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Du haut de ses 80 ans, l’ingénieux Franco Sbarro continue de pratiquer la mécanique avec exaltation. Atelier, école, concepts… tout est propice pour développer et partager ses idées, parce que « la passion fait que l’effort devient exponentiel », explique le maestro.
Son costume parfaitement taillé et sa démarche assurée donnent une idée de ses origines – l’élégante Italie –, mais pas de son âge. Car Francesco Zefferino Sbarro, plus connu sous le nom de Franco Sbarro, traverse les allées du Salon international de l’automobile de Genève comme il traverse les âges. Pour cette édition 2019 du Salon suisse, l’artiste de l’automobile vient tout juste de souffler ses 80 bougies et signe ici sa 47e participation.
Et hors de question pour lui de n’y faire que de la figuration : « Nous présentons cinq nouveautés cette année, trois en provenance de mon atelier et deux conceptions de l’école Espera », précise le créateur. Depuis toujours, il entretient sa passion pour la mécanique et ne laisse pas un jour s’écouler sans mettre les mains dans une voiture. « Tous les jours, je travaille. Mes mains sont abîmées, mais j’ai besoin de cela. Lorsque j’étais enfant, dans mon village, après guerre, il n’y avait pas grand-chose, à part quelques scooters ou vélomoteurs. J’ai vite aimé toucher à la mécanique, pour réparer et améliorer les performances. Tout a commencé comme ça. »
De chef mécanicien à son propre atelier
A 18 ans, sa passion le mène en Suisse, à Neuchâtel, où il devient mécanicien. Puis, à 20 ans, il achète son propre garage et travaille avec un petit constructeur allemand, Borgward. Quelques années plus tard, sa rencontre avec Georges Filipinetti le propulse dans la compétition, au sein de la Scuderia Filipinetti que l’homme d’affaires vient de monter pour regrouper les meilleurs talents suisses en matière de pilotage automobile.
Franco Sbarro y sera le chef mécanicien, un élément clé. « J’ai passé une dizaine d’années dans la compétition, précise ce dernier, et j’y ai appris beaucoup de choses, car je travaillais souvent seul. Ensuite, j’ai mis au point de nombreux modèles de course, comme des Lola, des Ferrari, des AC Cobra ou des Ford GT40. Nous avons même été les premiers à mettre des Corvette sur une piste. » En 1968, il participe à sa dernière course au Mans.
Franco Sbarro quitte ensuite l’écurie Filipinetti pour créer son propre atelier, l’Atelier de construction automobile (ACA), à Grandson, dans une ancienne usine de cigarettes, à quelques pas du château de Georges Filipinetti. Il y construit sa toute première automobile : la Dominique III, du prénom de la fiancée de son commanditaire londonien. Le chiffre indique la troisième réalisation du concepteur, après deux coupés mis au point pour Filipinetti.
Un électron libre
Pour livrer cet exemplaire unique, Franco Sbarro ira lui-même à Londres au volant de ce coupé sportif propulsé par un moteur V8 de Ford GT40. C’est d’ailleurs cette voiture de sport américaine GT40 qui l’inspirera pour la suite. Il reconvertit quelques modèles de course en versions routières, plus faciles à conduire. Puis il enchaîne par la production de diverses répliques, uniques ou en séries limitées : BMW 328, Lola T70, Ferrari P4… Elles lui apportent les premières appréciations dans le milieu et assoient sa réputation d’artisan constructeur de qualité.
Depuis plus de cinquante ans, l’ACA a vu sortir de ses ateliers plus de 500 voitures. « Je n’ai pas de modèles préférés. Dès qu’ils sont finis, ils sont déjà dépassés pour moi. Je ne m’attarde pas sur ce qui est fait, car j’ai toujours plein d’idées à mettre en œuvre. Je dois choisir ce qui me plaît le plus. » Un état d’esprit qui caractérise l’artisan : « Je ne veux pas faire de grande série et je n’ai jamais répondu aux miroirs aux alouettes. Je suis et je demeure un électron libre. »
Fort de son inspiration, Franco Sbarro ne s’est pas cantonné à la fabrication de bolides avec des spécificités techniques originales. Il a aussi inventé de nouvelles technologies, comme la roue orbitale, sans moyeu, le châssis Dual Frame ou encore une roue avec moteur intégré.
La transmission du savoir
Franco Sbarro a fondé sa propre école en 1992, l’école Espera Sbarro, rattachée depuis 2007 à l’université de technologie Belfort-Montbéliard (UTBM). Pas question pour autant de proposer un cursus classique.
« Pour moi, il y a une connexion étroitement liée entre la main et le cerveau. Ils doivent travailler en binôme pour que quelque chose de positif en sorte. Il faut savoir faire ! La construction concrète est la preuve que la chose a été pensée et ensuite faite », précise Franco Sbarro. Bien sûr, son école enseigne les notions d’études, de conception et de design.
Mais surtout, elle oblige les élèves à mettre les mains dans le cambouis pour réaliser des modèles de A à Z, selon un cahier des charges bien précis. Les voitures des étudiants sont ensuite exposées lors du Salon de Genève, sur le stand de l’école. C’est ainsi que tous les enseignants intervenant au sein de l’école sont sélectionnés avec un critère imposé : avoir été auparavant élève de l’école.
Cabinet de curiosités automobiles
Franco Sbarro n’en oublie pas pour autant son atelier, où les étudiants se retrouvent régulièrement. Chaque jour, il s’y rend pour travailler avec sa demi-douzaine d’ouvriers et sa femme. Ici, on restaure des modèles de compétition Can-Am, on construit des répliques de Ferrari P4 en collaboration avec les rouges de Maranello. On développe des monstres de performances et des engins qui formeront peut-être les solutions de mobilité du futur. L’El-Rickshaw, par exemple, est une sorte de tuk-tuk électrique urbain mêlant habilement respect de l’environnement et agilité.
Ou encore la Tracto-Sphère II – aux faux airs de Messerschmitt des années 50 –, un véhicule aux dimensions réduites pour trois personnes, regroupant dans une petite sphère qui coiffe la roue avant toutes les fonctions mécaniques, et offrant un angle de braquage de 180° inédit pour une circulation urbaine. Des engins qui sont la concrétisation de la fusion des multiples idées de l’inventeur.
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