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Eram : une pointure de la mode populaire
Eram : une pointure de la mode populaire
veronica

The Good Business

Eram : une pointure de la mode populaire

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Eram, c’est toute notre jeunesse ! CLM-BBDO, l’agence de pub, et Etienne Chatiliez, le réalisateur, ont créé des publicités qui ont marqué nos vies. La marque Eram vit toujours, et même très bien !

Pas simple d’avouer un dîner chic préparé 100 % discount… pas évident non plus d’assumer un shopping Eram. D’où, pour le fashion-addict, l’art du savoir piocher en douce parmi les collections – environ 15 % dédiées à l’homme. La fabrication est, en effet, qualitative, parfois française, puisque certains modèles sortent de l’usine de Montjean-sur-Loire, comme l’indiquent les étiquettes (deux autres fabriques sont spécialisées sur des secteurs professionnels). Côté design, on picore dans la gamme Black Code 100 % masculine – cousue Blake, dans la tradition des chausseurs, ou parmi des baskets contemporaines en veau velours, lacées de cuir chocolat. Sans oublier les séries dessinées par des créateurs.

Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : mocassins Alcazaro noirs en tissu velours.
Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : mocassins Alcazaro noirs en tissu velours.

Eram : le cercle familial à l’atelier

L’enseigne a réussi un tour de force peu commun : s’instituer mythe populaire. Elle fait partie d’un groupe de 90 ans d’âge, également baptisé Eram, constitué de 11 labels, dont Faguo, Bocage, TBS ou Mellow Yellow. Celui-ci est cornaqué par Xavier Biotteau, héritier d’une lignée de cordonniers, fondateurs de la manufacture Biotteau-Guéry il y a quatre-vingt-dix ans, en Maine-et-Loire, où s’est ancré le berceau familial.

François Feijoo est aux commandes d’Eram depuis 2013.
François Feijoo est aux commandes d’Eram depuis 2013. DR

Les confins de cette saga démarrent avec François Biotteau, cordonnier installé à Saint-Pierre-Montlimart en 1846, qui léguera deux ateliers à ses fils Louis et Eusèbe, dans lesquels ils produisent chaussures de chasse et citadines sous la marque Biotteau Frères. Quelques péripéties plus tard, des cousins reprennent l’affaire : Marcel et Albert officialisent les établissements Biotteau-Guéry en 1927. Ce coin de Maine-et-Loire devient alors l’épicentre de « la chaussure du peuple » (en opposition à la région de Romans, orientée souliers de l’élite). Albert-René – un autre cousin Biotteau – les rejoint. Le trio lance des galoches pour enfants et, en 1930, construit une usine à Saint-Pierre-Montlimart, devenue, depuis, le siège social d’un groupe qui dépasse le milliard d’euros de chiffre d’affaires. Albert-René sera un patron éclairé, qui instaure allocations familiales et congés payés, modernité des installations et… marketing. L’idée de posséder une boutique lui trotte dans la tête, aussi va- t-il, dès 1931, lui donner un nom : Eram – anagramme des initiales inversées de son prénom et de celui de son épouse Marie (Er + Am). Il va garder l’idée et le nom sous le coude bien des années… Parallèlement, cet entrepreneur achète deux usines afin d’y lancer une chaîne de montage dernier cri avec l’aide d’ingénieurs lorsque, patatras, la Seconde Guerre mondiale vient tout bouleverser.

Stratège et précurseur

Faute de carburant, les usines de Montjean tournent au ralenti, au point que les machines de piquage électriques sont actionnées à la pédale. Les matières premières manquent et le cuir des semelles est remplacé par du bois ou du caoutchouc récupéré sur de vieux pneus. En 1942, précurseur, Albert-René vend son stock de peaux et achète son premier magasin de détail à Levallois, histoire d’écouler ces produits issus de la débrouille de guerre. Il utilise pour la première fois le nom Eram. La sortie du conflit laisse une marque affaiblie qui mettra un moment à remonter la pente. Toutefois, secondé désormais par son fils Gérard, Albert-René Biotteau va s’inspirer des méthodes américaines. Le père et le ils sont convaincus que fabrication et distribution font désormais la paire. Cette stratégie va marquer à jamais l’avenir de l’entreprise, malgré la résistance des détaillants qui boycottent ses produits.

Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : Tennis Zamora, en croûte de cuir.
Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : Tennis Zamora, en croûte de cuir. DR

En 1949, Eram devient le premier discounter en créant son réseau de boutiques sur la base du prix le plus bas. Certes, la maison fait de la pub depuis les années 30, surtout des campagnes d’affichage – on se souvient de celles, surréalistes et magnifiques, signées Mœbius, bien plus tard, en 1977 (pour Eram) –, mais elle demeure moins connue qu’André ou Bata. La puissance de la télévision devient vite une évidence. En 1979, le slogan culte déboule : « Il faudrait être fou pour dépenser plus. » Il est le résultat de la rencontre entre Gérard Biotteau et Philippe Michel, charismatique cofondateur de l’agence CLM-BBDO. Collaboration fructueuse entre le provincial et le Parisien qui vont valider 60 films publicitaires déjantés, confiés à des créatifs tels que Bruno Le Moult, Eric Galmard ou le génial Etienne Chatiliez.

Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : Boots Poblado, en cuir noir.
Modèles de la collection homme automne-hiver 2017 : Boots Poblado, en cuir noir. DR

Dans ces spots publicitaires, le réalisateur et coauteur de La Vie est un long fleuve tranquille parodie films et comédies musicales et fait jouer les jeunes talents de l’époque, dont Josiane Balasko, Nicole Garcia, Michel Blanc ou encore François Berléand. Par exemple, en 1985, Etienne Chatiliez signe Les Danseurs, film publicitaire dans lequel des hommes, dont le chanteur Marc Lavoine, en tailleur rose et sautoir doré autour du cou, affrontent des working-girls vêtues de costumes gris. Dans les années 2000, Eram récidive dans la provoc avec ses histoires de famille adorées des psys et détestées des catholiques : « Pour mes deux mamans… la famille, c’est sacré », susurre un bout de chou en avance de deux décennies sur l’actualité.

L’ironie infuse aussi la série des branchés : la sphère hype fatiguée de ses nights berlinoises se chausse pour 49,90 – « et il n’y a que ça de vrai », prévient le sous-titre. Quand on vous dit que les fashion-addicts n’ont pas honte d’acheter malin… Maintenant, à quand le prochain petit chef-d’œuvre loufoque au goût de champagne pas banal ?

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