The Good Business
Heuritech, start-up parisienne qui vient de lever 4 millions d’euros, a développé un outil qui, grâce au deep learning, analyse quotidiennement des millions d’images issues des réseaux sociaux. Le but ? Prévoir, très précisément, où, quand et pendant combien de temps un produit sera « à la mode ». Forcément, le succès est au rendez-vous et l’entreprise a déjà convaincu de nombreux acteurs du marché, couvrant tout le spectre, des grandes maisons à la fast fashion. Rencontre avec Tony Pinville, CEO et co-fondateur.
En 2009, l’intelligence artificielle n’est pas encore le marché très porteur qu’elle est aujourd’hui. Pourtant, c’est le moment que Tony Pinville a choisi pour abandonner son poste de directeur en recherche et développement d’une grande boîte de la finance pour se lancer dans une thèse autour de l’IA, à la Sorbonne. C’est là qu’il rencontre Charles Ollion, avec qui il fonde Heuritech en 2013, à la fin de leurs études.
Ils appliquent alors leurs connaissances académiques aux problématiques d’entreprises dans plusieurs secteurs, de l’agriculture au juridique, avant de travailler sur un projet pour La Poste. Mais en 2016, lors d’un Hackathon, ils font la rencontre d’équipes de Louis Vuitton, et prennent conscience des enjeux des acteurs du luxe, et de l’étendue des opportunités que ce marché peut leur offrir. Début 2017, ils se positionnent donc exclusivement en dénicheurs de tendances. En 2019, ils ouvrent une verticale mode. La machine est lancée.
Le principe est simple : les clients arrivent avec des problématiques précises, de l’ouverture d’un nouveau marché jusqu’au choix de la couleur de leur prochaine robe. En quelques jours d’analyse, Heuritech est capable de lui dire quelles couleurs, sur quelles pièces, dans quels pays, et pour quels publics, sont en train de devenir une tendance durable. Il prévoit également l’évolution de celle-ci sur les 6, 9 ou 12 prochains mois. Le tout en passant au peigne fin plusieurs millions de publications – la plupart du temps sur Instagram – chaque jour.
Quelques jours après sa levée de fonds de 4 millions d’euros, The Good Life a rencontré Tony Pinville dans les bureaux de son entreprise, avenue de la République à Paris.
5 questions à Tony Pinville, CEO et co-fondateur de Heuritech :
The Good Life : Comment fonctionne votre produit ?
Tony Pinville : D’abord, notre outil repère qu’il y a une personne sur la photo. Puis ce qu’elle porte. Si c’est une robe, alors il analyse sa forme, puis sa couleur etc. Tout ça, il a fallu lui apprendre, et c’est pour cela que nous avons embauché des experts mode. Ensuite, il est important de savoir « qui porte quoi ». Ainsi, grâce au Deep Learning, nous avons réussi à classer les utilisateurs d’Instagram en plusieurs panels, notamment ceux qui sont habituellement précurseurs, en amont des tendances. Aussi, nous arrivons à faire le tri entre les mini-tendances, qui ne dureront pas plus de quelques semaines, voire quelques jours, et les macro-tendances, plus longues. C’est comme ça que l’on peut dire à nos clients : « voilà ce qu’il se passe actuellement, et ce qu’il va se passer dans les 6, 9 ou 12 prochains mois ».
The Good Life : Mais les chasseurs de tendances existaient déjà…
Tony Pinville : C’est vrai ! L’idée, en tant que telle, a toujours été là. Mais l’innovation, c’est cette opportunité technologique qui permet de synthétiser cette masse d’informations des réseaux sociaux. Dans ce contexte, l’IA ne remplace pas l’humain, elle prolonge sa réflexion, l’aiguille dans sa créativité et son business.
TGL : Louis Vuitton et Célio ont des positionnements très différents. Pourtant, ils travaillent tous les deux avec vous… Est-ce parce qu’ils partagent les mêmes problématiques ?
T.P. : Les préoccupations des marques sont différentes en fonction de leur positionnement. Une grande maison préférera connaître les tendances pour essayer de créer les suivantes, ou apposer leurs pattes sur celles qui se détachent. Une marque de fast-fashion voudra une analyse précise des tendances installées, ou « digérées », pour surfer dessus. Certaines marques, comme Louis Vuitton, par exemple, veulent étudier le comportement des clients de ses produits iconiques sur des marchés précis. D’autres veulent éviter de se retrouver avec trop de stocks sur les bras… Les problématiques des entreprises du secteur sont très variées.
TGL : Vous venez de lever 4 millions d’euros. A quoi vont-ils servir ?
T.P. : Nous avons, parce que nous n’avons pas vraiment de concurrent direct, déjà des clients à l’étranger. Notamment une grande marque de sportswear aux Etats-Unis. Il est important de consolider notre présence sur place en ouvrant un bureau à New York, mais aussi une entité à Singapour pour explorer le marché asiatique. Ensuite, nous allons déménager à la fin du mois de septembre, et passer de 40 à 50 salariés, pour faciliter l’ouverture de notre nouvelle verticale, consacrée à la cosmétique.
TGL : Pourquoi la cosmétique ?
T.P. : Nous sommes régulièrement sollicités par des entreprises du secteur. Les enjeux sont énormes, rien que sur les couleurs, le packaging… des choses très précises mais vitales pour les marques. On a observé qu’en Chine par exemple, certaines marques apparaissaient, grimpaient très haut, et disparaissaient en quelques mois seulement. Cette volatilité rend très utile la synthétisation des données, plus encore que pour la mode. Nous avons attendu de perfectionner nos deux autres verticales mode et luxe avant de nous lancer. La prochaine sera probablement consacrée à la déco.
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