The Good Business
Premier quotidien irlandais en diffusion, proche des préoccupations et des passions d’un lectorat qui appartient à toutes les classes sociales, voix du pays pour les Irlandais expatriés, l’Irish Independent est un peu à la presse du pays ce qu’est la Guinness à ses pubs !
Chaque matin, l’ Irish Independent affiche, tout en haut de sa une, la couleur si chère à ses lecteurs. Verte, la mention fièrement exhibée « Ireland’s best-selling daily newspaper ». Verte, la harpe celtique, emblème de l’île aux pâturages d’herbe drue. Et, tous les mercredis, il publie même un cahier spécial, Seachtain (« semaine », en français), dans la langue ancestrale des Irlandais, le gaélique.
Car ce quotidien fondé en 1905, successeur du très nationaliste et catholique Daily Irish Independent, qui date de 1890, se veut – à la différence de son principal concurrent, l’élitiste Irish Times – un média populaire au meilleur sens du terme. C’est-à-dire un journal qui s’adresse au plus grand nombre de ses compatriotes, mais sans tomber dans les dérives démagogiques des tabloïds.
Sur les murs de l’open space de la rédaction, on peut lire ces deux mots d’ordre qui résument parfaitement les valeurs du titre, dont bon nombre de journaux à travers le monde pourraient utilement s’inspirer : « We do not write for other journalists, we write for the readers » (« nous n’écrivons pas pour les confrères, mais pour les lecteurs ») et « The single mum in Ballymun was just as important as the ministers in Leinster House » (« la mère célibataire de Ballynum – quartier pauvre du nord de Dublin – était tout aussi importante que les ministres de Leinster House – le siège du Parlement irlandais au siècle dernier »).
Pour Fiona Ness, responsable des magazines et suppléments du groupe Independent News & Media, cette mission de se tenir au plus près de la société du pays, de répondre aux préoccupations quotidiennes de son lectorat populaire, et en particulier de celles des mères au foyer, relève presque du sacerdoce. « Mon mari me reproche de travailler trop souvent à la maison tard dans la nuit », confie-t-elle, apparemment menacée par le burn-out.
Avec une équipe de 24 collaborateurs – qui appartiennent pour la plupart à la rédaction technique ou au réseau de rédacteurs pigistes –, elle « produit », au prix de bouclages incessants, une dizaine de magazines et suppléments par semaine qui couvrent tous les domaines possibles : cuisine, éducation des enfants, santé, jardinage, mode, culture, lifestyle… S’ajoute à son stress quotidien la perspective de deux calamités qui la « terrifient » : la réduction des effectifs de son équipe et la disparition, à terme, des éditions papier.
Fiche d'identité
• L’Irish Independent appartient au groupe : Independent News & Media.
• Ses principaux actionnaires sont : Denis O’Brien, 29 % ; Dermot Desmond, 14 % ; UBS, 6 % ; et Farringdon Capital, 5%.
• Directeur des rédactions du groupe : Stephen Rae.
• Directeur exécutif du groupe : Edward McCann.
• Rédacteur en chef de l’Irish Independent : Fionnán Sheahan.
• Nombre de journalistes : 195 pour l’Irish Independent, le Sunday Independent, le Sunday World et l’Herald.
• Le groupe Independent News & Media détient également : le Belfast Telegraph et le Sunday Life en Irlande du Nord, et une douzaine de journaux régionaux comme le Kerryman.
• Fondation de l’Irish Independent : 1905.
• Prix : 2 €.
• Diffusion quotidienne : 95 000 exemplaires.
• Web (accès gratuit) : 12 millions de visiteurs uniques par mois.
• Suppléments hebdomadaires :
– santé et art de vivre, le lundi ;
– agriculture, le mardi ;
– automobile, le mercredi ;
– Seachtain, en gaélique, le mercredi ;
– Business Week, le jeudi;
– suppléments provinciaux sur le rugby (Munster, Leinster, Connacht), le vendredi ;
– magazine Weekend, le samedi;
– Weekend Review (retour sur les actualités
de la semaine), le samedi.
Heureusement, les cauchemars de Fiona ne sont pas encore d’actualité… Certes, des coupes budgétaires et des licenciements dans la rédaction technique ont été opérés ces dernières années à la suite de la baisse des recettes publicitaires, aggravée par la terrible crise économique qu’a traversée l’Irlande entre 2008 et 2010. Il reste que les cadences imposées par le groupe de presse à cette rédaction qui travaille en flux tendu pour une multitude de titres semblent constituer, du moins provisoirement, une recette efficace pour la pérennité de l’ Irish Independent et de sa galaxie.
Malgré cette hyperproduction éditoriale, pas question de transiger pour autant sur la qualité de l’information ou le sérieux des enquêtes, avertit-on à la rédaction. Une autre citation figure sur les cloisons vitrées du desk réparti sur plusieurs étages : « Là où il y a mensonge, c’est à nous, reporters, de le révéler. » Cette phrase, on peut dire que Veronica Guerin l’a presque écrite de son sang. Cette journaliste du Sunday Independent, dont une sculpture en bronze dans le hall d’entrée du journal rappelle le douloureux souvenir, a été assassinée, en 1996, à l’âge de 37 ans. Les auteurs ? Des barons de la drogue de Dublin, dont Veronica Guerin avait courageusement fait connaître les agissements criminels dans une série d’articles exclusifs…
Irish mais international
Aujourd’hui, cette exigence journalistique se perpétue avec d’autres papiers d’investigation exclusifs ou lors de la couverture de la politique extérieure et de l’économie, toutes deux si importantes au moment du Brexit. « Insulaire et longtemps terre d’émigration, l’Irlande tourne constamment ses regards curieux vers le reste du monde. Nous sommes aussi la voix de l’Irlande pour nos compatriotes qui vivent à l’étranger, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Nous avons, grâce au numérique, une audience de 14 millions de lecteurs alors que notre pays compte moins de 5 millions d’habitants ! Vous pouvez aller n’importe où dans le monde, vous trouverez des Irlandais ou des gens qui, comme Obama, ont des origines irlandaises [Falmouth Kearney, arrière-arrière-arrière-grand-père maternel de Barack Obama, NDLR] », souligne Stephen Rae, le patron des rédactions du groupe.
Les enjeux du Brexit pour la république d’Irlande, toujours membre à part entière de l’Union européenne et qui exporte beaucoup, notamment des produits agricoles, vers la Grande-Bretagne, renforcent aujourd’hui cet intérêt d’un lectorat avide de premier quotidien de Dublin, en ces temps d’incertitude, a aussi conscience qu’il faut continuer, néanmoins, à divertir ses lecteurs, à nourrir leurs passions, par le biais de ses rubriques culture et loisirs, mais surtout par sa très riche rubrique sport, forte d’une trentaine de journalistes : cahiers spéciaux sur le rugby, bien sûr, mais aussi sur le football, le golf, l’équitation, la natation, la course à pied, etc. « Les Irlandais sont très patriotes, très identitaires et fiers de leurs champions, aussi le sport a-t-il toujours été dans l’ADN du journal », note David Courtney, 55 ans, patron de cette rubrique phare.
Collaborateur depuis trente-cinq ans de l’Irish Independent, il l’a évidemment beaucoup vu changer « because money ». Il a ainsi connu, avant le déménagement du journal, en 2004, dans l’immeuble de verre de Talbot Street, qui vit désormais en bouclage permanent pour les différents titres, la splendeur du fameux siège historique de Middle Abbey Street, dont l’impressionnante et fantomatique carcasse trône toujours au centre-ville de Dublin. Autres temps de la presse, autres mœurs…
→ www.independent.ie
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