy abonde : « Chez Vacarme, on a choisi d’embaucher plus de personnel pour éviter les horaires discontinus. Aujourd’hui, on n’a plus envie de passer notre vie au restaurant ! » Même constat pour Ella Aflalo qui, après avoir été à la tête de Yima, à Marseille, est désormais cheffe itinérante : « À moins de 30 ans, j’ai la bougeotte et je préfère expérimenter plutôt que de m’enfermer. »
Porteuse du même message optimiste, l’association Bondir.e, cofondée par Marion Goettlé, vise à échanger avec les élèves des écoles de cuisine pour leur montrer que les conditions de travail peuvent s’améliorer. « La restauration est un métier super ! Il faut simplement comprendre que les gestes et les paroles déplacés ne sont pas acceptables », assure la cheffe. Ambroise Voreux estime, lui aussi, que chacun a un rôle à jouer : « Je suis extrêmement vigilant à ce que chaque personne travaillant chez nous soit épanouie et mise en valeur. » Voilà l’esprit plein de promesses de cette nouvelle génération. Au Livingston, Valentin Raffali a, pour sa part, trouvé sa place et confie : « J’aurais rêvé qu’on me dise, à 16 ans, que le métier deviendrait libre et décomplexé comme il l’est aujourd’hui : ça n’a pas toujours été le cas. »
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