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If, poison thérapeutique
If, poison thérapeutique
Alexandre Bougès

Lifestyle

If, poison thérapeutique

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Symbole de mort et très toxique, l’if borde souvent les cimetières. Morbide ? Pas tout à fait puisque sa sève est largement utilisée en oncologie pour traiter un grand nombre de cancers, comme celui de la prostate, de l’estomac ou du poumon. Focus sur cet agent double.

Cet arbre de la famille des taxacées a de lointaines ressemblances avec les conifères, mais contrairement à ces derniers, il ne produit ni cônes ni résine. Son nom latin, Taxus baccata, dérivé des mots grec taxis et baccata, fait allusion à la régularité de la disposition de ses feuilles et aux baies qu’il porte. Présent en Europe méridionale et en Amérique du Nord, haut d’une quinzaine de mètres, l’if se trouve en forêt, où il apprécie ombre et humidité. Sa ramure dense et son feuillage persistant aux aiguilles souples et plates d’un vert plus foncé sur le dessus entourent un tronc solide malgré une écorce brun rouge plutôt friable. Décoratif, il se taille facilement et a permis de façonner, avec le buis, nombre de jardins à la française. Cet arbre, solidement ancré dans le sol, fleurit au printemps et porte, de juillet à octobre, des baies rouges pulpeuses à la saveur sucrée qui renferment une grosse graine luisante au goût amer. Seule la partie charnue du fruit, l’arille, n’est pas toxique. Toutes les autres parties de l’if, graine comprise, contiennent de la taxine, un alcaloïde cardioactif particulièrement vénéneux.

Un poison hautement toxique…

L’arbre a toujours eu une mauvaise réputation à cause de sa toxicité : les Grecs pensaient même que dormir sous un if était mortel. Dans la mythologie grecque, l’if est d’ailleurs dédié à Hécate, gardienne des enfers, déesse de l’ombre et des morts et identifiée comme lien vertical entre les enfers, la terre et le ciel. Plus tard, les chrétiens reprennent cette tradition en faisant de l’if le symbole du lien entre le ciel et la terre et le plantent naturellement en masse aux abords des églises et des cimetières – d’autant que la toxicité de l’arbre empêche l’accès de ces lieux sacrés au bétail. S’il est établi que les fibres de bois de l’if servaient à confectionner des arcs et des vêtements, les Romains avaient rapidement compris qu’ils pouvaient aussi utiliser ses branches et son écorce pour la fabrication de filtres empoisonnés. On retrouve d’ailleurs ces usages dans l’étymologie : le latin taxicum signifie « poison » et a donné en français moderne les mots « toxique », mais aussi « textile », pour le vêtement tissé avec les fibres de l’écorce. Mais c’est des Gaulois, qui utilisaient la taxine de l’ivos pour enduire leurs flèches de sève toxique avant la chasse, que vient le nom moderne d’if. Responsable de troubles digestifs, cardiaques, respiratoires et neurologiques très graves pouvant aboutir à la mort, l’if peut également provoquer des irritations de la peau lors de contacts avec les feuilles, notamment au moment de la taille. Si les intoxications, qui s’étendent de juin à novembre avec un pic fin août et début septembre, existent encore, elles sont limitées, la graine étant particulièrement amère et dure, donc rarement mâchée. Dans 3 % des cas, seuls des signes d’irritation de la peau sont notés par les services d’urgence au moment de la taille des haies.

… traitement essentiel contre le cancer

Pourtant, lorsqu’elle est bien maîtrisée, la sève toxique de l’if peut se révéler bénéfique. C’est dans les années 60 qu’un vaste programme de recherche a été lancé pour analyser et étudier les propriétés anticancéreuses d’échantillons de plantes du monde entier.
Une dizaine d’années plus tard, le taxol, prélevé sur l’if du Pacifique, était isolé et entrait dans la composition de traitements anticancéreux. Au début des années 90, on pouvait tirer 130 kg de ce médicament à partir de 1 000 tonnes d’écorces, elles-mêmes issues de plus d’un demi-million d’ifs du Pacifique. Si des récoltes de jeunes pousses d’ifs ont toujours lieu tous les ans au mois d’août dans quelques pays, et notamment en Belgique, pour soutenir la lutte contre le cancer, il faut disposer de l’équivalent d’une haie de 50 mètres de long et de 1,5 mètre de haut en moyenne pour traiter un seul patient. Une méthode 100 % naturelle, certes, mais particulièrement destructrice à grande échelle.
C’est pourquoi les chercheurs ont rapidement essayé d’établir une conversion chimique d’une molécule proche, extraite de l’if européen – rendue possible par l’équipe de Pierre Potier, qui reçut la médaille d’or du CNRS en 1998. En 2010, la revue Science a publié une nouvelle capitale : des scientifiques du Massachusets Institute of Technology (MIT) venaient de trouver le moyen de produire en masse, et pour un coût réduit, le précurseur chimique du taxol par une bactérie commune, Escherichia coli, manipulée génétiquement. L’intérêt ? Faire baisser le prix des médicaments anticancéreux et préserver les arbres. Et quand on sait que ces médicaments sont primordiaux pour traiter des cancers aussi courants que ceux du sein, de la prostate, du poumon, ou de l’estomac et qu’ils sont même recommandés pour certains cancers liés au VIH, il y a de quoi se réjouir…

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