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En 2019, la maison Gant fête ses 70 ans. Comment un petit atelier du Lower East Side de New York fondé par un immigré juif ukrainien est-il devenu une marque emblématique du style preppy ? Retour sur la success‑story à l’américaine de cette enseigne désormais sous drapeau suisse, bien que basée en Suède.
Bernard Gantmacher était un voyageur malgré lui. A l’adolescence, il avait déjà parcouru les kilomètres qui séparaient l’Empire russe de Rotterdam pour naviguer à bord du SS Potsdam, un bateau à vapeur qui le conduisit jusqu’à New York, sur Ellis Island, le 12 novembre 1907 précisément. Il est alors âgé de 17 ans. Après un apprentissage dans des ateliers de confection de chemises et un service à l’armée durant la Première Guerre mondiale, il fonde, avec son associé Morris Shapiro, la Par-Ex Shirt Company, à Brooklyn.
Les deux partenaires confectionnent alors les chemises des plus grandes marques de l’époque, dont Brooks Brothers. Très rapidement, en 1927, l’entreprise déménage à New Haven, ville chic du Connecticut, à proximité de l’université Yale.
Les fils de Bernard Gantmacher, Marty et Elliot, passent la majeure partie de leur temps libre dans l’entreprise familiale, et décident de la rejoindre une fois leurs études terminées. Ils comprennent également les attentes de leur génération. Eux qui ont grandi entre les chutes de coton dans l’atelier familial convainquent leur père, en 1949, de transformer la société de façonnage en une marque. Gant est née.
Au cœur du style Ivy League
Le premier coup de génie des frères Gantmacher (qui iront jusqu’à changer leur nom de famille en Gant) sera de casser les codes de la chemise classique. Ils imaginent des chemises colorées Button Down (à col boutonné), qu’ils vendent dans la boutique de l’université Yale.
C’est le début d’un raz-de-marée, celui du style Ivy League. « Lorsque je fouille dans les friperies, les seules chemises colorées ou à motifs que je trouve sont des chemises Gant. Ils ont inventé ce style », explique Christopher Bastin, directeur artistique de l’enseigne entre 2012 et 2015.
Si l’on feuillette de vieux numéros des années 50 du New Yorker, le principal magazine distribué à l’époque, on découvre, au fil des pages, les chemises aux différents motifs et couleurs de la marque, preuve que celles-ci étaient plus qu’un simple phénomène de mode. Les Etats-Unis voient alors émerger une classe moyenne qui cherche à imiter les élites. En s’habillant notamment en Gant.
L’enseigne va ainsi devenir, en un peu plus d’une décennie, le second fabricant de chemises du monde. En 1971, la marque décide d’élargir son offre et de lancer son premier vestiaire complet. Si Gant a bâti sa réputation sur sa redéfinition du sportswear américain pour l’exporter à l’international, elle l’a aussi bâti sur des pièces de qualité, à la confection irréprochable et aux détails minutieux. C’est bien cet ADN que Matthew Mounsay Wood, le directeur artistique actuel de la marque, a choisi de célébrer pour le 70e anniversaire de la marque. En rééditant sept pièces iconiques du vestiaire Gant : la chemise Button Down, le Club Blazer, le pantalon Chino, le Piqué Polo Shirt, le polo à manches longues Heavy Rugger, le blouson Varsity et le pull Cable Knit.
Dates et chiffres clés
• 1949 : naissance officielle de la marque Gant.
• 1960 : Gant devient, pendant un temps, le deuxième plus gros fabricant de chemises dans le monde. A cela s’ajoutera un vestiaire complet onze ans plus tard qui fera la renommée de Gant.
• 2019 : 70e anniversaire de la marque. Pour l’occasion, Gant revisite 7 pièces iconiques.
• 27 000 : nombre de chemises vendues en France en 2018, pour un CA de 2 M €.
• 70 : nombre de pays dans le monde dans lesquels la marque est distribuée.
• 700 : nombre de points de vente de la marque dans le monde.
Une histoire derrière chaque détail
Sur la plupart des chemises, on retrouve, encore aujourd’hui, une innovation imaginée il y a cinquante ans par Elliot Gant : le col à patte de boutonnage. Sous le col de chemise se trouve une patte qui le rabat à plat une fois boutonné afin de permettre au noeud de cravate d’être bien mis en avant.
Ce type de cols était très populaire après la Première Guerre mondiale : le prince de Galles – le futur et éphémère Edouard VIII –, véritable icône de mode, en portait un lors de sa visite aux Etats-Unis à l’hiver 1919. Les cols étaient alors maintenus par des boutons-pressions et ne fixaient jamais précisément la cravate.
Elliot Gant a donc imaginé ce modèle au bouton fixé de façon permanente et l’a breveté en 1963. Il y a chez Gant une histoire derrière chaque détail. Comme celui de le locker loop, petite patte d’accrochage apposée dans le dos des chemises afin de permettre aux garçons de suspendre leur chemise dans les vestiaires sans la froisser.
Cette petite patte est devenue un emblème de la marque et de la culture américaine : les jeunes filles avaient pris pour habitude d’attraper leur petit ami par celle-ci, et les étudiants amoureux la coupaient lorsqu’ils s’engageaient dans une relation durable.
« L’énergie, l’optimisme et l’esprit d’entreprise ont construit la marque. Il s’agit de puiser dans ce sens de l’innovation, cette passion et cette authenticité qui aideront l’équipe à construire les six prochaines décennies », affirme Matthew Mounsay Wood. Cela devrait conduire la marque, propriété du groupe suisse Maus (Lacoste, Aigle…) depuis 2008, à booster sa croissance et à pérenniser son style.
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