The Good Business
A quoi ressemblera le monde du travail dans vingt ans ? Au centre de l’interrogation se trouve la place de l’homme dans une économie dominée par l’IA. Entre fantasme d’une prise de contrôle des machines et angélisme d’un travail libéré, nous entrons dans l’inconnu.
L’homme et la grande révolution des compétences
Pour engager cette interaction positive et constructive avec le robot, l’homme devra cultiver sa différence en développant ses compétences spécifiquement humaines, comme la créativité, l’empathie, l’entrepreneuriat, la communication, les sciences humaines, la culture, la résolution de problèmes ou encore sa capacité de synthèse. Dans la recherche scientifique, avant le début des années 2000, il fallait cinq ans pour séquencer un génome humain. En 2017, une journée suffit. En 2038, nous disposerons de milliards de données analysées par des robots comme Nao, développé par l’Inserm et l’université Claude-Bernard-Lyon en 2015. Le chercheur devra apprendre à travailler avec ces nouveaux outils pour faire le tri, intégrer des enjeux éthiques et sociétaux, rester au fait de la connaissance et communiquer avec d’autres disciplines.
Dans les entreprises encore dominées par les process et par un modèle hiérarchique vertical hérité du taylorisme, c’est une autre affaire. L’hybridation des métiers et la nouvelle culture numérique remettent profondément en question leur fonctionnement et leur management. Aujourd’hui, toutes cherchent le meilleur moyen de réaliser leur transformation numérique. « L’entreprise s’apparentera davantage à un ensemble de compétences que de fonctions. Elle comptera moins de salariés et elle travaillera avec un large écosystème d’indépendants et de partenaires. Sa création de valeur dépendra de sa capacité à attirer les meilleurs talents et à organiser un management de projet agile et interdisciplinaire, observe Jean-Michel Caye, directeur associé senior au Boston Consulting Group. Nous aurons sans doute quatre niveaux de compétence : les “smart creatives”, des entrepreneurs dont la vision stratégique peut radicalement changer la donne ; les “utilities”, des salariés permanents attachés aux services et aux fonctions support des entreprises ; et, enfin, parmi les indépendants, nous trouverons des talents clés, les “Uber +”, et des profils de spécialistes, les “Uber –”. » Il s’agit d’un point de bascule important pour les entreprises.
Une nouvelle catégorie de travailleurs dominera un marché du travail « ubérisé ». Denis Pennel, directeur de la Confédération mondiale des agences d’intérim, analyse, dans son dernier ouvrage, Travail, la soif de liberté, la montée en puissance de ces indépendants – les slashers, coworkers ou start-uppers – en quête d’autonomie. Née avec le numérique, une nouvelle génération a appris à développer d’autres méthodes de travail et d’autres relations sociales et professionnelles, en créant des communautés à l’image des guildes professionnelles du Moyen Age.
L’organisation de l’intelligence collective
On comprend, sans pouvoir encore le concevoir nettement, que cette vague de liberté des compétences exige de l’entreprise un autre modèle et une nouvelle identité. Un véritable casse-tête pour les grands groupes traditionnels. Car les méthodes de travail développées instinctivement par les start-up, mises en place à grande échelle par les géants du numérique, supposent une culture du travail en totale rupture avec ce que nous connaissions. La collaboration, l’agilité et l’intelligence collective en sont les piliers. Terminé les grand-messes qui définissent un plan stratégique à cinq ans. On navigue à vue, on travaille en petites équipes multidisciplinaires sur des projets, en changeant rapidement, si besoin, de direction, en testant et en échouant.
La longue liste des « ratés » de Google, comme le réseau social Orkut, le gestionnaire de flux RSS Google Reader, les lunettes connectées Glass ou encore la cession puis la revente de Motorola et de Boston Dynamics, illustre cette approche stratégique inédite. Les dirigeants devront être charismatiques pour pouvoir imposer une vision. Un campus d’un nouveau genre a ouvert ses portes en septembre dernier à Aix-en-Provence. The Camp se présente comme un laboratoire pour inventer et pratiquer le travail de demain. « Il était important de créer un lieu physique pour mieux comprendre le cadre qu’on doit donner à l’intelligence collective. Nous rassemblons des métiers, des expertises, des disciplines et des profils très différents autour d’un projet avec pour objectif concret de mettre au point des prototypes. Le monde devient de plus en plus complexe et connecté. Personne ne détient seul la solution. L’intelligence artificielle permettra à l’intelligence humaine de s’épanouir. C’est une question de choix », déclare Guillaume Fichefeux, directeur du Camp.
Mais pour développer une intelligence collective, encore faut-il nourrir l’intelligence individuelle, rappelle Nicolas Bouzou : « La créativité exige du temps pour lire, pour s’imprégner d’idées nouvelles, d’art, de culture, pour enrichir ses connaissances et en faire une synthèse. Par ailleurs, les salariés garderont leur lien de subordination, mais il n’y aura plus de lieu et de temps de travail tels que nous les connaissons. Le management intermédiaire est voué à disparaître, car il crée des process qui freinent l’innovation. » Restons humbles, l’avenir promet des ruptures qu’on aurait tort de vouloir à tout prix prédire. La culture asiatique nous apprend beaucoup sur la manière de gérer l’incertain. Lao-Tseu, considéré comme le père fondateur du taoïsme, prévient : « Si vous ne changez pas de direction, vous pourriez bien atteindre votre destination. »
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