The Good Business
A la tête d’Interparfums, qu’il a cofondé en 1983, Philippe Benacin a fait de fragrances siglées Jimmy Choo ou Montblanc, mais aussi Burberry, les nouveaux blockbusters de la parfumerie de luxe.
Lorsqu’on sollicite un grand manager, il faut souvent multiplier les demandes, les formaliser un peu comme avec un chef d’Etat… Lorsqu’il s’agit de Philippe Benacin d’Interparfums, un aller-retour de mails suffit pour fixer le rendez-vous. La rencontre a lieu quelques heures avant le grand rush estival et l’annonce officielle des résultats d’Interparfums pour le premier semestre 2017. Il est serein. Avec raison. Le chiffre d’affaires annoncé pour cette période de six mois est de 209 millions d’euros, en progression de 29 % par rapport à l’année précédente, sur la même période. Belle performance pour cette entreprise qui crée, développe et distribue des parfums pour des maisons de luxe depuis le début des années 80. Dans son portefeuille, Jimmy Choo, Montblanc, Repetto, Coach, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Paul Smith, S.T. Dupont et Karl Lagerfeld…
Aujourd’hui, l’entreprise que fondent en 1983 Philippe Benacin et Jean Madar s’apparenterait à une start-up. Le terme et le concept n’existaient pas ! Ces deux diplômés fraîchement sortis de l’Essec se font la main avec Ray Marjory. Le nom ne vous dit rien ? Ray Marjory a été créé dans les années 70 par quatre frères et propose un prêt-à-porter made in Sentier. Quand on revoit ses pubs réalisées par Publicis (comme celles de Dim), on est surpris par leur fraîcheur et leur contemporanéité. Le tandem Benacin-Madar avait déjà du nez… Si l’histoire de la parfumerie n’a pas retenu cette première création – l’époque est alors aux fragrances capiteuses façon Paris d’Yves Saint Laurent et Diva d’Emanuel Ungaro sorties cette même année –, c’est parce que la marque disparaît très rapidement après son lancement. Mais les deux acolytes sont, eux, dans les starting-blocks de leur future réussite. Ils signent avec Régine sa licence de parfums à une période où les fragrances de célébrités s’écoulent comme des petits pains. De quoi les mettre sur des rails et contribuer à leur premier gros coup : ils obtiennent la licence de parfums Burberry en 1993.
La marque britannique est alors en train de se réinventer, et va bientôt devenir planétairement iconique. A partir des années 2000, les lancements se multiplient : Touch, Burberry Brit, Burberry London, The Beat, Body… Les succès s’enchaînent ; au point que ces jus finissent par représenter plus de la moitié du chiffre d’affaires d’Interparfums. Ce n’est jamais bon… En 2013, la crise surgit entre le label anglais et son licencié. Burberry tente l’ingérence et mène la vie dure aux équipes parisiennes. Philippe Benacin demande le divorce et obtient un chèque de sortie de 181 millions d’euros. Le chiffre d’affaires dégringole et passe de 445,4 millions d’euros en 2012 à 251,5 millions en 2013. Voilà qui aurait pu lui coûter la « vie ». Mais l’entreprise rebondit illico grâce au développement – et à la réussite – des autres licences, dont celles de Jimmy Choo, Montblanc, Boucheron (racheté à L’Oréal)… Auxquelles il faudra bientôt ajouter les rachats des parfums Lanvin et de la maison Rochas (mode comprise). Interparfums est désormais propriétaire en propre de deux marques iconiques. L’avenir n’est pourtant pas si serein. Il va falloir, par exemple, consolider le storytelling de Lanvin, alors que la maison de couture se délite… Et quid de Jimmy Choo, le chausseur britannique venant d’être racheté par l’américain Michael Kors ?
Inteparfums, Dates clés
- 1983 : création de l’entreprise Interparfums en France, par Philippe Benacin et Jean Madar, tout jeunes diplômés de l’Essec.
- 1985 : création de la société Jean Philippe Fragrances aux Etats-Unis.
- 1988 : début du développement de l’activité parfumerie sélective avec la signature d’un accord de licence sous la marque Régine’s. Introduction de la société Jean Philippe Fragrances au Nasdaq de la Bourse de New York.
- 1993 : signature de l’accord de licence Burberry.
- 1994 : inscription de la société Interparfums au marché hors-cote de la Bourse de Paris.
- 1995 : lancement de la première ligne de parfums Burberry. Transfert de la société du hors-cote au second marché de la Bourse de Paris avec augmentation de capital.
- 1997 : signature de la licence S.T. Dupont.
- 1998 : signature de la licence Paul Smith.
- 1999 : signature de la licence Christian Lacroix. La société Jean Philippe Fragrances prend le nom d’Interparfums Inc.
- 2004 : renouvellement de la licence Burberry et signature de la licence Lanvin. Prise de participation majoritaire dans la marque Nickel (revendue ensuite à L’Oréal).
- 2006 : signature des licences Quiksilver/Roxy et Van Cleef & Arpels.
- 2007 : acquisition des dépôts de marque Lanvin.
- 2009 : signature de la licence Jimmy Choo.
- 2010 : signature des licences Montblanc et Boucheron.
- 2011 : signature des licences Balmain et Repetto.
- 2012 : signature de la licence Karl Lagerfeld.
- 2015 : signature de la licence et acquisition de la maison Rochas.
- 2017 : arrêt anticipé de la licence Balmain.
Interparfums : une affaire d’amitié
Une chose est sûre : rarement une amitié dure aussi longtemps dans les affaires : trente-cinq ans… La répartition des rôles ? A l’un, la maison américaine ; à l’autre, les activités parisiennes. Interparfums Inc. (créée deux ans après la maison parisienne) et Interparfums sont deux structures différentes, avec des portefeuilles de marques séparés. Elles sont liées par un schéma de capitalisation, mais aucunement en matière de décision. Chacun des associés assure le développement et la distribution de ses marques, sans intervenir dans le domaine de l’autre. Les stratégies de choix et de développement des marques ne sont pas les mêmes non plus. A New York, Jean Madar chapeaute les licences Abercombie, Anna Sui, Agent Provocateur, Dunhill, Hollister, Oscar de la Renta…
Mais, sans aucun doute, Philippe Benacin est un fin limier. Il a du nez, une sensibilité à leur de peau, à la fois instinctive et nerveuse, qui lui permet de réaliser des « tubes ». Et c’est bien ce que tout le monde vise aujourd’hui en parfumerie. Les marques ne cherchent pas forcément la postérité, mais bien la prospérité. Et immédiate, si possible, puisque la durée de vie d’un parfum est désormais courte et qu’il faut compter entre deux et trois ans pour en développer un ! Son challenge est d’être en concordance avec son temps et de trouver rapidement son public. Autrement dit, d’être vite rentable… C’est ce que sait parfaitement faire Philippe Benacin. Il a, ce jour-là, le mot de la fin, qui est aussi un bon conseil de lecture : La Septième Fonction du langage, de Laurent Binet.
Répartition du CA au 1er semestre 2017, marque par marque
- Montblanc : 57,1 M €.
- Jimmy Choo : 54,6 M €.
- Lanvin : 30,5 M €.
- Rochas : 18,6 M €.
- Coach: 15,7 M €.
- Van Cleef & Arpels : 9,5 M €.
- Boucheron : 8,9 M €.
- Autres: 13,1 M €.
- Redevances mode Rochas : 1,3 M €.
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