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Lenovo, mutation en milieu hostile
Jean-Christophe Iseux von Pfetten, le diplomate de l’ombre
Alexandre Bougès

The Good Business

Jean-Christophe Iseux von Pfetten diplomate

The Good Business

Inconnu en France, cet aristocrate old school de 47 ans aide les entreprises occidentales à s’implanter en Chine, et pratique une diplomatie en marge des pourparlers officiels depuis son fief bourguignon. Rencontre sur fond de discussions sur le nucléaire iranien.

Il commence par vous inviter à une partie de chasse à courre, avec maître d’équipage, piqueurs et meute de chiens, dans sa propriété de Saône-et-Loire ; une rencontre « informelle », histoire de voir à qui il a affaire. Et il vous convie, la semaine suivante, pour assister à une réunion mêlant des représentants d’Israël, d’Iran, de Chine et des Etats-Unis afin de discuter du nucléaire iranien. L’un de ces nombreux rendez-vous privés et désintéressés qu’il organise sur ses deniers depuis juin 2013, en marge des pourparlers officiels entre Téhéran et les 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne). Le but ? « Faciliter les discussions officielles, en libérant la ­parole. » Idéaliste assumé et un poil mégalomane, Jean-Christophe Iseux, baron von Pfetten, se présente en diplomate de l’ombre. De ceux qui changent le cours de l’histoire en œuvrant en coulisses, avec pour seule arme leur verve et leur réseau, à la manière d’un Bob Hawke, ancien Premier ministre australien qui a fait l’aller-retour depuis Sydney pour assister à ces « discussions sur des discussions ». « Jean-Christophe a une très bonne compréhension des affaires internationales », dit cet ami et mentor qui fut aussi son témoin de mariage. Pour susciter l’intérêt, Jean-Christophe Iseux pratique aussi l’art du décalage. « Quand on le voit avec ses manières très “bourgeoisie-du-XIXe”, c’est facile de le prendre pour quelqu’un de farfelu. Mais c’est grâce à ce style bien à lui qu’il met les gens à l’aise et qu’il crée les conditions du dialogue », explique son ancien camarade d’Oxford, le journaliste et écrivain Owen Matthews.

Jean-Christophe Iseux von Pfetten, le diplomate de l’ombre
Un CV bien rempli
Après des études scientifiques et un début de carrière dans l’ingénierie nucléaire, Jean-Christophe Iseux se découvre des ambitions plus larges. Il veut comprendre « ce qui rend les gens puissants » et part à Oxford pour étudier le management. De cette expérience, il garde son tropisme anglo-saxon, sa science des réseaux et sa passion pour les relations internationales. Il devient chercheur en économie, se spécialise dans les questions liées à la privatisation des entreprises d’Etat des pays de l’ancien bloc soviétique, et finit par conseiller les gouvernements. C’est grâce à cette expérience que le vice-Premier ministre de la République populaire de Chine Zhu Rongji fait appel à lui en 1997, lorsque le pays souhaite s’ouvrir à l’économie de marché. Devinant le sacrifice utile, Jean-Christophe Iseux consent à le conseiller gratuitement et s’installe à Pékin, apprend le mandarin, enseigne à l’université du peuple et fait ainsi connaissance avec ceux qui deviendront les leaders du pays. Il tombe sous le charme de l’art chinois, de son histoire et de son organisation politique. A ceux qui dénoncent un régime dictatorial, il répond qu’il s’agit d’un communisme différent de celui de l’ancienne Union soviétique et de la forme de démocratie la plus viable dans un pays de 1,5 milliard d’habitants. A ceux qui pointent les atteintes aux droits de l’homme de la Chine, il répond qu’il fait de l’économie, pas des sciences politiques. « Son histoire d’amour avec la Chine remonte au siècle dernier, lorsque son arrière-grand-oncle a employé, pendant deux mois, dans le laminoir de l’usine Schneider du Creusot, le futur dirigeant Deng Xiaoping, qui était venu en France en 1921 dans le cadre du programme Travail-Etudes. Il est très cocasse de noter que Deng Xiaoping a été à l’origine des réformes qui ont accéléré le développement économique du pays. Celles-là mêmes qui ont fait la fortune de Jean-Christophe », relève son ami Victor Yu, analyste financier à Londres. Aristocrate catholique apolitique, mais avec un sérieux penchant pour les pays socialistes, von Pfetten cultive les oxymores. En Chine, il est le « Baron rouge », en raison de sa proximité avec le parti communiste chinois. Le surnom lui plaît. Plus précisément, il se voit « rouge à l’extérieur » et « blanc à l’intérieur ». Moins socialiste qu’il n’y paraît, donc. « Comme la Chine actuelle », précise-t-il.
Cette compréhension du pays lui a valu d’être, de 2002 à 2006, le premier résident étranger à siéger en tant que membre invité à la chambre des représentants de la province du Jilin, un « petit » territoire de… 27 millions d’habitants ! Il est aussi devenu « Mister 2 % ». Une référence aux 3 milliards de dollars d’investissements étrangers qu’il génère chaque année dans le pays, en conseillant les entreprises occidentales du secteur industriel qui souhaitent s’implanter. Ses clients ? Principalement des anglo-saxons, tels que General Motors, Monsanto, Hewlett-Packard, British Petroleum, News Corporation, et quelques français, comme Sodexo, EDF, Saint-Gobain, Alcatel, Suez, Carrefour, EDF, Areva et Alstom. « Les Chinois sont des gens méfiants, mais quand ils voient que la personne en face d’eux s’investit, ils sont capables de s’investir deux fois plus. Jean-Christophe a compris cela. En fait, il comprend les Chinois mieux qu’eux-mêmes se comprennent », avance l’un de ses clients, Gal Messinger, vice-président de la société d’électronique STMicroelectronics, pour expliquer cette réussite. Le consultant se rémunère comme un avocat, c’est-à-dire sur le temps passé sur les dossiers. Suffisant pour lui permettre aujourd’hui de ralentir ses activités commerciales et de revenir à ses premières amours : la diplomatie.

Le feuilleton du nucléaire iranien pour les nuls

L’Iran a signé en 1968, comme la plupart des pays membres de l’ONU, le traité de non‑prolifération des armes nucléaires, et s’est donc engagé à ne posséder ni arme nucléaire, ni matériel destiné à l’obtenir. Sauf qu’il existe, depuis la reprise par Téhéran de son programme nucléaire en 2005, de sérieux doutes quant aux intentions du pays. Officiellement, l’augmentation de la capacité d’enrichissement d’uranium est réalisée à des fins civiles. Mais compte tenu des provocations de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad vis‑à‑vis de l’Occident, les puissances du 5+1 (membres permanents de conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) ne souhaitaient pas avoir à lui faire confiance et ont renforcé les moyens de vérification des installations nucléaires du pays. Téhéran s’est obstinée à refuser, ce qui lui a valu de lourdes sanctions économiques et a plongé le pays dans une grave crise. Dans ce contexte, l’élection en 2013 du président Hassan Rohani, sur un programme modéré et de réconciliation avec l’Occident, a marqué le début des négociations.

Rétablir les relations diplomatiques
Depuis 2009, il est le président du Royal Institute of East-West ­Strategic Studies à Oxford, qui s’occupe – aux côtés de Jacques Attali notamment – de former l’élite politique et économique des pays d’Orient. Mais surtout, il se creuse une niche « dans le rétablissement des relations entre les gens qui ne se parlent pas ». Il y a trois ans, il relançait le dialogue entre le Vatican et la Chine, en froid depuis soixante ans, en invitant des représentants de chaque Etat dans son château perdu de la campagne charolaise. L’imposante bâtisse du XIVe siècle, acquise en 2001, a été patiemment restaurée. Elle lui permet de renouer avec ses origines et de s’adonner à sa passion : la chasse à courre. Le lieu est par ailleurs stratégiquement placé à côté d’un ­aéroport. Ce qui est parfait pour accueillir princes, chefs d’entreprise, militaires à la retraite, diplomates et anciens ou futurs leaders politiques, loin du tumulte médiatique. « L’isolement du lieu, l’aspect un peu colonie de vacances avec femmes et enfants et les activités comme la chasse à courre permettent d’apprendre à se connaître et de créer une atmosphère propice à la discussion », explique Jean-Chistophe Iseux, qui vient d’acquérir le très délabré château d’Apethorpe, ancienne résidence des Tudor et des Stuart, au Royaume-Uni. Une opération de sauvetage à 2,75 millions d’euros (et 125 000 euros de maintenance chaque année) selon le Daily Mail, et qui a fait grand bruit dans le pays. C’est Nadia von Pfetten, son épouse et architecte spécialisée dans les bâtiments historiques, qui s’occupera de la restauration. D’ici là, leurs invités devront se « contenter » du château de Sélore et de son ambiance champêtre.
Lors de notre dernière visite, la météo n’était pas favorable à la vénerie, mais un puppy show avait été programmé. L’ancien général chinois Huang Baifu, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis en Belgique Howard Gutman, l’ancien commandant des forces spéciales israéliennes et ancien membre de la Knesset Doron Avital, ainsi qu’un ancien dirigeant des gardes révolutionnaires proche du guide suprême de la révolution islamique Ali Khamenei, se sont donc retrouvés pendant une matinée entière à débattre des qualités physiques et mentales des jeunes fox-hounds, dans la plus pure tradition anglaise. Façon de détendre les esprits échauffés par les discussions de la veille. Tard dans la nuit, les différentes parties avaient trouvé un terrain d’entente, notamment sur la question du régime des inspections, grâce à la délégation venue de l’empire du Milieu. « Il a été proposé de recourir à des nations neutres, telles que la Chine, pour réaliser les inspections de sites nucléaires iraniens. Cette solution permettrait à Téhéran d’accepter des inspections sans perdre la face devant les pays occidentaux », décrypte l’un des participants, en observant l’ancien général iranien et l’ancien commandant israélien trinquer – verre de jus d’orange pour le premier, coupe de champagne pour le second.
Difficile de mesurer l’impact de cette réunion sur le déroulé officiel des discussions. Mais force est de constater que celles-ci ont évolué positivement dans les semaines qui ont suivi. Le baron savoure. Il parle des « accords de Sélore », se voit en faiseur de paix et en rafistoleur du prestige international français. « Ancrer cette rencontre en France est une manière de montrer que notre pays peut encore accueillir des événements majeurs pour la paix mondiale », dit-il, avec son emphase habituelle. Une démonstration qu’il entend bien reproduire à Apethorpe, pourquoi pas sur des thématiques chinoises et nord-coréennes.
Jean-Christophe Iseux von Pfetten, le diplomate de l’ombre

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