Getaway
The Good Guide
Installé sur un rocher qui surplombe les eaux transparentes de la Cala Azzurra de Favignana, presque déserte en cet après-midi de mai, on se dit qu’il y a parfois du bon à être sur la deuxième marche du podium sicilien. Nettement moins connues que les Éoliennes, les îles Égades forment un petit archipel paradisiaque à bien des égards, qui échappe encore aux grandes vagues de tourisme…
Situé à trente minutes d’hydroglisseur du port de Trapani, à l’ouest de la Sicile, l’archipel des Égades se compose d’une ribambelle d’îlots et de trois îles habitées : Favignana, Levanzo et Marettimo.
A lire aussi : Voyageurs du Monde : le séjour sur-mesure de luxe, autrement
Bienvenue dans l’archipel des Égades
La première est la plus grande et cosmopolite, la deuxième tient dans un mouchoir de poche, tandis que la troisième reste très sauvage, même en plein été. Toutes les trois ont en commun leurs baies aux eaux turquoise qui, depuis 1991, appartiennent à l’une des plus vastes réserves marines protégées de la Méditerranée.
Habitées depuis des millénaires, elles furent tour à tour aux mains des Romains, des Goths, des Sarrasins, des Normands… Aujourd’hui, la vie y est nettement plus douce. L’été, les journées sont rythmées par les baignades, les balades et les siestes. Puis c’est l’heure de la douche, qui rafraîchit les peaux salées et sonne le début de la soirée.
On se fait beau pour aller boire un verre en terrasse, puis déguster des pâtes aux fruits de mer suivies d’un cannolo (pâtisserie crémeuse), tandis que les enfants tourbillonnent sur la place du village sous les yeux distraits des vieux pêcheurs du coin.
Les acteurs changent, mais le même spectacle se rejoue jour après jour sur ces petites îles de Méditerranée. Il y a quelque chose de doux et reposant à se plonger dans cette routine insulaire si étrangère à nos frénésies urbaines. On retrouve avec plaisir le sentiment familier de ces étés interminables.
Favignana, l’ile vivante
19 km2 – 3 400 habitants
Favignana est l’une de ces destinations solaires qui évoquent instantanément les vacances. Il y fait bon vivre. Avant toute chose, il convient de louer une bicyclette sur le port. C’est le moyen le plus agréable de parcourir de long en large cette île en forme de farfalle. On se perd vite, mais pas longtemps : tous les chemins mènent à de sublimes criques, comme Bue Marino, Cala Rossa ou Lido Burrone.
La côte orientale de l’île a la particularité d’avoir été sculptée par la main de l’homme pendant des siècles d’excavation minière. Les blocs de tuffeau, une pierre blanche typique des sols calcaires, étaient utilisés pour construire villas et palais sur le continent. Puis la nature a repris ses droits, et ces carrières abandonnées se sont transformées en une série de jardins luxuriants et de petites piscines d’eau de mer. Favignana renferme deux îles en une, différentes et complémentaires.
À l’est, on trouve la Piana, la partie la plus animée, qui comprend un village doté de nombreux restaurants et les principales plages de l’île. Mais il suffit d’emprunter le tunnel creusé dans la montagne du château Santa Caterina pour découvrir un tout autre paysage, plus sauvage et vallonné. Moins fréquenté en raison de ses criques difficiles d’accès, le Bosco, à l’ouest, a quelque chose de plus raffiné que la Piana. En se promenant à vélo, on aperçoit de grandes maisons à l’ombre des pins parasols, louées par les habitués et les curieux qui ont deviné qu’il fallait s’aventurer de ce côté pour s’offrir des apéritifs mémorables en regardant le soleil se coucher au loin sur Levanzo.
C’est la célèbre famille Florio qui a fait de l’île sicilienne une destination touristique, après l’avoir projetée dans l’ère industrielle, à la fin du xixe siècle. Ayant eu vent des eaux particulièrement poissonneuses de Favignana, ces entrepreneurs d’origine calabraise ont acheté l’île en 1874 et ont développé la pêche au thon de façon prodigieuse.
C’est ici qu’a été inventée la méthode de conservation du thon dans de l’huile, après ébullition et mise en boîte. La Tonnara Florio fut l’une des plus importantes conserveries de la Méditerranée pendant plus d’un siècle. C’est aujourd’hui un grand musée, baptisé Ex Stabilimento Florio, où l’on peut revivre cette épopée industrielle et admirer des vestiges archéologiques retrouvés dans tout l’archipel.
Levanzo, l’ile de poche
5,6 km2 – 200 habitants
Accoster au port de Levanzo donne la drôle d’impression de rentrer dans une carte postale. La mer bleu lagon, les barques colorées, les maisonnettes blanches aux volets bleus… c’est l’île méditerranéenne telle qu’on l’imagine, telle qu’on en rêve. Ici, le mot d’ordre, c’est la tranquillità.
À peine cinq minutes de discussion avec un local suffisent pour l’entendre vous louer la sérénité des lieux. À l’exception d’un petit tronçon asphalté qui conduit du village à la plage du Faraglione (un rocher qui sort de l’eau), il n’y a pas de routes sur l’île, et donc pas de voitures, ce qui permet de préserver le calme, l’intégrité et la beauté des lieux.
Chacun se déplace à pied, en prenant son temps pour arpenter les quelques ruelles de l’unique village de l’île, ou les chemins qui mènent à de superbes criques, comme la Cala Minnola, à vingt minutes du port. Bien sûr, en haute saison, la vie de l’île s’anime considérablement. En raison du nombre limité d’hébergements et de la proximité avec Favignana (dix minutes) et Trapani (vingt-cinq minutes), beaucoup de visiteurs font l’aller-retour dans la journée.
Mais une fois le dernier bateau parti, sur les coups de 20 heures, l’île retrouve son atmosphère intimiste. Si, entre deux sessions de farniente, vous souhaitiez vous activer gentiment, Alida et Franco, une cheffe passionnée et son pêcheur de mari – le dernier de l’île en activité – organisent des sorties en mer à la journée à bord de La Viola.
L’occasion de découvrir par la mer les plus beaux recoins de la côte, à l’instar de la Cala Tramonta et de la Costa Arancio, et de multiplier les bains dans des eaux cristallines. Quand la faim se fait sentir, Franco jette l’ancre, tandis qu’Alida concocte des délices siciliens, comme une bruschetta à la figue ou des calamars farcis.
Dans un autre registre, des guides organisent des visites de la grotte préhistorique del Genovese, située sur le flanc ouest de l’île, accessible au terme d’une petite marche après un trajet en 4×4 ou en bateau, en fonction du temps. Nichée dans une falaise calcaire, elle est couverte de graffitis d’hommes et d’animaux qui datent de l’époque où la grotte était habitée, 10 000 ans avant J.-C.
Marettimo, l’ile sauvage de l’archipel des Égades
12,3 km2 – 680 habitants
Pour arriver jusqu’à Marettimo, il faut déjà être un peu chanceux. Il n’est pas rare que les liaisons avec la terre ferme soient interrompues quand le vent souffle un peu trop et que la mer s’agite, car les deux petits ports ne sont pas assez abrités. Mais cela fait aussi partie du charme de cette île aux airs de bout du monde.
Ce gros rocher qui culmine à 680 mètres a jailli de la mer quelques milliers d’années avant les autres îles de l’archipel. Les populations anciennes l’avaient baptisée Hierà Nésos, île sacrée en grec. De fait, Marettimo dégage une aura particulière. Elle est à la fois mystérieuse, impressionnante, voire intimidante. Son relief escarpé, fait de montagnes gris perle et de falaises calcaires qui tombent à pic dans le grand bleu, lui vaut le surnom de Dolomites des mers.
À peine avez vous posé le pied sur le port que des marins vous proposent de faire un tour en bateau, pour découvrir quelquesunes des nombreuses grottes de l’île. La balade en vaut la peine. La grotte del Cammello, par exemple, donne à voir un spectacle simple et pourtant étourdissant de beauté, lorsque les rayons de soleil percent la surface de l’eau et se reflètent en ondulant sur les parois de la grotte.
Une fois passée la presqu’île de la Troia, où se dresse une petite forteresse édifiée par les Normands au xiie siècle, on découvre une partie de l’île complètement vierge, avec une succession de criques accessibles seulement par la mer. Toujours très claire, l’eau passe du bleu profond au vert émeraude, du turquoise au saphir, rendant les baignades inoubliables. L’île compte par ailleurs une vingtaine de sites de plongée, faits de champs de posidonie et de canyons, où vit une importante faune marine.
Pendant des années, les eaux de Marettimo furent poissonneuses, et les pêcheurs de l’île étaient connus comme les plus habiles de la Méditerranée. Puis, au début du xxe siècle, les bateaux rentrèrent avec des cargaisons de plus en plus légères et les marins eurent du mal à gagner leur vie.
Au point de partir travailler à 9 000 kilomètres de l’île, pour pêcher le saumon en Alaska pendant deux mois, puis le thon et le calamar géant à Monterey, en Californie. « Aujourd’hui encore, presque tout le monde à Marettimo a des connaissances à Monterey », raconte Vito Vaccaro, qui s’occupe bénévolement du musée de la Mer, à deux pas du vieux port.
Si la mer occupe une place centrale à Marettimo, l’île réserve aussi de superbes balades à pied. On retiendra notamment le sentier qui conduit au sommet de l’île, le mont Falcone, et redescend à travers la pinède et les bosquets de romarin jusqu’aux case romane et la jolie chapelle byzantine construite au XIème siècle.
Plus impressionnant, car suspendu au flanc de la falaise, le chemin conduisant au château de Punta Troia est exigeant, mais offre en échange des vues incroyables sur l’île et le reste de l’archipel des Égades. Alors que l’on avance sur ce raidillon qui surplombe les vagues, exposé au soleil et aux bourrasques, on est rappelé au pouvoir de la nature sur l’homme, que les métropolitains ont parfois tendance à oublier.
A lire aussi : Les plus belles randonnées à faire sur l’île de São Miguel