The Good Business
Le nouveau patron d'Air France-KLM entend faire de la compagnie tricolore un challenger de l'aérien, capable de renoncer à ses acquis d’ex-reine du ciel pour mieux reprendre à ses rivales du Golfe et d’Asie les parts de marché qu'elles lui ont usurpées. Sobre, secret, stoïque : trois qualificatifs en « S » qui atterrissent sur le profil de ce pragmatique discret qui se déplace en métro.
Une délicate mission qui passe par un exercice douloureux
Troquer son profil d’ex-dominante attaquée de toutes parts contre celui, ô combien plus incisif, de challenger, un challenger plus sobre, plus agile, plus mordant : tel est le défi d’Air France, qui ne peut ignorer la menace, si elle ne se réveillait pas, de se voir un jour croquée à son tour, à l’instar d’Alitalia aujourd’hui filiale d’Etihad. La mission passe par un exercice douloureux : se délester de ce complexe de supériorité encore attaché aux ailes d’une compagnie qui, des décennies durant, a fait rêver la terre entière, si fière de ce rayonnement monopolistique qu’elle pensait inaltérable et de ses standards sociaux quasi uniques au monde. Au « challenger », donc, de mettre un bémol à ses ambitions : Air France-KLM ne prétend plus aujourd’hui retrouver son statut de « plus grande compagnie du monde », mais compte figurer parmi les leaders du transport aérien. Une rivale européenne, Lufthansa, avec son bénéfice net et son cours d’action rémunérateur, est là pour rappeler à sa sœur ennemie tricolore qu’elle peut mieux faire. Et la compagnie française de se garder, désormais, de prendre ses bons résultats comptables – elle a renoué avec les bénéfices en 2015 – pour un gage de bonne santé pérenne.
Un nouvelle compagnie prendra le vol ?
L’actuel président n’y va pas par quatre chemins pour surligner la fragilité d’un groupe (dont la dette, certes amoindrie, reste néanmoins hyper pénalisante) porté par une baisse des cours du pétrole et des taux d’intérêt. « Il est évident qu’un tel alignement des planètes ne peut durer éternellement, tacle le président d’une voix mate. 2017 devrait être difficile, avec une remontée des prix du pétrole et du dollar. » S’ajoute à ce contexte un cours de Bourse « ridiculement bas », dixit Jean-Marc Janaillac, qui prive la compagnie de cet appel d’air financier dont elle a besoin pour booster sa flotte et repartir à l’assaut de liaisons fraîchement détournées par ces nouvelles low-cost long-courrier, telle French Blue (filiale d’Air Caraïbes) qui joue les trublions sur le tarmac antillais, ou Norwegian, dont les ventes de billets transatlantiques au départ de Paris s’envolent ! « Clairement, tranche-t-il encore, il nous faut abaisser notre structure de coûts. Et c’est le plus difficile. » D’autant que les compagnies du Golfe bénéficient d’un environnement fiscal hypergénéreux : le coût du toucher (atterrissage ou décollage) pour un Boeing 777 est de 14 600 € à Paris-Charles-de-Gaulle, contre 3 500 à Dubaï. D’où le lancement d’une autre compagnie d’un nouveau genre, pour l’heure sans nom de marque, mais dont le P-DG insiste sur le fait qu’elle ne saurait ressembler, en version long-courrier, à sa filiale low-cost moyen-courrier Transavia : « Une proposition que notre clientèle, habituée à la qualité de nos prestations, n’accepterait pas », insiste-t-il.
Car ce qui motive Air France n’est pas tant d’attirer de nouveaux clients que de rentabiliser ses vols. Créée ex nihilo, sans, jure-t-elle, rogner sur la qualité de sa prestation, la nouvelle compagnie pourra d’emblée embaucher du personnel navigant à des conditions moins royales que les salariés d’Air France, mais avec cet esprit d’équipe propre aux petites structures. 100 % digitale, innovante, attrayante, la nouvelle se veut « autre chose qu’une low-cost », une pionnière osant ce projet inédit un brin délirant (et qui sera soumis au feu vert de l’aviation civile !) de proposer, moyennant supplément, une couchette en soute aux voyageurs de la classe éco désireux d’aller faire une sieste pendant leur long vol ! Bref, les contours précis de cette arme de reconquête, baptisée « Boost », restant encore à définir. « Le but de cette nouvelle compagnie n’est surtout pas de faire du Air France au rabais, précise le P-DG, mais de proposer un produit de qualité équivalente, avec une personnalité forte et à des coûts 20 % inférieurs. »
Chez Air France tout peut se produire…
A son arrivée à la tête du groupe, Jean-Marc Janaillac dit avoir été surpris par ce tableau contrasté de l’entreprise, faible sur ses points faibles, mais très forte, aussi, sur ses points forts via ses alliances internationales, et la complémentarité de ses deux hubs de Paris-Charles-de-Gaulle et d’Amsterdam. L’actuel président consent un bon point à l’adresse de son prédécesseur, Alexandre de Juniac, dont il souhaite poursuivre la montée en gamme entamée dans les classes éco et business sur les long et moyen-courriers, ainsi que la formation de ses équipages à un service toujours plus personnalisé (plan Transform). A Air France de peaufiner sa French touch, synonyme de raffinement et d’élégance, qui la différencie d’autres prestations plus formatées ou tape-à-l’œil. « Je m’attendais à ce qu’on me parle d’Air France à coup de remarques critiques. » Tout ne s’est pas toujours joué sur du velours depuis son arrivée aux commandes du groupe, de l’éviction de Lionel Guérin, ex-brillant patron de Hop ! pressenti pour succéder à Frédéric Gagey et finalement éconduit, à ce conseil d’administration de fin d’année très tendu de la filiale néerlandaise KLM, cette « petite » du groupe qui, après avoir été portée par Air France à ses débuts, craint désormais d’être plombée par elle. Pas de quoi freiner ce patron qui entend s’adapter au terrain, l’œil dans le viseur, prêt à intensifier l’accélération de son plan de vol. Et le staff du groupe d’apprendre encore à connaître ce discret qui continue de prendre le métro dès que possible, un littéraire dans l’âme qui, à la sortie de son hypokhâgne, préféra, de peur de devenir prof, faire HEC plutôt que Normale sup. Jean-Marc Janaillac ébauche un sourire pour cette confidence anodine : « Faire du business ne m’a pas empêché de beaucoup lire. Mais depuis juillet dernier, je n’en ai plus le temps. Cela ne m’était jamais arrivé ! » Comme quoi, tout peut se produire, y compris qu’Air France se redresse. Allez, on y croit… malgré les pilotes !