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En rachetant les droits de La Casa de papel, Netflix est tombé sur une pépite. Une histoire de braquage aux accents révolutionnaires que la plate-forme américaine a propulsé au rang de blockbuster international par la magie du bouche-à-oreille. Décryptage.
2 mai 2017, première diffusion de La Casa de papel sur Antena 3. Les Espagnols découvrent l’histoire du casse de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre de Madrid (la fameuse « maison de papier ») par un gang de malfaiteurs désabusés. Guidés à distance par le « Professeur », ils prennent 67 personnes en otage et veulent faire tourner les rotatives pour fabriquer la somme rondelette de 2,4 milliards d’euros. La première partie, en 9 épisodes, réunira, en moyenne, 2,7 millions de téléspectateurs (soit 16,6 % de parts de marché) et sera suivie d’une seconde partie, diffusée à l’automne 2017.
Des audiences honorables, mais rien d’extraordinaire, malgré les qualités évidentes de cette série créée par Alex Pina et qualifiée, tout de même, de « meilleure série espagnole de l’histoire » par le quotidien national ABC. Car ce thriller, truffé de cliffhangers, est porté par des personnages attachants campés par un casting impeccable.
Son ambiance stylisée, à mi-chemin entre Point Break et Reservoir Dogs, sa photographie et sa mise en scène soignées tranchent avec les productions hispaniques habituelles, dont seul le discutable soap musical Un, Dos, Tres, avait réussi à franchir les Pyrénées.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si le géant Netflix ne s’en était pas mêlé.
Vitrine mondiale
La série est lancée sur la plate-forme américaine de vidéos à la demande, qui vient d’en acquérir les droits, le 20 décembre 2017. Le numéro un du streaming, qui n’achète jamais de contenu par hasard, a sans doute flairé le potentiel de La Casa de papel, mais rien n’annonçait un tel succès.
Sans tambour ni trompette, le feuilleton espagnol est mis en ligne sans la moindre publicité. Restructurée en deux saisons, dont la première compte 13 épisodes (raccourcis à moins de 50 minutes), la série, traduite en 6 langues, va rencontrer un engouement mondial inespéré. Grâce au seul bouche-à-oreille entre abonnés, le programme devient le plus binge watché en février 2018.
Puis le lancement de la saison 2, le 2 avril, la propulse au rang de série non anglophone la plus regardée de tous les temps sur Netflix. Si son président, Reed Hastings, assure qu’il « ne peut jamais prévoir si une série sera un succès ou un flop », il estime qu’il y aurait trois raisons à ce triomphe inattendu : « C’est une série chorale (la multiplicité des personnages permet au spectateur de s’identifier), où tout le monde est gagnant (il n’y a pas de bons ni de méchants), avec un côté combat contre l’Etat (la série puise volontiers dans le registre révolutionnaire). »
Adhésion planétaire
Le 18 avril 2018, Netflix annonce qu’elle produira elle-même une troisième saison de La Casa de papel, pour une diffusion en 2019. Enthousiasme général : en 24 heures, 700 000 internautes visionnent la bande-annonce mise en ligne dans la foulée et sous-titrée « la fête n’est pas finie ».
En quelques mois, la série est devenue un phénomène planétaire. On ne compte plus les tweets, mèmes et autres comptes Instagram qui pullulent sur le web. Tout comme les reprises de la chanson révolutionnaire italienne Bella Ciao, qui s’impose déjà comme un tube mondial de l’été 2018.
Quant aux masques de Dalí et autres combinaisons rouges, ils sont en rupture de stock dans les boutiques de déguisements. Une réussite qui dépasse les espoirs de Netflix, comme de la série elle-même, qui n’était pas forcément calibrée pour devenir un blockbuster.
Un scénario classique, des rebondissements parfois tirés par les cheveux et une histoire d’amour à l’arrière-goût de telenovela, Alex Pina va non seulement devoir renouveler son histoire, bel et bien bouclée à la fin de la saison 2, mais aussi corriger quelques défauts mineurs s’il veut transformer ce buzz imprévisible en consécration mondiale.
Une trame contestataire
Plus rebelles que voleurs, les braqueurs de La Casa de papel font chauffer la planche à billets sans toucher à l’argent du peuple. Une dénonciation, en filigrane, des dérives financières qui s’accompagne de nombreux clins d’oeil : des masques de Dalí qui rappellent ceux des Anonymous, des combinaisons rouges évoquant celles de Guantanamo et l’utilisation à plusieurs reprises de l’hymne antifasciste Bella Ciao dans les derniers épisodes de la saison 1. Ce chant des partisans de la Seconde Guerre mondiale, tiré d’une chanson ouvrière italienne du début du XXe siècle, est devenu un symbole de la contestation prolétaire dans le monde. Mais le succès de la série est surtout en train de le transformer en hit mondial, dont les reprises, plus ou moins réussies, ont des motivations purement mercantiles, bien loin de l’esprit originel de ce chant protestataire.
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