Horlogerie
La petite taille du pays couplée à l’intemporalité du « gute Design » suisse pourrait laisser supposer que le nombre de designers se compte, comme les heures, sur le cadran d’une montre. Grosse erreur ! Aux côtés de maestros du modernisme ou des explorateurs des années pop, la jeune génération part à la conquête du reste du monde, sans pour autant renier son héritage local.
• Max Bill
Architecte, designer, peintre, sculpteur, écrivain, éditeur, typographe et graphiste, Max Bill (1908-1994) s’est singularisé dans tous les domaines de la création. Il est, par excellence, le père du design suisse moderne. Cet ancien élève du Bauhaus, à Dessau (Wassily Kandisky et Paul Klee ont été ses professeurs), a dessiné nombre de montres et d’horloges pour Junghans, mais il a, avant tout, cofondé, en 1953, la Hochschule für Gestaltung (Ecole supérieure de la forme), à Ulm.
Il a à la fois conçu le campus en béton brut et dirigé le département design de produits et architecture de 1951 à 1956. Réédité par WB Form et Zanotta, son tabouret Ulm (codesigné avec Hans Gugelot en 1954 pour cette même école) est un classique absolu qui partage, avec le tabouret Cabanon de Le Corbusier – un autre Suisse, faut-il le rappeler ? –, l’attention portée aux objets aussi (multi)fonctionnels que modestes.
• Willy Guhl
Ebéniste de formation, ce pionnier du design industriel suisse (1915‑2004) revendiquait volontiers en guise d’éthique de création et de fabrication la formule « atteindre le maximum de résultat avec un minimum d’effort ». De ses recherches de nouvelles formes d’assises, il donne naissance a Loop, en 1954, l’iconique chaise ruban d’extérieur en fibrociment pour la firme helvétique Eternit.
Simple comme un trait de crayon à main levée et plutôt low cost, cette pièce de design culte a reçu le prix Die Gute Form en 1955, et est exposée au Vitra Design Museum, à Weil am Rhein (Allemagne), et au Museum für Gestaltung, à Zurich. Mieux : elle figure toujours au catalogue d’Eternit en 2019, mais en version désormais 100 % écologiquement correcte. Une nouvelle excellente puisque sa production avait cessé dans les années 80 pour cause d’amiante dans sa composition d’alors ; et elle n’est restée exposée que deux semaines au MoMA pour cette même raison…
• Susi et Ueli Berger
Non, le design suisse ne se limite pas au modernisme fonctionnel et aux lignes minimalistes ! Les expérimentations ludiques et poétiques sur les formes et les matériaux si caractéristiques des années pop y ont également toute leur place, comme le prouvent les meubles du couple d’artistes Susi Berger-Wyss et Ueli Berger (qui a, par ailleurs, cosigné en 1972, avec Ubald Klug, le canapé paysage Terrazza DS-1025 pour De Sede).
Leur chaise Soft (1967), en mousse de polyuréthane et vinyle, ainsi que leur lampe Nuage (1970), font partie de la collection du MoMa et du Museum für Gestaltung, à Zurich. L’été dernier, ce dernier leur a consacré, à l’occasion de la parution d’un vaste catalogue raisonné, une grande rétrospective au titre façon onomatopée de BD : PA-DONG ! Les meubles de Susi et Ueli Berger.
• Big-Game
Fondé en 2004, à Lausanne, Big-Game regroupe le Suisse Grégoire Jeanmonod, le Français Augustin Scott de Martinville (formés à l’ECAL) et le Belge Elric Petit (formé à La Cambre, à Bruxelles). Le trio a d’emblée su séduire la nouvelle vague d’éditeurs internationaux. Leur chaise Bold en tubes et mousse est, encore à ce jour, le best-seller de Moustache, et la simplissime et très graphique clé USB Pen qu’ils ont imaginée pour la marque hong-kongaise Praxis est utilisée par l’ECAL pour tous ses dossiers de presse.
On leur doit également les bancs et les étagères Ypperlig de la collection Hay x Ikea, la chaise Castor de Karimoku New Standard, le siège pour enfant Little Big de Magis, le fauteuil d’extérieur Horizon de Lafuma Mobilier, et une toute nouvelle gamme de couteaux de cuisine pour Opinel, développée avec Alain Ducasse. En fil rouge de leur succès, une vraie maîtrise de la couleur, couplée à la fonctionnalité et à la simplicité graphique des lignes. Suisses, on vous dit, même si seul l’un des trois designers a le passeport de la Confédération !
• Alfredo Häberli
Peu importe qu’Alfredo Häberli soit né à Buenos Aires : la carrière internationale de ce designer à succès s’est épanouie depuis la Suisse. Son trait de crayon – il a été formé à la HEAD, à Zurich – a présidé aussi bien à la création de canapés et de fauteuils pour la marque helvète De Sede (notamment les modèles DS-88, DS-110 et DS-373), et les italiens Moroso et Alias, que de verres pour Iittala (Essence) ou des luminaires pour Luceplan ou Astep.
On lui doit la chaise Jill Wood pour Vitra. Il a aussi conçu de nombreuses scénographies d’expositions, ainsi que la décoration de l’hôtel 25hours à Zurich, et l’aménagement de plusieurs boutiques Camper. Derniers lauriers en date : il vient de remporter un Wallpaper Award 2019 pour les carreaux de ciment Arta dont il a dessiné le motif pour la marque espagnole Huguet.
• Adrien Rovero
A peine diplômé de l’ECAL, Adrien Rovero a reçu le prix du Jury de la première édition de Design Parade Hyères, en 2006, ce qui lui a ouvert, notamment, les portes de la maison Hermès (créations de vitrines, collaborations avec Petit h ou la cristallerie Saint-Louis). Tout en enseignant à l’ECAL de 2006 à 2018, puis à l’université du Québec pour l’année académique en cours, il s’est fait un nom auprès de musées – le Mudac (Lausanne), le Mudam (Luxembourg), le Grand Hornu (Belgique), le Mucem (Marseille), le CAPC (Bordeaux) – pour son approche à la fois sensible et rigoureuse de la scénographie.
L’attention qu’il porte au dialogue entre paysage et objet se traduit d’ailleurs idéalement dans les lampes-hublots et les petits bancs en caoutchouc recyclé façon lave qu’il a conçus pour l’une des maisons de sa compatriote Ruth Ruttimann (agence DreamLiving), à Ténériffe, ou dans sa chaise d’extérieur en aluminium Lausanne (Atelier Pfister), qui a remporté l’été dernier un prix suisse de Design.
• Michel Charlot
Designer suisse, aujourd’hui installé à Porto, Michel Charlot a lui aussi étudié à l’ECAL et a été primé à Design Parade Hyères 2009. Après avoir été pendant deux ans l’assistant de Jasper Morrison, il a établi son propre studio, en 2011, à Bâle. Très attaché à la simplicité, au fonctionnalisme et au pragmatisme caractéristiques du design suisse, il ne se lasse pas des contraintes – et donc du potentiel créatif – du design industriel.
Parmi ses créations les plus remarquées, sa collection de mobilier en fibrociment Porto (prix suisse du Design 2017) – amorcée avec la suspension Mold – pour Eternit, la lampe de bureau U-Turn conçue pour Belux (groupe Vitra), et la table en aluminium Davy pour l’éditeur européen des Eames. Cette dernière a été dessinée spécialement pour venir dialoguer avec cette icône absolue du design suisse qu’est la chaise Landi de Hans Coray (1938), toujours présente au catalogue de la marque.
• Atelier Oï
En choisissant d’emprunter les deux lettres « oï » au terme russe « troïka », les fondateurs d’Atelier Oï – Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond – ont voulu souligner le dynamisme que génère un trio et l’importance de l’approche pluridisciplinaire entre design et architecture. La simple énumération de leurs réalisations depuis 1991 atteste de la pertinence de ce propos : lampes pour Artemide et Foscarini, tables pour B&B Italia, canapés pour Moroso, assises ingénieuses pour la collection Objets Nomades de Louis Vuitton, boîtes de rangement en feutre pour USM…
Très actif également côté scénographie ou architecture intérieure – les boutiques Rimowa, à Paris et à Londres, un pop‑up store pour Pringle of Scotland… –, Atelier Oï méritait amplement la très jolie exposition Oïphorie que lui a consacrée, en 2018, le Museum für Gestaltung, à Zurich.
• Dimitri Bähler
Formé successivement à l’ECAL puis à la Design Academy d’Eindhoven avant de faire partie des finalistes de Design Parade Hyères 2013, Dimitri Bähler a établi son studio en 2014, à Biel (Suisse). Son approche combinant spontanéité et radicalité s’appuie sur un travail constant de recherche sur les structures et les matériaux.
Parallèlement à ses créations éditées chez Established & Sons – lampadaire Light Light en papier washi fixé sur un axe en carbone quasi invisible – ou Moustache – tabouret Pad en mousse expansée recouverte de textile, et tables d’appoint Touch inspirées de son travail avec la céramique au Centre européen de la céramique (EKWC, aux Pays-Bas) –, il participe à différents workshops internationaux, que ce soit au Burkina Faso (avec l’association Hors Pistes), au Japon (à l’Ishinomaki Laboratory) ou en France, au très couru Summer Workshop Design dans le domaine de Boisbuchet.
• Julie Richoz
Lauréate du Grand Prix Design Parade en 2012, cette designer sensible et précise est diplômée de l’ECAL – à se demander s’il ne s’agit pas du plus sûr chemin pour le grand chelem en design ! Franco-suisse, Julie Richoz a été un temps l’assistante de Pierre Charpin avant d’établir son studio à Paris en 2012. Ses projets sont multiples. Elle aime distiller de la légèreté dans la tension des lignes, aborde la couleur avec audace et finesse, et se passionne indistinctement pour les savoir‑faire industriels ou artisanaux.
Elle travaille aussi bien sur des pièces pour des galeries aussi renommées que Kreo qu’avec des éditeurs. La magistrale suspension Cité de Louis Poulsen, c’est elle, le mobilier d’extérieur Cicala de Tectona, aussi. Sans oublier la série de vases Oreilles qu’elle a développée au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille, dans le cadre du partenariat avec la villa Noailles, et qui a eu les honneurs de WantedDesign Brooklyn l’an dernier.
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