The Good Business
La marque sportive iconique se convertit également à l’hybride, en attendant de produire un bolide 100 % électrique. Un contresens aux valeurs du constructeur italien ou le sens inéluctable de l’histoire ?
C’était jour de Grand Prix à Monaco, enfin presque. Comme tout le début de saison de formule 1, il avait été annulé pour cause de crise sanitaire. Ce 24 mai, Charles Leclerc, le pilote local, tourne bien sur une Ferrari dans les rues fermées à la circulation de la Principauté. Pas son bolide de compétition habituel, mais une monture inédite qu’il pousse jusqu’à 240 km/h sous les yeux de John Elkann, l’héritier Agnelli et chairman du constructeur au cheval cabré.
L’opération, filmée par Claude Lelouch, sonne alors comme un retour à la vie normale et délivre un message environnemental cher au prince Albert II, assis sur le siège passager du premier modèle hybride rechargeable de la marque, sportive par essence. Une voiture équipée des technologies de la piste développées pour un modèle de série, avec ce petit supplément d’âme écologique qui symbolise « un nouveau chapitre de notre histoire », ainsi que le proclamait Ferrari exactement un an plus tôt, à l’instant de l’annonce officielle de son lancement.
Un engin diabolique
La SF90 Stradale a été baptisée en référence aux 90 ans de création de la Scuderia, et le qualificatif Stradale – littéralement « pour la route » – indique bien la transposition de la compétition vers l’usage routier. De fait, l’engin est diabolique : trois moteurs électriques ajoutent 220 ch au V8 biturbo pour atteindre les 1 000 ch et apporter des accélérations foudroyantes. La Ferrari la plus rapide jamais produite passe de 0 à 100 km/h en 2,5 s. Pour obtenir ces performances avec une architecture hybride alourdie du poids des batteries, le châssis a été entièrement repensé.
Le mode eDrive permet de démarrer en toute discrétion et de parcourir 25 kilomètres en zéro émission, pour rappeler tout de même la vocation de la voiture… Ferrari renie-t-elle ainsi son histoire alors qu’elle a été désignée, cette année encore, marque culte la plus influente du monde par le cabinet Brand Finance, devant Apple ou Rolex ? « L’électrique, c’est l’aventure du XXIe siècle ! Le mythe n’en sera pas écorné, d’autant que le fameux bruit de moteur est déjà très lissé sur les modèles d’aujourd’hui », répond Edouard Bernard, pilote d’une Berlinetta Boxer de 1974 et l’un des 480 membres du Club Ferrari France.
Pour le président de cette caste de fondus, Alexandre Lafond, qui apprécie les classiques, type 550 Maranello, et a pu voir la SF90 Stradale en démonstration, il n’y a qu’un seul véritable tabou, le lancement pourtant acquis d’un SUV. « Là, on se retrouve très loin de l’âme de Ferrari, assure-t-il. Pour le reste, il faut s’adapter ou mourir, et surtout conserver la passion de la course automobile. La formule 1 a adopté l’hybride depuis plusieurs années. La légende perdurera à travers l’héritage de la compétition dans des modèles de série. »
Les objectifs de ventes ambitieux de Ferrari
Commercialisée en France au joli prix de 443 513 euros, la SF90 Stradale peut combler les « Ferraristes ». Alors que les premières livraisons commencent ce mois-ci, une version Spider découvrable serait proposée dès 2021. Les objectifs de ventes sont élevés, intégrés dans un plan ambitieux d’écouler 60 % d’engins hybrides d’ici à fin 2022. « C’est un modèle qui va ouvrir de nouveaux segments de clientèle », assure Louis Camilleri, le président nommé en 2018, qui a déjà annoncé une motorisation hybride rechargeable pour le SUV, pardon le FUV (Ferrari Utility Vehicle). Parce que les concurrents, Lamborghini ou Rolls-Royce, ont vu leur chiffre d’affaires boosté par ce segment, Ferrari s’y résout avec une stratégie de croissance qui a vu les ventes passer pour la première fois la barre symbolique des 10 000 unités, l’an dernier.
Et l’électrification de la gamme est au cœur de cette stratégie. « Le constructeur est allé jusqu’à se demander s’il devait la réaliser par le biais d’une marque annexe, révèle Philippe Houchois, analyste réputé du secteur pour la banque américaine Jefferies. Il y a un triple enjeu technique, d’image, pour renouveler l’histoire, et simplement économique : certains marchés, comme le Royaume-Uni, vont interdire les motorisations thermiques. Pour poursuivre la croissance des ventes, il faudra répondre au défi du 100 % électrique. »
Une Ferrari 100 % électrique ?
Si un tel modèle n’est pas envisagé avant 2025, l’idée infuse les esprits à Maranello. Ce n’était pas gagné : lors du Salon de Genève 2016, Sergio Marchionne, alors grand patron de Fiat et de Ferrari, assurait publiquement qu’une Ferrari électrique était « un concept grotesque ». Avant de l’intégrer deux ans plus tard dans le plan stratégique 2018-2022. Son successeur tempérait en début d’année : « La technologie des batteries n’est pas là où elle devrait être pour une voiture de sport. Il existe des problèmes significatifs d’autonomie et de vitesse de recharge. »
Les ébauches de prototype qui ont fuité début 2020 montrent que les ingénieurs travailleraient sur la base de la 812 Superfast, modèle de série le plus puissant de l’histoire avant l’arrivée de la SF90 Stradale. Mais il faudra oublier la musique de son moteur V12 qui a ensorcelé les passionnés d’automobile. Le cœur de cible, ce sont plutôt les acheteurs du Roadster de Tesla dont la deuxième génération est attendue pour 2022 avec des promesses de performance inédites, comme le 0-à-100 km/h en moins de 2 s !
Ferrari doit peut-être chercher des partenaires technologiques pour accélérer la cadence. Son acolyte de toujours, Pininfarina, a déjà présenté l’hypercar Battista et ses 2 000 ch zéro émission. Un bijou à deux millions d’euros… La fée électrique ne renie pas la démesure.
Ferrari en chiffres
• 10 131 voitures vendues en 2019 (+ 10 % par rapport à 2018).
Comparatif concurrents : Bentley 11 006, Lamborghini 8 205, Aston Martin 5 809, Rolls-Royce 5 152.
• 3,7 Mds € de chiffre d’affaires en 2019 (+ 10 %).
• 1,27 Md € d’excédent brut d’exploitation en 2019 (+ 14 %).
• Marge opérationnelle : 33,7 %, la plus élevée du secteur automobile.
• 706 M € d’investissements réalisés en 2019.
• 31,7 Mds $ de valorisation, plus de deux fois celle de Fiat Chrysler, mais presque dix fois moins que Tesla (cotation à Wall Street depuis 2015 ; cours en octobre 2020).
The Good Life n° 45 : Un numéro spécial véhicules électriques
Notre dossier 100 % voitures électriques
Lire aussi
La voiture électrique : l’énergie pionnière
Hopium, nouveau constructeur français, le Tesla de l’hydrogène ?
Classic Motor Cars redonne vie à l’Aston Martin Bulldog, concept-car eigthies
Jaguar électrifie le F-Pace et lui offre un intérieur digne de son rang
Maserati MC20, le grand frisson d’une supercar à l’italienne
Wrangler 4xe et Grand Wagoneer Concept, Jeep électrifie ses classiques
Enchères : la collection Trigano par Artcurial, des voitures pour tous les goûts !
Iron Man offre un lifting à sa BMW 3.0 CS de 1974 avec Speedkore
VIDEO : Classic Racing School, les sensations de la course auto des sixties
Zero Labs ajoute le Land Rover Series III à son catalogue de classiques électrifiés
Auto rétro : Lamborghini P400 Miura, comme au cinéma