The Good Business
L’industrie portuaire, qui reste le moteur du Havre, ne suffit pas pour faire croître le nombre d’emplois et d’habitants. Depuis le début du siècle, la ville mise donc aussi sur son architecture, ses activités culturelles, sa qualité de vie et le rayonnement de son université pour attirer des entreprises et des visiteurs. Un changement d’identité réussi ! Rencontre avec le maire de la ville, l'ancien Premier ministre Édouard Philippe.
Premier ministre depuis mai 2017, Édouard Philippe quitte ses fonctions en juillet 2020 à la suite de son élection à la mairie du Havre. Un poste de maire qu’il avait déjà occupé entre 2010 et 2017. A l’occasion de notre visite de la ville portuaire, il nous a accordé un entretien exclusif.
L’interview The Good Life d’Édouard Philippe :
The Good Life : Comment définiriez‑vous l’identité des Havrais ?
Édouard Philippe : Le port et son industrie sont dans les gènes de la ville. Les rites portuaires et la mythologie des dockers restent dominants dans la culture havraise. Par ailleurs, après la destruction du Havre en 1944 et la reconstruction d’une nouvelle ville fonctionnelle, mais froide et minérale, les Havrais ont eu un mal fou à s’approprier cette cité de béton, qu’aucun d’eux n’appréciait. Enfin, le caractère des Cauchois est par tradition un peu rugueux, pas très tendre. Mais ce sont des gens de parole. Cela va avec un grand sens de l’accueil, au point que bien des personnes arrivées au Havre pour un ou deux ans y sont restées toute leur vie.
TGL : La ville a aussi été marquée par son déclin industriel ?
Édouard Philippe : Au début des années 80, son essor économique s’est arrêté net, et le taux de chômage est devenu supérieur à la moyenne nationale. C’est aussi à cette époque qu’a débuté une lente érosion démographique qui s’est poursuivie depuis, 2017 faisant exception. Cette érosion est un phénomène régional, qui concerne aussi Caen, Rouen, Dieppe… Notons qu’elle est bien plus lente au niveau de la métropole havraise regroupant 54 communes, et inexistante à l’échelle du bassin du Havre, qui s’étend de Fécamp à Lisieux et regroupe 500 000 personnes.
TGL : L’avenir de l’économie se joue désormais au niveau de la région, plutôt que de la ville ?
É. P. : Oui. Les 53 autres communes de la communauté urbaine, à la fois rurale et très industrialisée, partagent le même destin que Le Havre. Nous travaillons donc en bonne intelligence avec elles. Nos relations avec la ville de Rouen, hier rivale du Havre, ne cessent aussi de s’améliorer : nos hôpitaux collaborent, nous avons fusionné nos écoles d’art, et nos deux ports auront une direction unique dans quelques mois.
« Je déteste qu’on mette sur le dos des dockers la totalité des difficultés du port »
TGL : Le port bénéficie d’investissements considérables, mais sa compétitivité est pénalisée par les grèves des dockers. Est-il possible de les limiter et comment ?
É. P. : Je déteste qu’on mette sur le dos des dockers la totalité des difficultés du port. Je peux entendre que cela se passerait mieux s’ils faisaient preuve d’une meilleure capacité à négocier et de plus de souplesse. Mais on ne peut pas les rendre coupables de l’absence d’investissements sur le transport ferroviaire du fret, et d’une liaison fluviale directe du port vers l’Europe continentale, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays. Ajoutons que Rotterdam et Anvers font partie de grandes régions qui ont tout misé sur l’économie portuaire, alors que dans le nord de la France, nous avons aussi investi sur d’autres projets, comme par exemple le tunnel sous la Manche… Enfin, pour en revenir à la question des grèves, n’oublions pas que le statu quo local est un jeu à trois entre les dockers, le patronat portuaire et l’État, dans lequel chacun se renvoie la balle.
TGL : L’inscription du centre-ville d’Auguste Perret au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005 est-il à l’origine du changement de regard des Havrais sur leur ville ?
É. P. : Cela a été un révélateur. En 1995, après trente ans de pouvoir communiste, l’investissement public et privé s’était effondré, immobilisant la ville au moment où d’autres métropoles connaissaient un formidable essor. Antoine Rufenacht [parti RPR, puis UMP, NDLR], mon prédécesseur alors élu à la mairie, avait une vision : au-delà de l’industrie portuaire, Le Havre devait devenir une cité attractive, dynamique, culturelle et même touristique… Personne n’y croyait, et on lui a ri au nez. Mais il a aménagé la plage, décroché le classement en ville balnéaire, investi dans un casino, refait le musée MuMa, convaincu les navires de croisières de faire escale, obtenu l’inscription au patrimoine mondial… Les habitants ont été surpris, et ils ont enfin osé dire qu’ils aimaient Le Havre. À partir de 2010, j’ai poursuivi cette politique, avec la rénovation de plusieurs quartiers, l’inauguration du tramway, la mise en place d’un grand campus universitaire en centre-ville – de la gare jusqu’au quartier de l’Eure –, la création de la bibliothèque Niemeyer et de 130 relais de lecture, l’organisation du 500e anniversaire de la ville… Et ce n’est pas fini. Nous préparons la seconde ligne de tramway pour 2026, le lancement d’une politique d’éducation à l’image, le renouvellement de quartiers périphériques… Aujourd’hui, on voit des Parisiens qui achètent une résidence secondaire au Havre. Je le perçois comme le signe d’un certain pouvoir d’attraction.
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