La région italienne des Marches a accueilli de nombreux duchés, dont le plus célèbre et le plus influent fut certainement celui d’Urbino. Une influence encore vivace, puisque ce sont bien les ducs qui donnèrent leur nom à une chaussure, la Ducale. Dont Mario Giannini s’inspira, au début des années 70, pour baptiser sa toute jeune marque. La mode étant alors aux anglicismes, Ducale se transforma en Doucal’s. Des années plus tard, Gianni, le fils, se montre plus attiré par les Champs-Elysées et par la culture française que par la via Monte Napoleone ou les fastes milanais et ouvre sa première boutique monomarque à Paris. « Les Parisiens n’aiment pas les chaussures de sport, ils préfèrent les lignes plus classiques. Avec eux, nous pouvons toutefois laisser libre cours à notre fantaisie, raconte, amusé, ce grand observateur. Quand ma femme étudiait à l’université, j’essayais de comprendre ce qui plaisait aux nouvelles générations, celles qui ont connu vingt années de mode décontractée et de chaussures de sport. J’ai découvert que, lorsqu’on entre dans le monde du travail, on recherche des modèles plus classiques, presque toujours avec lacets, et généralement en daim ou en veau. Ce fut une véritable révélation. »
Le quartier général de l’entreprise se trouve toujours au cœur des Marches, à Monte-granaro, dans la province de Fermo. Ici, la chaussure est reine (avec les pôles de production d’Ascoli Piceno et de Macerata, cela couvre 18,2 % de l’exportation italienne, selon le rapport 2014 d’Assocalzaturifici, l’association qui fédère les producteurs de chaussures. La crise ? Doucal’s l’a contournée en absorbant de petites entreprises artisanales en difficulté à qui il a sous-traité une partie de sa production. « La constance, le dévouement et l’obstination de chacun ont donné de grands résultats. Le déclin des ateliers de petite et de moyenne envergures, exclus du marché en raison de la concurrence impitoyable des pays ayant une main-d’œuvre à bas coût, a été compensé par le développement de marques plus importantes », explique Jerry, le frère de Gianni, en charge du service commercial de Doucal’s. Dans cette entreprise, qui n’a donc finalement pas connu une seule heure de chômage technique, a été inauguré, il y a un an, un musée de la Chaussure, qui retrace l’évolution stylistique de la marque. Les techniques de montage restent les éléments clés de la production : le cousu Blake, le cousu California et, bien sûr, le Goodyear. « Au fil des années, nous avons réduit de moitié le poids des chaussures, car le confort est fondamental. Les Russes veulent un chaussant plus large et n’ont pas peur des nouveautés ; les Japonais sont obsédés par la qualité des matières ; les Italiens sont encore influencés par le style anglais et ont découvert le bleu et le bourgogne comme alternative au noir ; les Arabes ont des exigences liées au climat. Parmi les marchés en évolution, nous pouvons citer la Chine où nous sommes présents depuis douze ans, tout en y travaillant avec précaution. Actuellement, nous y avons une vingtaine de clients », explique Gianni Giannini. Mais, chez Doucal’s, la fidélisation du client, italien ou étranger, passe aussi à travers l’art du story-telling : dans la boutique milanaise de la via Gesù, conçue par l’architecte florentin Paolo Giachi, des événements spéciaux sont organisés pour raconter l’histoire de la chaussure, suivre les différentes étapes de fabrication ou apprendre à entretenir ses chaussures. Par exemple, en janvier dernier, pendant la semaine de la mode masculine à Milan, on pouvait y apprendre à coordonner la bonne paire de chaussures au pantalon et aux chaussettes. Essentiel !