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Pourquoi Paris ne construira plus de gratte-ciels

Architecture

The Good City

Ces dernières années, plusieurs immeubles de grande hauteur ont redessiné la skyline de l’agglomération parisienne. De nouveaux projets sont encore en cours de construction, comme Triangle, The Link et Saint-Denis Pleyel, mais ils pourraient bien être les derniers. Explications.

Les grues s’activent à la Défense, étage après étage, un nouvel emblème est en train de s’ériger dans le quartier d’affaires de l’ouest parisien. Les tours The Link, 242 et 178 mètres de haut, accueilleront à l’horizon 2025 le nouveau siège de Total, décrochant au passage le titre de plus haut gratte-ciel de France. Un phare de plus dans le ciel francilien, donc. En manquait-t-on vraiment de gratte-ciels à Paris ?

Les monolithes, parfois solitaires, se sont imposés ces dernières années dans le paysage parisien. Ces imposantes signatures architecturales ont redessiné durablement le visage de Paris et sa région, nous interrogeant finalement sur leur pertinence et leur message, peut-être déjà obsolète. « Les tours, dans la manière dont on les concevait dans les trente glorieuses jusqu’à la fin du XXe siècle, sont clairement passées de mode, concède Pierre-Yves Guice, Directeur général de l’établissement public Paris La Défense. Elles ont même aujourd’hui un effet répulsif par l’arrivée au premier plan des enjeux climatiques et le rejet du mono-fonctionnalisme ».

Les projets sur lesquels travaille le quartier d’affaires se veulent en conséquence plus respectueux des règlementations environnementales, moins consommateurs d’énergie. The Link répondra ainsi à toutes les normes, certifications HQE, faisant la part belle au végétal avec 2800m2 « d’espaces verts » dans ses étages. Soit.

The Link.
The Link. Artefactory pour PCA-Stream

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Rénover les tours existantes

Mais pourquoi des tours ? Créée dans les années 1960, la Défense était née avec l’idée d’être un contre point au tissu haussmannien. Un secteur concentrant de grandes hauteurs pour former une skyline visible et donner le jour à un quartier d’affaires autonome que l’on voulait lumineux, spacieux, moderne, préservé́ du tumulte et des désordres de la ville. « A cette époque, la construction d’une tour était un acte de revendication et de prestige de la part de grandes entreprises, reprend Guice. Nous avons aujourd’hui à la Défense des immeubles qui ont une vraie valeur patrimoniale et font l’objet de suivi au titre du patrimoine du XXe siècle ».

Ces logiques urbanistiques semblent toutefois aujourd’hui radicalement remises en cause. « Il n’y a plus de place à la Défense, la densification du territoire sera complète d’ici 5 à 10 ans, avec deux derniers projets, Odyssey et la Tour des Jardins de l’Arche, et quelques derniers immeubles de moyenne hauteur construits en lieu d’anciennes friches routières », nous explique-t-il encore. En revanche, la régénération du quartier ne sera sans doute jamais achevée. « Comme sur tous les territoires mûrs, nous allons devoir faire la ville sur la ville ». Autrement dit, le vieux quartier d’affaires se prépare à une nouvelle phase de son existence : rénover ses actifs immobiliers et repenser leurs usages.

Restructurer l’existant, c’est l’opération en cours sur le secteur de Saint-Denis Pleyel, site industriel historique qui espère devenir un lieu d’attractivité en accueillant de grandes hauteurs. La tour Pleyel, construite en 1973 et devenue au fil des ans un véritable emblème de la Seine-Saint-Denis, se pare aujourd’hui d’une nouvelle façade pour devenir à l’aube des Jeux Olympiques le « Business Resort Paris Pleyel », un projet mixte de 85000m2. L’ex-tour de bureaux abritera notamment un hôtel 4 étoiles et un bar panoramique avec piscine. Une nouvelle tour est également en train de sortir de terre : avec ses 25 étages, Maestro rompra l’isolement de sa voisine Pleyel. Le quartier est lui aussi en profond renouvellement, au carrefour d’un réseau de transports avec 5 lignes de métro et l’ouverture prochaine de la gare du Grand Paris Express Saint-Denis Pleyel.

Pleyel.
Pleyel. 163 Ateliers Perspective

« Triangle » signe la fin des gratte-ciels à Paris

Autre projet d’ampleur : la tour Triangle, porte de Versailles, un immeuble de 180 mètres de haut prévu pour 2026. Ce gratte-ciel joue également le jeu de la sobriété énergétique et des énergies renouvelables. Sa programmation mixte réunira hôtel, centre de santé, commerces de proximité, 70 000 m2 de bureaux, un sky bar et un restaurant panoramique avec vue imprenable sur la Ville Lumière. Un projet contre lequel s’est fortement opposé Émile Meunier, conseiller écologiste de Paris, et négociateur au sein de la majorité parisienne du nouveau Plan Local d’Urbanisme, dont une version amendée sera soumise au vote à la rentrée 2024.

Pour lui, ce type de construction symbolise un concours de virilité totalement dépassé, voir puérile. « Nous voulions faire annuler Triangle, mais avons perdu la bataille, déplore-t-il. Si le PLU était passé juste avant, nous aurions pu bloquer le projet ». Le texte entend en effet interdire les hauteurs de bâtiment au-dessus de 37 mètres dans la capitale. « Paris n’est pas une ville finie, se défend l’élu, elle va se transformer sur elle-même. On peut autoriser quelques surélévations, dans des rues très larges où ça ne se voit pas. Mais la ville de Paris commence à être pleine ». Son principal argument est écologique : plus on construit haut, plus les consommations en ressources sont importantes à la construction avec des bases en béton, de l’acier, du verre… « Et à l’usage, le problème c’est la déperdition énergétique : vous êtes obligés de refroidir beaucoup l’été, réchauffer beaucoup l’hiver, et puis il faut faire monter les fluides, les meubles, les personnes jusqu’en haut plusieurs fois par jour », détaille-t-il.

Triangle.
Triangle.

La pire des choses serait de reproduire l’erreur commise avec la Tour Montparnasse »

« Je suis le premier à être d’accord sur le fait qu’il faille arrêter de faire des tours dans la capitale, soutient Pierre-Yves Guice. Paris intramuros est un immense objet patrimonial qui doit être conçu comme tel. La pire des choses serait de reproduire l’erreur commise avec la Tour Montparnasse, de penser des tours de manière anarchique au niveau du tissus haussmannien sans se préoccuper du grand paysage ». Outre cet aspect esthétique, que chacun appréciera selon sa subjectivité, Émile Meunier voit quant à lui un symbole dans l’organisation même de la société.

Le velum, c’est-à-dire la surface des hauteurs maximales des constructions parisiennes, devraient à son sens atteindre une certaine limite. « Quand on regarde Paris de haut, on voit qu’on a une moyenne de sept étages environ. Traditionnellement, au Moyen-Âge, seules deux institutions pouvaient traverser le velum : le pouvoir royal et l’Église, seuls eux pouvaient prétendre à s’élever au-dessus du commun des mortels. Mais aujourd’hui, qu’est-ce qui dépasse le velum ? Des bureaux, des hôtels de luxe, des intérêts privés, je trouve ça triste ». Le signe que l’époque des grattes-ciels à Paris est en passe d’être révolue.


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