Horlogerie
Autorisé à l’exportation depuis 2014 seulement, le wagyu est un trésor national au Japon. Une viande d’une tendreté folle, gras et muscle se confondant, au goût de noisette. Nous sommes allés y voir de plus près, dans la Province de Gunma, à 1h de Tokyo en shinkansen.
En roulant sur cette route de campagne en direction de la ferme Toriyama, on s’attend à découvrir des champs, des arbres, des vaches en liberté et des baignoires en guise d’abreuvoirs. Une carte postale d’élevage comme on voit encore beaucoup en France. Mais nous sommes au Japon, à 800 m d’altitude, au pied du Mont Akagi (Province de Gunma), en visite dans une ferme de wagyu, de « wa », Japon, et de « gyu », bétail ou bovin.
Ici, pas de prairies, pas d’herbe, des stabulations et de la paille pour des bêtes hautes sur pattes et élégantes dans leur livrée noire. L’un des bâtiments accueille 400 mères. Elles mettront bas en moyenne 8 fois durant leur vie, après insémination artificielle. La génétique est primordiale au pays du wagyu. Après la levée de l’interdiction de consommer de la viande de quadrupède par l’empereur Meiji, en 1872, on a effectué divers croisements avec des bovins étrangers, pour figer la race en quatre groupes : noir (l’originelle), brun et polled (sans corne) en 1944, shorthorn (cornes courtes) en 1957. le label Beef Japan fait foi et des fiches de pedigree suivent les animaux au long de leur vie, consultables en ligne par le grand public, à partir d’un numéro d’identification figurant sur les emballages. Au pays du wagyu, la transparence est gage de qualité et de confiance.
Toriyama : une ferme pilote
À la ferme Toriyama, les veaux, environ 370 par an, tètent pendant une semaine avant que les mâles, et seulement eux, soient sevrés et commencent à suivre un régime alimentaire soigneusement contrôlé. Au bout de 3 mois, d’autres stabulations les accueillent, jusqu’à 8 mois, ils sont alors nourris notamment de miso.
Ils changent à nouveau de box, regroupés par six jusqu’à leur abattage, à 30 mois. Ils pèsent alors en moyenne 700 kg. « C’est similaire à l’élevage du porc, explique Makoto Toriyama, PDG de Toriyama Umami Wagyu, entreprise familiale créée en 1948. Mais, nos animaux sont bien traités. On les soigne quand ils sont malades, jamais préventivement, et ils mangent bien. » La ration contient certes de l’ensilage, que certains proscrivent en France à cause des risques liés au mycotoxines, mais il est ici à base de la plante du riz et dégage la bonne odeur d’herbe fraîche d’une fermentation maîtrisée. Les boeufs ne sont ni massés à la bière ni n’écoutent de la musique classique, les mythes ont la vie dure…
La ferme Toriyama est l’une des rares (2 à 3 % dans tout le pays) à se prévaloir de deux labels, HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point, pour la sécurité des aliments) et GAP (Global Animal Partnership, qui promeut le bien-être des animaux d’élevage). Autre bon point, dans un pays où la conscience écologique est encore en sommeil, le fumier est recyclé comme engrais dans les rizières partenaires.
Si sa texture est plus proche du foie gras que du steak, grâce à l’acide oléique qu’il contient, abaissant son point de fusion, le wagyu est aussi riche en oméga 3. On n’ira pas jusqu’à en faire un alicament mais il a quelques vertus, à condition d’en consommer avec modération, moins de 100 g à la fois.
Wagyu, viande de luxe
Quand on demande à Makoto Toriyama si un élevage en plein air est envisageable, il ne botte pas en touche. « On y viendra peut-être, assure t-il. Il y a quelques expérimentations mais ça ne donne pas le wagyu tel que nous l’aimons. Car, pour nous, seul le résultat compte. Mais nous ne gavons pas nos bêtes pour obtenir facilement du A5 (plus haut grade du wagyu, saturé de gras, ndlr), nous ne produisons que du A4. La plupart des éleveurs abattent les bêtes à 24 mois, nous poussons jusqu’à 30 mois. Nous avons mis 10 ans à développer une machine qui analyse plusieurs milliers de données pour évaluer la qualité recherchée : juste persillage, mâche soyeuse et naturelle, goût umami, bons acides gras polyinsaturés. »
Si sa texture est plus proche du foie gras que du steak, grâce à l’acide oléique qu’il contient, abaissant son point de fusion, le wagyu est aussi riche en oméga 3. On n’ira pas jusqu’à en faire un alicament mais il a quelques vertus, à condition d’en consommer avec modération, moins de 100 g à la fois.
Son prix est quoi qu’il en soit dissuasif, entre 200 € et 500 € le kilo en France selon les morceaux. Cela ne baisse guère depuis que l’exportation a été autorisée en 2014. Au Japon, cela reste aussi un mets de luxe (autour de 100 € le kilo). La consommation de wagyu représente d’ailleurs moins de 1 % de la consommation totale de viande bovine d’origine japonaise (4,79 millions de tonnes en 2021*).
Wagyu, l’art de la découpe
Au Japon, le wagyu est généralement débité directement dans les abattoirs. Les revendeurs récupèrent les différents morceaux conditionnés, prêts à être vendus, sans les os, broyés et transformés en nourriture pour animaux. Chez Toriyama Umami Wagyu, on récupère les carcasses entières, maturées environ 1 mois en chambre froide avant de les faire glisser vers l’atelier de découpe, où elles sont tronçonnées, chaque partie étant désossée et dégraissée par six gaillards lourdement armés. C’est ensuite qu’entre en jeu un autre type de découpe, plus subtil et tellement japonais. Car, selon la manière choisie pour cuisiner le wagyu, sushi (cru), sukiyaki (bouillon avec des légumes), yakiniku (barbecue), shabu-shabu (fondue), wok (poêle) ou katsu (frit), on ne taille ni dans le même morceau ni dans le même sens ni à la même épaisseur. À l’oeil et au toucher, les hommes de l’art préparent ainsi des échantillons pour chaque usage, artistiquement composés, le raffinement nippon se niche partout.
Le prix de la rareté
Sur les 160 000 tonnes de wagyu produites au Pays du Soleil Levant, 8 000 partent à l’étranger, 362 tonnes dans l’Union européenne en 2021*. Il y a bien des élevages en Australie, en Corée du Sud, en Europe aussi, France, Espagne et même en Suède, mais « ce n’est pas du wagyu », insiste Makoto Toriyama, l’un des plus fervents défenseurs de ce trésor national.
Le gouvernement japonais veille lui aussi sur le wagyu en subventionnant les éleveurs depuis 2020, comblant 90 % de la différence entre leurs coûts de revient et leurs revenus. De quoi assurer un bel avenir à la filière. L’institut anglais TechNavio a estimé en octobre 2022 que le marché mondial grimperait à une allure moyenne de +7,4 % par an pour atteindre 3,73 milliards de dollars en 2030. Que les amateurs se rassurent, qu’il soit de Kobe, le plus réputé, ou de Gunma, comme celui de Makoto Toriyama, chacun trouvera wagyu à son palais.
S.M
* Ministère des Finances, Statistiques du Commerce Extérieur Japonais, 2021
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